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Billet de blog 7 avril 2012

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Orientations et instructions pour la rentrée 2012 : vers une laïcité d’empêchement ?

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La publication récente de la traditionnelle circulaire de préparation de rentrée au  Bulletin officiel de l’éducation nationale[1] sous le titre Orientations et instructions pour la préparation de la rentrée 2012 est l’occasion, dans l’avant dernière partie de sa dernière annexe (Soutenir l’engagement de la communauté éducative), de préciser les orientations et instructions données pour "garantir la laïcité".

         « La laïcité est un principe constitutionnel de la République : elle donne le cadre qui, au-delà des appartenances particulières, permet de vivre ensemble. Elle est accueillante, à la fois idéal d'une société ouverte et moyen de la liberté de chacun. L'École met en pratique la laïcité et apprend aux élèves à distinguer savoir et croire. Facteur de cohésion sociale, la laïcité s'impose à tous dans l'espace et le temps scolaires. Chacun, à sa place, est le garant de son application et de son respect. Il est recommandé de rappeler dans le règlement intérieur que les principes de laïcité de l'enseignement et de neutralité du service public sont pleinement applicables au sein des établissements scolaires publics. Ces principes permettent notamment d'empêcher que les parents d'élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu'ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires. »

On ne peut que souscrire au début de ce paragraphe. Oui, la laïcité est un principe constitutionnel, oui, elle permet, au delà des appartenances particulières, de vivre ensemble, oui, elle est accueillante, moyen de la liberté de chacun. Sans doute, l’enseignement laïque apprend-il aux élèves à distinguer savoir et croire.

« Facteur de cohésion sociale, la laïcité s’impose à tous dans l’espace et le temps scolaire. » Dans cette phrase, si le thème (groupe sujet) va de soi, c’est le rhème (syntagme verbal) dont l’assertion, donnée comme allant de soi,  interroge : « la laïcité s’impose à tous dans l’espace et le temps scolaires ». La suite du propos conforte notre questionnement sur l’interprétation du principe de laïcité : « chacun, à sa place, est la garant de son application et de son respect ». La question que se pose le lecteur porte évidemment sur « tous » et sur « chacun ». Si ces deux pronoms indéfinis s’appliquent à l’ensemble des personnels du service public d’éducation, il s’agit bien du rappel à la règle du strict principe de neutralité imposé à tous les fonctionnaires d’Etat et agents du service public. La phrase qui suit commence à dissiper l’ambiguïté : « Il est recommandé de rappeler dans le règlement intérieur que les principes de laïcité de l'enseignement et de neutralité du service public sont pleinement applicables au sein des établissements scolaires publics. » La circulaire n° 2011-112 du 1er août 2011[2] sur le règlement intérieur dans les EPLE rappelle fort opportunément ce que l’on l’ignore trop souvent : celui-ci définit « les règles relatives aux droits et aux devoirs de chacun des membres de la communauté éducative », c’est à dire les personnels de direction, d’éducation, d’orientation, enseignants,  administratifs, techniciens, ouvriers, de service, de santé et sociaux, parents d’élèves et élèves,[3]. Il y a donc là élargissement de l’application du principe de laïcité aux parents et aux élèves.

La dernière phrase lève toute ambiguïté sur le sens donné au principe de laïcité : « Ces principes permettent notamment d'empêcher que les parents d'élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu'ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires ». Il s’agit bien non plus que les agents du service public soient neutres pour pouvoir prétendre accueillir les élèves et les familles dans toute la diversité de leurs convictions, mais que intervenants ou parents accompagnant sorties ou voyages scolaires appliquent le même principe. « Par leur tenue ou leurs propos » : l’emploi de la conjonction « ou » et non de la conjonction « et » n’est pas le fait du hasard. Il suffira donc de porter une tenue qui sera jugée comme manifestant des «convictions religieuses, politiques ou philosophiques » pour être empêché d’accompagner une sortie scolaire.

Est-ce là la meilleure façon de "renforcer la coéducation avec les parents", objectif également affiché dans la même annexe 10 de la circulaire du 27 mars ? On y lit notamment ceci : « Il appartient à chacun, quelle que soit sa fonction, de tout mettre en œuvre pour améliorer l'implication des parents. Les réunions d'information de début d'année scolaire, dans les écoles et les établissements d'enseignement du second degré, sont le cadre idéal pour expliciter les enjeux de leur représentation au sein des différentes instances afin de les encourager à s'investir. »

L’investissement  bénévole dans l’accompagnement d’une sortie scolaire pourrait, selon la circulaire du 27 mars, être soumis à une obligation vestimentaire dissuasive pour une partie des citoyen(ne)s. On est bien loin, semble-t-il, de la préoccupation de Condorcet , ainsi formulée en 1791 dans les Mémoires sur l’instruction publique : « La Constitution, en reconnaissant le droit qu’a chaque individu de choisir son culte, en établissant une entière égalité entre tous les habitants de la France, ne permet point d’admettre, dans l’instruction publique, un enseignement, qui, en repoussant les enfants d’une partie des citoyens, détruirait l’égalité des avantages sociaux et donnerait à des dogmes particuliers un avantage contraire à la liberté des opinions. » En repoussant de l’exercice de la coéducation une partie des parents, ne donne-t-on pas aujourd’hui à des pratiques culturelles particulières un désavantage contraire à la liberté des opinions, et un avantage à ceux dont les pratiques vestimentaires, perçues comme allant de soi, les parent d’une vertueuse neutralité ?

Il aura donc suffi d’un paragraphe d’une annexe de circulaire pour passer  d’une laïcité « accueillante, idéal d’une société ouverte » à ce qu’il faut bien appeler une laïcité d’empêchement.


[1] http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=59726

[2] http://circulaires.legifrance.gouv.fr/pdf/2011/08/cir_33687.pdf

[3] « Elle réunit les personnels des écoles et établissements, les parents d'élèves, les collectivités territoriales ainsi que les acteurs institutionnels, économiques et sociaux, associés au service public de l'éducation. » Code de l’Education, article L111-3

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