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Billet de blog 15 mai 2012

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Jules Ferry : quel message pour l’école d’aujourd’hui ?

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Jules Ferry ne fut pas seulement maire de Paris dans les circonstances de la défaite de 1871 où il acquit auprès des parisiens le surnom de Ferry-Famine,  puis homme de pouvoir de 1879 à 1885 : ministre de l’instruction publique et des beaux arts entre 1879 et 1883, président du conseil en 1880-81 et de 1883 à 1885, ministre des affaires étrangères de 1883 à 1885 (c’est à ce dernier poste qu’il mène la politique d’expansion coloniale où il gagne le surnom de Ferry-Tonkin), puis président du Sénat.

C’est sous sa présidence du conseil que des lois fondamentales sur les libertés sont votées : liberté de réunion  (juin 81), de la presse (28 juillet 1881), élection des maires par les conseils municipaux (28 mars 1882), et publicité des séances des conseils municipaux (5 avril 1884), loi sur les syndicats professionnels (loi Waldeck Rousseau du 21 mars 1884).

Dans le domaine de l’instruction publique, si l’on connaît la dissolution des congrégations d’hommes non autorisées, l’instauration d’une école primaire gratuite (16 juin 1881), laïque et de l’instruction obligatoire (28 mars 1882), on doit se souvenir aussi de l’extension aux jeunes filles du bénéfice de l’enseignement secondaire d’Etat (loi Camille Sée, 21 décembre 1880) et de la fondation de l’école normale supérieure à Sèvres destinée aux jeunes filles.

Mais avant tout cela, sous le second empire, Jules Ferry fut élu député républicain en 1869.

Le 10 avril 1870, il prononce salle Molière à Paris, une conférence intitulée De l’égalité d’éducation.

« Dans une société qui s’est donné pour tâche de fonder la liberté, il y a une grande nécessité de supprimer les distinctions de classe. Je vous le demande, de bonne foi, à vous tous qui êtes ici et qui avez reçu des degrés d’éducation divers, je vous demande si, en réalité, dans la société actuelle, il n’y a plus de distinction de classes. Je dis qu’il en existe encore ; il y en a une qui est fondamentale, et d’autant plus difficile à déraciner que c’est la distinction entre ceux qui ont reçu l’éducation et ceux qui ne l’ont point reçue. Or, messieurs, je vous défie de faire jamais de ces deux classes une nation égalitaire, une nation animée de cet esprit d’ensemble et de cette confraternité d’idées qui font la force des vraies démocraties, si entre ces deux classes, il n ‘y a pas eu le premier rapprochement, la première fusion qui résulte du mélange des riches et des pauvres sur les bancs de quelque école[1] ».

Cent quarante deux ans plus tard, on a bien envie de passer l’école française d’aujourd’hui au crible des convictions du député républicain de 1870. La République a–t-elle tenu sa promesse d’une nation égalitaire, fraternelle, « mélangeant les riches et les pauvres sur les bancs de quelque école » ?

Bien des données disponibles témoignent du contraire. On peut dire aujourd’hui que coexistent une école d’en haut et une école d’en bas,  des établissements que l’on cible en habitant dans leur secteur de recrutement ou en dérogeant à la sectorisation,  et des établissements que l’on évite quand on n’y est pas socialement, culturellement relégué. Les analyses d’Eric Maurin[2] ont fait apparaître le séparatisme social à l’œuvre dans notre société, créant de véritables fractures territoriales verrouillant l’avenir des individus, assignés à des destins scolaires et sociaux écrits d’avance. Ainsi « les adolescents dont l’un des parents au moins est diplômé du supérieur vivent en moyenne dans des voisinages où le taux de retard à 15 ans est d’environ 13%. A l’opposé les enfants dont l’un des proches est sans diplôme vivent dans des voisinages où le taux de retard à 15 ans est plus de quatre fois plus élevé (56%) ». Et au collège Eric Maurin observe ceci. « La proportion d’enfants de classe modeste  (ouvriers ou chômeurs) varie ainsi de 1 à 3 entre les 10% de collèges les moins populaires et les 10% de collèges les plus populaires : ils représentent 20% des effectifs dans le premier cas et 70% dans le second. De même, dans les 10% de collèges les plus populaires, 1 élève sur 6 (soit 4 à 5 par classe) environ est très en retard (au moins deux ans de retard), alors que cette proportion est résiduelle (moins de 1%) dans les 10% de collèges les plus bourgeois ». En plus de cette ségrégation entre établissements, il faut compter avec une « ségrégation au sein même des établissements. Pour garder leurs quelques élèves de bon niveau et éviter qu’ils ne fuient vers le privé ou ne contournent la carte scolaire, les établissements défavorisés sont bien souvent obligés de regrouper leurs meilleurs éléments dans des classes protégées. Pour se prémunir des effets de la ségrégation territoriale,  les établissements lui ajoutent une ségrégation plus proprement scolaire, créant ainsi des élèves doublement relégués, peuplant les classes de relégation au sein de quartiers de relégation

Le constat est sans appel. Si on ajoute à cela qu’à horaire égal d’enseignement, les élèves des collèges les moins favorisés bénéficient d’une exposition à l’enseignement réduite par rapport à ceux des collèges favorisés en raison du temps passé par leurs enseignants à maintenir la discipline dans la classe pendant que leurs collègues des établissements favorisés enseignent leur discipline, l’inégalité scolaire est encore renforcée. La dernière enquête PISA en 2009 a souligné le lien entre les écarts de performance des élèves français de 15 ans et le statut social économique et culturel de leurs parents : l’école française ne réduit pas la fracture socio-économique entre ses élèves[3].

La conviction républicaine de Jules Ferry, exprimée en 1870, mérite d’être rappelée à l’occasion de l’hommage que le président de la République lui rend en inaugurant son quinquennat. Le chantier de l’égalité scolaire sera une grade cause des cinq années qui s’ouvrent. Et l’on perçoit bien que pour réaliser des progrès significatifs dans cette voie, il faudra une mobilisation  qui aille bien au delà de l’école elle-même.


[1] FERRY, Jules, De l’égalité en éducation, in Guide républicain, SCEREN-Delagrave, 2004

[2] MAURIN, Eric,  Le ghetto français, enquête sur le séparatisme social, Seuil, 2004

[3] PISA (programme for international student assessment) est une enquête menée tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les 34 pays membres de l’OCDE et dans de nombreux pays partenaires. La prochaine collecte est prévue pour 2012.

http://www.oecd.org/document/24/0,3746,en_32252351_32235731_38378840_1_1_1_1,00.html

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