BNP Paribas vient de publier le 31 juillet ses comptes du 2ème trimestre 2014, où suite à la sanction américaine, son bilan est déficitaire de plus de 4 milliards d'euros.
Cette publication, reprise par tous les médias, nous donne l’occasion de revenir à tête reposée sur les tenants et les aboutissants de cette fameuse pénalité de 9 milliards de dollars (6,5 milliards d'euros).
[NB : dans le texte, l'abréviation M€ (ou M$) signifie "million(s) d'euros" (ou de dollars), et Md€ (ou Md$) signifie "milliard(s) d'euros" (ou de dollars)].
[SUITE DE LA PARTIE I]
[Sommaire des 6 parties]
3- ET LE GOUVERNEMENT FRANÇAIS, DANS TOUT ÇA ?
3-1. IL FAUT SAUVER LE SOLDAT BNP

On a vu le président Hollande voler au secours de BNP-Paribas, sollicitant même l'intervention du président Obama (le 7 avril par courrier, puis le 5 juin lors d'un dîner à l'occasion du 70ème anniversaire du Débarquement).
J'espère qu'il savait que son intervention ne pouvait être qu'une gesticulation médiatique. Le système judiciaire des USA n'a que peu à voir avec celui de la France (Bill Clinton en sait quelque chose avec le ridicule Monicagate). Parmi les principaux protagonistes menant l'accusation, Cyrus Vance Jr, le procureur de district de Manhattan (oui, celui de l'affaire DSK) est élu et non nommé (en 2009, puis en 2013), et, côté administratif, Benjamin Lawsky, le régulateur bancaire de l'État de New York, est le protégé d'Andrew Cuomo, le puissant gouverneur de cet État, indépendant du pouvoir fédéral.
Les ministres français concernés, au nom d'un patriotisme bien mal placé, y ont aussi été de leurs couplets sur le caractère "disproportionné" de la sanction : le ministre des Finances Michel Sapin, le ministre de l'Économie Arnaud Montebourg, et le ministre des Affaires Étrangères Laurent Fabius.
Ils ont brandi la menace d'un impact sur les négociations en cours sur l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et les Etats-Unis, ce qui manifestement en a touché une sans faire bouger l'autre à l'oncle Sam.
Rappelons en passant que l'État avait soutenu la BNP après la crise de 2008, en injectant en mars 2009 5,1 Md€ au capital de celle-ci sous forme d'actions dites "de préférence" sans droit de vote et remboursables au prix d'émission. La BNP lui avait remboursé cette somme, avec les intérêts, au mois d'octobre suivant. Mais Didier Migaud, alors président socialiste de la Commission des finances, avait constaté que l'État s'était privé d'une plus-value de 5,8 Md€, la valeur de l'action ordinaire de BNP ayant sur la période augmenté de 113 %.
Pourtant Didier Migaud, qui allait en février 2010 être nommé à la tête de la Cour des comptes par M Sarkozy, est loin d'avoir la réputation d'appartenir à la gauche radicale.
Toujours est-il que des socialistes devraient se féliciter que les grandes banques se voient pour une fois rappeler que ce sont les États qui font la loi, pas elles.
Bon, on peut concevoir que Marianne soit jalouse de l'Oncle Sam : la première puissance économique mondiale, et détentrice de la monnaie reine, bien que paradoxalement berceau du libéralisme économique, a la capacité de dicter ses lois aux entreprises.
Cette amende, à en croire les médias français, pouvait avoir deux types de conséquences fâcheuses :

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3-2. UNE CONSÉQUENCE PLUTÔT THÉORIQUE : LA CAPACITÉ DE LA BNP À ACCORDER DES CRÉDITS ?
La BNP va voir ses fonds propres diminuer, donc pourrait restreindre les crédits accordés, et la pauvrette étant une des plus grosses banques européennes, ça peut compromettre la reprise dans la zone euro. Sans compter qu'elle peut en tant que vilaine fraudeuse perdre la clientèle de certains fonds de pensions. Et ceci au moment où l'Autorité Bancaire Européenne met en place le "stress test" 2014, exercice visant à mesurer la capacité de résistance des banques à des situations extrêmes.
Enfin bon, c'est la chanson qu'on faisait courir avant la sanction.
En fait, une perte de 7% des fonds propres non seulement ne risque pas de conduire à la faillite (et encore moins à une quelconque répercussion systémique), mais ne porte même pas atteinte à la capacité de la BNP à accorder des crédits, même si de nouvelles règles prudentielles imposent aux banques d'avoir plus de fonds propres. Le "ratio de solvabilité" de la BNP (le pourcentage du noyau dur de fonds propres) restera supérieur au minimum prévu par les accords dit de "Bâle III" entre les pays du G20, comme en attestait dès 2012 l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), organe de supervision français des établissements financiers.
D'ailleurs dès le 30 juin, l'ACPR émettait un communiqué rassurant (dame, manquerait plus que l'action BNP baisse, en plus !)
Et le rapport du 2ème trimestre 2014 de la BNP s'empresse de nous rassurer sur son "ratio common equity Tier 1 de Bâle 3" et son "ratio de levier de Bâle 3", bref ses fonds propres (les sous qu'elle détient de manière durable).
Et, soyons vilain jusqu'au bout, référons-nous au rapport particulier n°3 du rapport de janvier 2013 du Conseil des prélèvements obligatoires, organe placé auprès de la Cour des comptes, rapport consacré aux prélèvements obligatoires et les entreprises du secteur financier.
Il se base sur la littérature économique récente pour montrer qu'au-delà d’un certain seuil actuellement dépassé par quasiment toutes les grandes économies de l’OCDE, la finance n’a plus d’influence positive sur le développement économique, mais au contraire lui nuirait plutôt par ses effets parasitaires et l’instabilité qui l’accompagne.
Bon, toutes les conclusions de ce rapport particulier iconoclaste -mais documenté- n'ont pas été reprises par le rapport officiel…

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3-3. UNE CONSÉQUENCE PLUS CONCRÈTE : UN MANQUE À GAGNER FISCAL ?
Au fond, le problème est là : la BNP, on s'en fout, mais est ce que les méchants Ricains vont encaisser des sous à notre détriment, pôvres Français ?
En d'autres termes, combien la BNP va-t-elle payer d'impôt en moins à l'État français avec 6,553 Md€ de bénéfices en moins ?
3-3-1. LA BNP, GROS CONTRIBUABLE
Les médias français ont répété à l'envi que la BNP était l'un des principaux contribuables français.
Et la BNP elle-même, depuis deux ans, a inclus cette affirmation dans ses éléments de langage. Citons :
L'audition de Baudouin Prot, le président de BNP, en avril 2012 par la commission sénatoriale d'enquête sur l'évasion des capitaux :
"Pour les deux exercices 2010 et 2011, nous avons acquitté sur le territoire national plus de 800 millions d'euros au titre de l'impôt sur les sociétés et 3,3 milliards d'euros toutes taxes confondues. De ce fait, BNP Paribas est certainement l'un des plus importants contribuables de France."
La réponse de la BNP en septembre 2012 à CCFD-Terre solidaire suite à leur enquête publié en juillet 2012 sur les paradis fiscaux :
"Pour l'exercice 2011, nous avons acquitté sur le territoire national plus de 400 millions d'euros au titre de l'impôt sur les sociétés et 1,6 milliard d'euros en y incluant les taxez spécifiques au secteur bancaire. De ce fait, notre groupe y a réalisé 27 % de ses bénéfices mais y a acquitté 34 % de ses impôts."
L'entretien de Jean-Laurent Bonnafé, le directeur général de BNP, en février 2013 dans les Échos, quotidien libéral français d'information économique :
"Cette année, nous verserons 1,9 milliard d'euros d'impôts et taxes au titre de l'exercice 2012, contre 1,6 milliard l'an dernier. Cela fait de BNP Paribas l'un des premiers contribuables de France."
Le document de référence pour 2012 (document officiel sur l'activité et la situation financière du groupe), publié en mars 2013, dans le chapitre 7 intitulé "Une banque responsable" :
"BNP Paribas est l’un des plus importants contribuables de France. Pour l’exercice 2012, l’ensemble des impôts et taxes payés en France s’est élevé à 1,9 milliard d’euros."
Le document de référence pour 2013, dans le même chapitre :
"BNP Paribas est attaché au civisme fiscal. Le Groupe est un des tout premiers contribuables en France comme dans ses principaux pays d’implantation."
et plus loin :
"En 2013, le taux effectif d’imposition de BNP Paribas était de 33,9 %. BNP Paribas est l’un des plus importants contribuables de France. Le montant total d’impôts et taxes acquitté en France par le Groupe BNP Paribas s’est élevé à 2,3 milliards d’euros en 2013."

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3-3-2. QUELS IMPÔTS LA SANCTION FINANCIÈRE CONCERNERAIT-ELLE ?
Les banques paient plusieurs sortes d'impôts et taxes.
En fait, si cette sanction risque de peser sur un impôt, c'est sur celui prélevé sur les bénéfices, c'est-à-dire "l'impôt sur les sociétés" (IS).
Chaque année, en France, les sociétés paient quatre acomptes sur l'année en cours (n), calculés sur les bénéfices de l'année précédente (n-1), avec, au plus tard le 15 mai de l'année suivante (n + 1), une correction selon que les bénéfices de l'année (n) étaient en hausse ou en baisse par rapport à l'année d'avant (n-1).
Profitons-en pour donner quelques précisions sur l'ensemble des impôts acquittés par une banque en France.
Baudoin Prot, le président de BNP, déclarait lors de son audition au Sénat que la banque avait payé pour 2010 et 2011 "3,3 milliards d'euros au total en tenant compte des autres impôts et taxes [que l'IS], en particulier la taxe sur les salaires, la taxe professionnelle, la taxe sur le chiffre d'affaires et la taxe sur la valeur ajoutée non récupérée."
- La taxe sur les salaires est une taxe qui a été maintenue en France dans le secteur financier pour se substituer à une recette manquante, celle de la TVA, ce secteur n’étant majoritairement pas assujetti à la TVA, la valeur ajoutée y étant difficile à définir. Cette taxe n'existe pas dans la plupart des pays de l'UE, et est de ce fait régulièrement dans le collimateur du lobby bancaire français.
- La taxe professionnelle a été remplacée depuis début 2010 par la contribution économique territoriale (CET), impôt local composé de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la cotisation foncière des entreprises (CFE).
- La "taxe sur le chiffre d'affaires" est la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), due par les entreprises réalisant un chiffre d'affaires hors taxe d'au moins 760 000 €.
- La taxe sur la valeur ajoutée non récupérée fait référence à ce qu'on appelle la "rémanence de TVA" : la plupart des opérations bancaires et financières sont exonérées de TVA, ce qui fait que lorsque les entreprises du secteur financier réalisent des opérations soumises à la TVA, elles ne peuvent pas la déduire, contrairement aux autres entreprises.
A cela s'ajoutent :
- Les taxes foncières.
- Les nouvelles taxes spécifiques au secteur bancaire depuis la crise de 2008 : taxe de risque systémique depuis début 2011, taxe française sur les transactions financières depuis août 2012.
- Et surtout les cotisations sociales patronales, qui ne font pas partie à proprement parler des impôts et taxes, mais de ce qui est appelé plus largement "prélèvements obligatoires".
On peut, à partir des comptes sociaux inclus dans le document de référence et du bilan social de la BNP, estimer le montant de certains impôts ou taxes en 2010 ou 2011, comme la taxe sur les salaires (autour de 240 M€), la C3S (autour de 45 M€), les cotisations sociales (autour de 900 M€), ou la taxe sur le risque systémique (2011 : autour de 120 M€).
D'autres montants sont en revanches difficiles à évaluer voire inaccessibles, notamment la rémanence de la TVA.
Mais la part relative de chacun de ces prélèvements dans le secteur financier est indiquée pour l'année 2010 dans le rapport de janvier 2013 du Conseil des prélèvements obligatoires sur Les prélèvements obligatoires et les entreprises du secteur financier.
On y voit que sur l'ensemble des prélèvements obligatoires :
- les cotisations sociales comptent pour 37 %,
- les impôts sur les sociétés comptent pour 26 %,
- les rémanences de TVA comptent pour 22 %,
- et les impôts sur la production (taxes sur les salaires, CET, C3S, taxes foncières et autres) comptent pour 15 %.
Notons que, concernant les banques, les parts des rémanences de TVA et des impôts sur la production sont un peu plus importantes, par rapport aux parts des cotisations sociales et des impôts sur les sociétés, que celle des autres établissement financiers comme les assurances.
La part de l'impôt sur les sociétés annoncé par la BNP par rapport à l'imposition totale pour les années 2010-2011 est en tout cas cohérente avec ces données statistiques (800 M€ = 24 % de 3,3 Md€).
[SUITE : PARTIE III]