De la dette d'intérêts (une dette nette, c'est-à-dire sans contrepartie en devises) due par un pays A au titre de ses emprunts extérieurs, ‘'remontons'' à DI, c'est-à-dire au résidant ou au groupe de résidants du pays A qui sont porteurs de cette dette envers R (R comme ‘'Reste du monde'' -CI étant ‘'réciproquement'', en R, le créancier ou le groupe de créanciers de ces intérêts).
Deux conditions doivent être réunies pour que les intérêts dus par le pays A puissent être versés par lui (ceci moyennant un flux ‘'inter-national'' -en toute rigueur, un flux ‘'transnational'') : 1° le porteur de la dette d'intérêt (DI) doit avoir à sa disposition un revenu intérieur, c'est à dire un revenu produit par l'économie (nationale) du pays A -ceci sachant que DI aura obtenu ce revenu par sa production ou par la vente de titres financiers sur le marché intérieur de A (le cas où cette vente de titres aurait été effectuée à l'étranger signifiant évidemment que le paiement de l'intérêt est différé) ; 2° le pays A où réside DI doit être excédentaire : ses exportations doivent l'emporter sur ses importations pour lui apporter ce que, à juste titre, on peut appeler un revenu extérieur ; à cet égard, l'intérêt ne pouvant qu'être payé en la monnaie du pays des créanciers des intérêts (et donc au moyen de devises), il est bien entendu que cette deuxième condition est sine qua non.
L'existence de ‘'deux'' revenus est donc nécessaire au paiement de l'intérêt : un revenu (intérieur au pays A) de DI, et un revenu extérieur du pays A considéré dans son ensemble. Ici alors, toute la question est de savoir si ces revenus contribuent l'un et l'autre, séparément, au paiement de l'intérêt ou s'ils fusionnent en un revenu unique, celui-ci étant la seule ‘'valeur'' absorbée par ce paiement.
Or, si l'on dit :
1) qu'il est parfaitement possible que, dans la même période, tandis que DI dispose d'un revenu intérieur suffisant pour payer, de son côté, le pays A ne parvienne pas à former le revenu extérieur qui lui est nécessaire pour ce faire ;
2) qu'il est absolument certain que le revenu dont DI doit disposer pour pouvoir payer (un produit de A !), et un revenu extérieur de A (donc un produit... de R !) ne peuvent coïncider ;
3) la conclusion n'est-elle pas (en effet !) que DEUX revenus DISTINCTS payent les intérêts transnationaux ? Que donc, quand 10 $ d'intérêts transnationaux sont payés, le VRAI coût de ce paiement n'est pas 10 $ mais bien... 20 $ ?
C'est la (formidable !) conjecture du double paiement des intérêts transnationaux (DPIT)[1].
D'abord, elle semble totalement improbable, complètement fantaisiste : comment, en un seul paiement, DI pourrait-il bien payer deux fois (et CI être crédité deux fois !) ? La raison en est qu'une telle conception du DPIT est d'une très grande naïveté : sa réalité est autrement subtile.
A cet égard, soit n'importe quel paiement du pays A au pays R. Son présupposé étant un parfait échange (un ‘'produit'' de A contre des devises de R -savoir, celles qui auront permis à A de faire ce paiement), sa ‘'signature'' en sera la dénaturation de cet échange (préalable) : de ‘'parfait'' (compte tenu des devises gagnées en contrepartie par A), cet échange sera devenu ‘'imparfait'' (les devises gagnées par A étant regagnées par R). Soit alors, à la date où une dette d'intérêts de A sur R devient exigible, sa simple déclaration. Instantanément, cette (simple) déclaration sera, chez A, un échange ‘'imparfait'' (chez R, un ‘'produit'' de A -en l'occurrence une créance réelle sur A- et, chez A, en ‘'contrepartie'' de celle-ci : ... rien, absolument RIEN !). Instantanément donc, la SEULE déclaration d'une dette d'intérêts du pays A sur le pays R vaudra, pour A, son paiement... réalisé ! Or, cela va de soi, une dette d'intérêts s'étant déclarée sur le pays A au bénéfice du pays R, ce qui serait ‘'normal'' est que, s'agissant du paiement de cette dette, ce soit ‘'dans un 2ème temps'' que A l'exécute. Allons donc jusqu'à ce ‘'2ème temps''. C'est l'évidence, tout sera comme si, à son terme, A aura payé quelque chose... qu'il a déjà payé ! Bref, tout sera comme si, au terme de ce ‘'2ème temps'', A aura fait un deuxième paiement !
Concrètement, le DPIT est l'enrichissement injustifié obtenu, dans sa globalité anonyme, par tout pays d'un créditeur d'intérêts au détriment de tout pays d'un débiteur d'intérêts (ce débiteur s'étant acquitté de sa dette).
Précisément, il se trouve que cet enrichissement est, ‘'au $ près'', corroboré par les faits.
A ce sujet, tenons-nous en au cas des pays ‘'en voie de développement'' (PVD) -ceci en raison de la ‘'simplification'' qu'introduit le fait que, n'étant pas prêteurs (qui s'en étonnera!), ils ne perçoivent pas d'intérêts créditeurs. Nous nous arrêterons donc aux statistiques concernant les quelque 130 developing countries tirées des Global Development Finance publiées chaque année par la World Bank ; datées de 1997 et 1998, ces statistiques couvrent la période de 7 années courant de 1990 inclus à 1996 inclus[2].
1° Le DPIT : confirmation par les paiements
Tenons-nous en strictement aux chiffres (des milliards de $ US) et à leur traitement par la World Bank. Sur la période considérée, le montant des devises ayant alimenté la ‘'caisse'' des PVD est donné par l'addition des prêts (loan disbursements pour 1 404 mds) des foreign direct investments (474 mds), des portfolio equity flows (177 mds) enfin des dons (grants) en devises (217 mds) ; au total 2 272 mds. Sur la même période, les financements en devises effectués à partir de la ‘'caisse'' des PVD ont consisté dans le remboursement du principal de l'endettement international des résidants (793 mds), le paiement de leurs intérêts internationaux (544 mds), de la rémunération des investissements internationaux (160 mds), de la balance négative de leurs transactions courantes (hors les intérêts 37 mds), enfin le financement de l'augmentation des réserves (611 mds en 1996 - 207 mds en 1990 = 404 mds) ; au total 1 938 mds.
La question alors est la suivante : ‘'dans les comptes des PVD, comment expliquer la disparition de 334 mds, différence entre 2 272 mds de ‘'recettes'' et 1 938 mds de ‘'dépenses'' ? Les réserves des PVD n'auraient-elles pas dû passer fin 1996 à 611 + 334 = 945 mds ?''
Or soit ce que la théorie du double paiement des intérêts transnationaux DEMONTRE.
Ce qu'elle démontre est qu'outre les 544 mds d'intérêts payés entre 1990 et 1996 par les PVD au titre de leurs emprunts internationaux (ceci pour assurer le premier paiement de ces intérêts), ‘'les réserves de leurs pays ont nécessairement subi, sur la même période, une deuxième ponction d'un montant équivalent''. L'objection alors est que, censément de 544 mds, en réalité, ce (prétendu) ‘'2ème paiement'' ne produitdans les comptes des PVD qu'un manque à gagner de... 334 mds.
Or, les intérêts internationaux ayant été payés une deuxième fois ‘'par les réserves des PVD comme pays des débiteurs d'intérêts‘' (cf. ci-dessus), si l'on dit que tout s'est passé comme si, du fait de ce deuxième paiement, les pays des créanciers d'intérêts (les pays R) avaient reçu (en leurs monnaies) des pays des débiteurs (les pays A), comme un véritable don caché égal aux intérêts déjà payés par leurs résidants ? Si l'on dit donc que donateurs visibles pour 217 mds (voyez les statistiques ci-dessus), les pays R ont été, en raison du 2ème paiement des PVD, donataires cachés pour 544 mds, c'est-à-dire donataires nets pour 544 - 217 = ... 334 mds (précisément, ‘'au $ près''... le montant du ‘'trou noir'' observé dans la trésorerie des PVD après prise en compte de tous les flux financiers dont, de 1990 inclus à 1996 inclus, ils ont été crédités et débités) ?
2° Le DPIT : confirmation par l'endettement net
D'abord, soit cet autre résultat établi par la théorie du (double) paiement des intérêts transnationaux : ‘'tout pris en compte (on est ici au plus profond du sujet -et sans doute au cœur de l'économie internationale, celle-ci étant analysée comme l'économie de l'échange des productions nationales), il n'est qu'une chose et une seule qui fasse la dette extérieure nette (c'est-à-dire la dette extérieure totale moins les réserves en devises) de tout pays : le paiement par les résidants de ce pays de leurs intérêts internationaux nets (différence entre leurs intérêts créditeurs et leurs intérêts débiteurs)''.
Soit alors l'évolution de l'endettement extérieur net des PVD entre 1990 et 1996. Passé fin 1996 à 1 484 mds (= 2 095 mds d'endettement - 611 mds de devises) contre 1 167 mds fin 1989 (= 1 374 mds d'endettement - 207 mds de devises), il s'est donc creusé sur la période de 317 mds. Or on le sait, les PVD ont, sur la période, reçu 217 mds de dons en devises. En l'absence de tels dons, l'augmentation de l'endettement net des PVD aurait donc été de 317 + 217 =... 534 mds (précisément, ceci cette fois à 1,84 % près -‘'au $ près''-... l'augmentation de l'endettement net des PVD entre 1990 et 1996 !)
Qui le contestera encore : la réforme du paiement des intérêts internationaux s'impose qui annulera sa deuxième charge aujourd'hui inéluctable ?
Selon le langage de la théorie des jeux, cette réforme sera du type ‘'win-win'' car les pays des créanciers d'intérêts souffrent aujourd'hui du désordre créé par le capital financier artificiel qui, au moment du paiement des intérêts, se forme indûment chez eux du fait de la perte injustifiée subie par les réserves des pays des débiteurs de ces intérêts.
Jean Tramuset
[1] Dont l'auteur est Bernard Schmitt (B. Schmitt dont, s'agissant du présent texte, la responsabilité ne saurait être recherchée au-delà de l'argument qui vient d'être avancé : lui seul en effet lui est imputable -encore ne l'est-il qu'au fond, et non dans la forme).
[2] Ce qui sera ici dit ne sera-t-il pas que les chiffres sur lesquels nous travaillons datent quelque peu ? Sauf qu'à cet endroit, la seule infirmation recevable des preuves (statistiques) du DPIT que nous allons maintenant donner ne peut consister qu'en la démonstration que, ceci pour la raison que, justement, elles seraient fondées sur des chiffres plus récents, ces preuves... ne prouveraient plus rien !