Le 16 décembre dernier, Libération[1] a publié le troisième volet du journal de bord que tient pour ce quotidien national un professeur d’anglais dans un collège difficile de Provence- Alpes- Côte d’Azur, établissement ECLAIR (écoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite).
Dans ce journal de bord, titré par le quotidien Une odeur de brûlé envahit la salle de cours, le lecteur peut lire tout l’engagement professionnel d’un professeur et de ses collègues pour faire progresser, dans un contexte difficile, des élèves sur qui elle porte un regard exigeant et généreux.
On s’arrêtera à ce qu’elle note pour la journée du mardi 15 novembre, que l’on reproduit in extenso ci-dessous.
La journée commence mal. Marie est arrivée vingt minutes en retard. Elle ne devrait pas être là, mais retenue en permanence. Marie est dans une de mes classes de cinquième où tout est compliqué. Une classe dans laquelle, trois fois par semaine, j’essaie de cacher à quel point je suis tendue. J’ouvre la porte et lui signifie que je ne l’accepte pas, car il y a un règlement. Marie repart, mais pendant ces quelques minutes la classe s’est dispersée. Abo est debout. Soufian rit très fort, les autres bavardent. On refrappe à la porte. C’est Marie : «Ils veulent un mot en bas.» Mais un mot de quoi ? Dans le règlement sur les retards, il est clairement spécifié qu’ils sont gérés «en bas», les enseignants n’ont pas de «mots» à faire. Le cours est à nouveau interrompu, et cela me rend furieuse. Je fais un mot. Il est sec, mais clair.
Dans ce court extrait, on perçoit clairement le quotidien du professeur dans ses classes : une classe où « tout est compliqué », mettant à chaque cours le professeur en état de tension ; le cours, victime de tout événement fortuit, comme l’arrivée d’une élève en retard ; l’occasion de cette interruption saisie par plusieurs élèves pour s’agiter ; le temps perdu à rétablir l’ordre dans la classe. La nouvelle interruption du cours, qui met le professeur en fureur.
On s’intéressera dans ce billet aux mots employés. L’élève Marie « est arrivée vingt minutes en retard. Elle ne devrait pas être là, mais retenue en permanence. »
Dans un établissement difficile, un(e) élève difficile doit être « retenu(e) en permanence ». Le professeur a certainement de bonnes raisons de ne pas souhaiter que l’élève assiste à son cours qu’elle perturbe gravement. Mais ici, l’élève est exclue a priori du cours, et l’essentiel est qu’elle soit « retenue en permanence » : avec quel travail à faire, quels apprentissages à réaliser ? Le journal pose cette rétention en permanence comme attendue, et la venue de l’élève en cours comme inattendue. Il y a là de quoi alerter le lecteur sur ce que cela signifie, qu’un professeur qui aime son métier, s’intéresse à ses élèves, ait besoins qu’un(e) élève soit exclue de cours. « Retenue en permanence », à tous les sens du terme ? Voici donc une école ou l’école ne se fait qu’à la condition que certains en soient écartés.
« J’ouvre la porte et lui signifie que je ne l’accepte pas, car il y a un règlement. » Le professeur s’appuie sur le règlement pour argumenter son refus d’accueillir Marie. Que prévoit le règlement intérieur du collège ? Y serait-il envisagé, en contradiction avec les règles nationalement établies[2], qu’un(e) élève puisse être exclu(e) de cours et retenu(e) en permanence sans accompagnement particulier ? Si tel était le cas, l’élève se serait-elle présentée en cours d’anglais ?
Quand Marie revient à nouveau frapper à la porte, elle se justifie : « ils veulent un mot en bas ». Et le professeur enchaîne dans son journal : « Mais un mot de quoi ? Dans le règlement sur les retards, il est clairement spécifié qu’ils sont gérés «en bas», les enseignants n’ont pas de «mots» à faire ».
Le service de la vie scolaire ne sera pas nommé autrement que par sa localisation symboliquement forte : « en bas ». Si « en bas » on veut un mot, c’est sans doute que l’exclusion de ce cours d’anglais en train de se dérouler n’a pas été prévue, décidée, et que l’on demande en effet un mot au professeur, pour s’assurer que l’élève ne s’auto-exclut pas d’elle-même d’un cours qu’elle ne voudrait pas suivre. Si les retards sont gérés « en bas », il en va autrement des exclusions de cours. « Les professeurs n’ont pas de mots à faire ». On trouve ici l’expression d’une répartition du travail, entre le professeur qui enseigne, et exclut pour pouvoir enseigner sans avoir de mot à faire, et cet « en bas » qui doit pourvoir à la prise en charge et l’exécution des décisions souveraines du professeur.
On perçoit bien combien cette répartition est peu opérante, et sur quelles tensions elle peut déboucher, tensions parfaitement opposées à l’efficacité de toute démarche éducative. Le professeur vit ce retour de Marie en classe comme une mise en cause de son autorité. « En bas », on a sans doute voulu respecter un protocole d’exclusion de cours. Et Marie, comme une balle de tennis, est renvoyée de la classe « en bas », et d’ «en bas » à l’étage des cours.
Il n’est pas question d’incriminer si peu que ce soit l’auteur de ce témoignage. Mais de prendre son témoignage pour ce qu’il est. Une alerte adressée à tous les responsables éducatifs. Si, dans nos établissements, la tension existe entre professeurs et conseillers principaux d’éducation, si les uns et les autres n’agissent pas de manière concertée et dans le respect du travail et des compétences de chacun pour éduquer les élèves, quel résultat attendre pour Marie et celles et ceux qui sont dans la même situation ? Tant qu’il y aura une école d’en haut et une école d’en bas, le second degré ne surmontera pas les difficultés éducatives que chacun de ses personnels peut y rencontrer.
[1] http://www.liberation.fr/vous/01012377952-une-odeur-de-brule-envahit-la-salle-de-cours
[2] « L’exclusion ponctuelle d’un cours ne peut être prononcée que dans des cas exceptionnels. Elle s’accompagne nécessairement d’une prise en charge de l’élève dans le cadre d’un dispositif prévu à cet effet et connu de tous les enseignants et personnels d’éducation » Circulaire n° 2011-111 du 1-8-2011 Organisation des procédures disciplinaires dans les collèges, les lycées, les EREA, mesures de prévention et alternatives aux sanctions.