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Billet de blog 15 juin 2011

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''Refonder l'Euro''

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le texte ci-après date du 3 octobre 2000 ; à l'époque, 21 mois venaient donc de s'écouler depuis la fixation le 01/01/1999 des parités de conversion entre l'Euro et les monnaies nationales européennes (celles des pays de l' ‘'Euroland'') qu'il allait remplacer à compter du 01/01/2002 ; certes, on n'en était pas encore là où on en est aujourd'hui (c'est-à-dire à parler ouvertement de l'explosion en vol de l' ‘'Euroland''), il n'empêche : pourtant présenté par ses concepteurs comme permettant de stabiliser les échanges internationaux, 21 mois après ses premières cotations sur le marché des changes, l'Euro avait chuté de quelque 25 % par rapport au $... (ce qui n'allait pas l'empêcher de ''remonter derrière'' pour cette fois, cruellement -demandez à Airbus !- ''pénaliser les exportateurs européens'').

<< A propos de l'Euro, ce qui bien entendu était demandé aux responsables européens n'était pas, après qu'ils en eurent lancé le train avec le naïf enthousiasme que l'on sait, d'en commenter ainsi qu'ils le font aujourd'hui la bouche en cœur, la chute vertigineuse. Ce que l'on attendait d'eux c'était, avant le 1er janvier 1999, quand il en était encore temps que, en raison de sa conception simpliste (comme monnaie unique destinée, quoi qu'il en soit de l'intégration politique de l'Europe, à prendre la place des monnaies nationales européennes), ils concluent que l'Euro devait s'effondrer. En effet, l'Euro aurait encore été médité et aujourd'hui l'Europe ferait l'économie du psychodrame du krach rampant de sa monnaie lequel ne la sert ni auprès des Européens ni dans le monde (évidemment, nous ne voulons pas ici penser aux conséquences cataclysmiques qu'aurait une implosion de l'Union Monétaire Européenne ; sur ce point, rappelons simplement que l'Histoire a déjà vu des expériences d'unions monétaires qui, en raison des contradictions insolubles qu'elles généraient, finalement collapsaient).

En ce qui nous concerne, c'est bien avant le 1er janvier 1999 que, dans le cadre de notre travail de consultant, sans doute à contre courant, néanmoins avec la plus grande constance,

-nous avons annoncé l'échec programmé de l'Euro-Comme-Monnaie-Unique (l'Euro CMU),

-nous avons dit que l'Euro devait être refondé.

A cet égard, une observation décisive s'impose : la conception d'une monnaie européenne n'est pas un simple problème de géopolitique où il s'agit de construire un rapport de forces avec les Etats-Unis ou le Japon. Fondamentalement, la construction d'une monnaie européenne relève du problème récurrent qui pèse sur les relations économiques internationales depuis le début des Temps Modernes et qui est celui de la mise en place d'une véritable monnaie internationale.

S'agissant de cette question, on peut dire aujourd'hui que l'Histoire confirme les enseignements de la plus haute théorie monétaire : techniquement (et non pas politiquement !) la monnaie internationale doit être une monnaie supranationale c'est-à-dire une monnaie située ‘'au-dessus'' des monnaies nationales des pays qui commercent, ces monnaies devant continuer d'exister !

Précisément, c'est ce que doit être l'Euro refondé à l'échelle de l'Europe : la préfiguration d'une telle monnaie.

Concrètement, sous le régime de l'Euro refondé :

1° l'Allemagne n'étant pas l'Irlande, qui n'est pas l'Espagne, laquelle n'est pas la France, qui elle-même... etc, etc... chaque pays européen conservera ‘'en interne'' sa monnaie nationale (la dynamique engagée par l'Euro CMU et conduisant à la disparition annoncée des monnaies nationales européennes doit donc être enrayée),

2° assurant la validité des paiements inter-européens, l'euro ‘'coiffera'' les monnaies nationales européennes (lesquelles homogénéiseront -elles le font déjà- les productions nationales en chaque pays européens) ; à ce titre, l'Euro sera ‘'la monnaie des monnaies européennes'',

3° l'Euro sera la monnaie des Européens entre eux. A l'échelle de l'Europe, chaque monnaie nationale se trouvera prise :

-avec l'Euro, dans des rapports de change absolu fixes,

-avec les autres monnaies nationales, ceci par l'intermédiaire de l'Euro, dans des rapports de change relatifs fixes (à cet égard, donc, pas de changement : la fixité du change entre l'Euro et les monnaies nationales européennes est un acquis de l'Euro CMU depuis le 01/01/1999),

4° l'Euro sera la monnaie extra-européenne de l'Europe dans ses relations avec le reste du monde. A ce niveau, l'Euro se trouvera pris avec les devises extra-européennes dans des rapports de change qui seront fixés par le marché,

5° l'Euro sera créé par la Banque Centrale Européenne qui l'émettra et circulera entre cette Banque, ses Bureaux de représentation dans chacun des états nationaux européens, à charge pour ces Bureaux, en liaison avec les autorités monétaires locales, de suivre la conversion des monnaies nationales en Euros (et réciproquement) ceci en fonction des paiements internationaux effectués entre eux par les Européens.

Le modèle de l'Euro refondé (ici simplifié à l'extrême -comment pourrait-il en être autrement !) est le fruit de dizaines d'années de travaux universitaires rigoureux, argumentés, récompensés à plusieurs reprises par le CNRS (cf. Bernard Schmitt, La monnaie européenne, PUF, 1977 ; La France souveraine de sa monnaie, Castella, Albeuve et Economica, Paris, 1984). Comment douter qu'à ce titre, il supporterait sans trop de difficulté l'épreuve d'un test comparatif avec le ‘'modèle'' de l'Euro CMU ? Franchement, qui aujourd'hui peut encore prétendre que l'Euro puisse ne tenir qu'en 3 ‘'critères de convergence'' ? Qui peut encore prétendre que l'Euroland soit ‘'une zone monétaire optimale'' ?

Tout cela étant dit, on peut maintenant revenir à la géopolitique.

Il est absolument vrai que la construction de l'Euro a une dimension politique. Fondant cette construction, il y a en effet l'objectif politique stratégique que s'est assigné l'Europe de rééquilibrer le monde au détriment des Etats-Unis. Le problème alors est que de ce point de vue aussi, il est un vice rédhibitoire qui condamne l'Euro CMU : il n'est que la machine de guerre des Européens construite pour concurrencer la machine de guerre américaine dans la lutte pour la conquête des marchés mondiaux ; comment alors imaginer que l'Europe puisse, alternativement aux Etats-Unis, ‘'moraliser'' la mondialisation ? Il est bien évident que si c'est pour la dominer que l'Europe s'avance sur la scène internationale, son autorité sera aussitôt contestée ainsi que l'est aujourd'hui celle des Etats-Unis.

Au contraire, l'Euro refondé préfigurant la monnaie internationale dont la globalisation a besoin, ceci pour être non pas le déversement compulsif sur les pays faibles des productions des pays les plus avancés, mais l'échange (quand il s'agit d'équivalents économiques !) de toutes les productions nationales, l'Europe pourra, en paix avec elle-même et avec ses partenaires, promouvoir des relations économiques internationales respectueuses des spécificités et des rythmes de développement propres à chaque pays. N'est-ce pas ce que demande l'opposition ‘'citoyenne'' à la mondialisation sans principes ? >>

Outre qu'il reste de la plus brûlante actualité (non ?), ce texte présente aussi l'intérêt d'avoir, à la virgule près, été soumis à Laurent Fabius (c'était le 03/10/2000), l'alors ‘'Ministre de l'Economie des Finances et de l'Industrie'', et à Jean Pierre Chevènement (c'était le 08/06/2001), l'alors Président d'honneur du ‘'Club République Moderne''.

Dire que maintenant on n'arrête plus de gloser sur la ‘'suffisance'' voire l' ‘'arrogance'' de ceux qui nous gouvernent !... Or vous savez quoi ? eh bien ce texte, c'est ‘'avec la plus grande attention'' que le premier l'a lu ; quand au second, c'est ‘'avec intérêt qu'il en a pris connaissance''. Essayez donc d'imaginer où nous en serions aujourd'hui si tel n'avait pas été le cas !

Jean Tramuset

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