En cette rentrée se diffuse le numéro de la revue trimestrielle de l’AFAE, Administration et éducation[1], dont le dossier interroge : le numérique, une chance pour le système éducatif ? Au même moment, il est question au ministère de l'éducation nationale d’un changement à la tête de la direction du numérique pour l’éducation. Il n’est pas inutile d’esquisser un bilan d’étape de la refondation du numérique pour l’éducation.
S’il est une évolution notable des termes du débat, c’est que désormais la question n’est plus abordée d’abord en termes d’équipement, de matériels, mais en termes pédagogiques et éducatifs. La question posée est moins une question technique qu’une question de culture et d’éthique. Ce que souligne de façon humoristique le titre de la contribution de Pascal Plantard au numéro de la revue de l’AFAE : Numérique et éducation : encore un coup de « tablette magique » ?
Selon Joël de Rosnay, dans sa contribution au même dossier, « ainsi pourraient être reliées éducation et culture, car la démarche cartésienne a fragmenté la connaissance en une multitude de territoires disciplinaires séparés. Dans les pays occidentaux industrialisés, ces fractures ont entraîné un schisme des cultures (…) Etre cultivé aujourd’hui, c’st savoir intégrer. Un usage raisonné du numérique en éducation permettrait de faire vivre une nouvelle conception de la culture, capable de rassembler des éléments et des faits séparés, en une cohérence utilisable dans la vie et dans l’action pour leur donner du sens ».
Lui fait écho dans le même numéro Alain Boissinot, qui met l’accent sur l’émergence d’ « un nouveau paradigme pédagogique », marqué à la fois par un déplacement essentiel de la relation avec le savoir et un nouvel espace-temps. Ce qui « pose au système éducatif un problème culturel majeur » dont la résolution passera non par le remplacement d’un modèle par un autre mais par un métissage didactique.
Bruno Devauchelle souligne pour sa part « la lente prise de conscience des enjeux du numérique », la nécessaire prise en compte de la dimension humaine, et le besoin de « passer de la défiance à la confiance », en développant des activités reposant « sur les productions d’élèves, à partir de l’observation et de l’analyse de l’environnement ».
On peut mesurer le chemin parcouru depuis 2012, en rappelant quelques jalons posés avant la loi de refondation de l’école et après.
En mai 2012, le ministère de l’éducation nationale publie un vademecum, Vers des centres de connaissances et de culture[2], visant à « mettre les espaces et les temps au service de chacun des élèves », en favorisant « un décloisonnement entre la vie scolaire et la vie pédagogique ».
En mai 2013, se tient une conférence internationale à l’ENS de Lyon sur le thème : Cultures numériques, éducation aux médias et à l’information[3]. Elle place au cœur de la réflexion les questions posées par ce que les intervenants selon leur pays appellent las nuevas alfabetizaciones, media and information litteracy, connected learning at school, lecture et écriture numérique, mais aussi par la métamorphose des ressources et des métiers de l’enseignement.
En juillet 2013, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école fait de l’éducation aux médias et à l’information une des composantes du socle commun de connaissances de compétences et de culture.
En janvier 2015, la ministre de l’éducation nationale institue le parcours citoyen qui repose sur « une éducation aux médias et à l’information prenant pleinement en compte les enjeux du numérique et des ses usages. Indissociable de la transmission d’une culture de la presse et de la liberté d’expression, l’éducation aux médias et à l’information est un enseignement intégré de manière transversale dans les différentes disciplines. Il doit apprendre aux élèves à lire et à décrypter l’information et l’image, à aiguiser leur esprit critique et à se forger une opinion, compétences essentielles pour exercer une citoyenneté éclairée et responsable en démocratie.
Le ministère veillera, ajoute la ministre, à ce qu‘un média – radio, journal, blog ou plateforme collaborative en ligne – soit développé dans chaque collège et dans chaque lycée. Les professeurs documentalistes seront tout particulièrement mobilisés à cette fin. C’est en effet en engageant les élèves eux-mêmes dans des activités de production et de diffusion de contenus, notamment à travers les réseaux sociaux et les plateformes collaboratives en ligne, qu’ils prendront le mieux conscience des enjeux attachés à la fiabilité des sources, à l’interprétation des informations et à la représentation de soi en ligne[4] ».
En avril 2015, le conseil supérieur des programmes, créé par la loi de refondation de 2013, remet ses projets de programme pour l’école et le collège[5] qui compte l’éducation aux médias et à l’information dans le programme du cycle 4. Elle vise trois objectifs pour chaque élève :
« - une connaissance critique de l’environnement informationnel et documentaire du XXIe siècle
- une maîtrise progressive de sa démarche d’information, de documentation
- un accès à un usage sûr, légal et éthique des possibilités de publication et de diffusion ».
On attend tout prochainement la version définitive des programmes que le CSP a retravaillés après la consultation nationale qui a suivi la publication des projets.
En août 2015, la nouvelle circulaire de mission des conseillers principaux d’éducation[6] indique qu’ « ils participent, avec le(s) professeur(s) documentaliste(s), et dans le respect des missions de chacun, à la prise en charge des élèves hors du temps de classe pour favoriser les apprentissages, notamment en mettant à leur disposition les espaces et les ressources nécessaires.»
Ce bref rappel montre bien la cohérence entre les impulsions ministérielles, le cap tenu par la direction du numérique pour l’éducation et la réflexion des chercheurs et pédagogues sur les enjeux du numérique pour l’éducation. Un point d’étape encourageant, donc.
[1] Administration et Education, revue de l’association française des acteurs de l’éducation, http://www.education-revue-afae.fr/. rappelons aussi sur ce thème le n° 67 de la revue internationale d’éducation de Sèvres, abondamment cité par divers auteurs de contributions au dossier d’A&E : http://www.ciep.fr/revue-internationale-deducation-sevres/pedagogie-et-revolution-numerique
[2] http://cache.media.eduscol.education.fr/file/actus_2012/77/1/2012_vademecum_culture_int_web_214771.pdf
[3] http://emiconf-2013.ens-lyon.fr/
[4] http://www.education.gouv.fr/cid85644/onze-mesures-pour-un-grande-mobilisation-de-l-ecole-pour-les-valeurs-de-la-republique.html
[5] http://www.education.gouv.fr/cid87938/projets-de-programmes-pour-l-ecole-elementaire-et-le-college.html
[6] http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=91890