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Billet de blog 4 mai 2014

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SAPIR versus ÉTIEVANT, économistes...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jacques Sapir a récemment publié une lettre ouverte  à l'intention de Guillaune Étievant à propos de son article  << L’EURO : ON PEUT S’EN SORTIR ! >> article paru dans la revue A Gauche du 25 avril 2014 et publié sur son blog

Dans une autre controverse, récente, qu'il a publiée sous le titre: << Quand la mauvaise foi remplace l’économie: le PCF et le mythe de “l’autre euro” >> à l'adresse  http://russeurope.hypotheses.org/1381 SAPIR critiquait déjà les positions d'auteurs  << qui se prétendent économistes >>, d'un article qui selon lui << combine les approximations avec la mauvaise foi >>...

Le ton est donné  !!!

Une remarque préalable s'impose donc ... 

Il ne faut pas refuser a priori les polémiques vives ou les débats houleux... Au cours de l'histoire des sciences,  il y en a eu, y compris entre scientifiques de renom... Sont par exemple restés célèbres les échanges entre Heisenberg et Einstein. Ces échanges portaient sur les contradictions théoriques  internes (entre la théorie de la Relativité et la Mécanique Quantique de l"Ecole de Copenhague" ). Ces polémiques étaient avant tout théoriques et restaient à ce niveau : le but était de faire avancer la connaissance.

Est-ce bien aussi celui de Monsieur SAPIR ?

La position du Parti de Gauche étant mise en cause, il se peut que  Guillaume ÉTIEVANT prenne  quelques instants pour y répondre lui-même, et de façon plus pertinente... 

Justement, n'étant pas moi-même économiste, j'oserai quelques commentaires qui n'engagent que moi.

<< Un étrange rapport avec la réalité…>>

-1- Le premier argument de SAPIR repose sur une lecture partiale de ÉTIEVANT, qui contrairement à la critique qui lui en est faite ne parle pas du taux de change de l'Euro comme de LA cause de la dés-industrialisation, mais comme d'un élément d'accentuation.

En économie comme dans beaucoup de phénomènes complexes (historiques, sociaux, etc...), le modèle de la cause unique à un événement est rarement pertinent,  il y a le plus souvent des causes multiples et des circularités qui les auto-entretiennent.  De ce fait, sauf à rester dans un modèle d'explication "mécaniste", mono-causal, et contrairement à l'affirmation de SAPIR, l'évocation du taux de change n'est '"incohérente" :

- ni avec la question du coût du capital, en France, qui n'est pas le même qu'en Allemagne par exemple. De sorte que vous acheterez une voiture chez VW qui pourra vous consentir un prêt à taux zéro. Ce que ne pourra pas se permettre Peugeot (bien que sa filière financière ait été soutenue par l'état).

- ni avec la compétitivité hors prix (l'innovation par exemple, peut incontestablement constituer l'un des problèmes : pour reprendre l'exemple précédent, l'an dernier, Peugeot distribuait des dividendes à ses actionnaires et, au même moment, licenciait une partie de son secteur recherche-développement par mesure d'économie).

L'argument de SAPIR : << Les études faites au Ministère des Finances le confirment, qui établissent qu’une dévaluation de 10% entraîne une hausse de la croissance de 1,8% sur deux ans. >>  manque singulièrement de crédibilité... Comment peut-on assurer une telle précision dans des prédictions (un chiffre après la virgule, en % ça fait donc du 1 pour 1000)  alors que, par ailleurs, toutes les prédictions des mêmes services sont d'une telle imprécision... qu'elles en deviennent carrément fausses : reprise de la croissance, inversion de la courbe du chômage...

-2- On lit ensuite...  << que l’euro est bien la clé de voûte de la politique libérale en Europe et en France. >> ... << ce qui en fait un objectif stratégiquepour tous ceux qui entendent casser l’emprise du libéralisme sur notre pays. >>

Tout dépend de la signification que l'on accorde aux termes de  "clé de voûte" et  d' "objectif stratégique".

Dans la critique formulée par SAPIR, l'objectif stratégique devient objectif primordial, commencement et condition première à tout changement... Et la métaphore architecturale peut contribuer à quelques idées fausses : s'attaquer à la "clé de voûte" ferait s'effondrer l'édifice de la politique libérale, la sortie de l'Euro entraverait la politique libérale en France... même si SAPIR prend quelques précautions car, dit-il, la sortie de l'Euro si elle n'est pas suffisante est néanmoins une condition nécessaire.

<< Dans l’idée que vous introduisez qu’il y aurait une possibilité d’un euro meilleur >>  dit SAPIR, << il y a une grandissime illusion.>>.

La sortie de l'Euro ne risque-t'elle pas de constituer justement cette  "grandissime illusion" ? 

Et, sauf à travestir le projet du PG, la question ne se pose pas en terme d'Euro mauvais et d'Euro meilleur, mais en terme de rapport de forces à construire, selon une méthode (démocratique) qui consiste à proposer (aux autres citoyens de la zone) une stratégie commune : contrer la BCE et sa gestion de l'EURO par des mesures de désobéissances concrètes qui permettront aux autres pays qui adopteraient cette même stratégie de reprendre en main leur politique monétaire, et de le faire en se concertant.

Cette stratégie pourrait effectivement conduire à une sortie de l'Euro. Et la sortie de l'Euro n'est pas exclue, ni par le PG. ni par ÉTIEVANT. Mais ce serait alors une sortie préparée par des mesures intermédiaires, permettant à d'autres de s'engager avec nous dans les brèches ouvertes.

Enfin, cette stratégie n'est pas simplement celle du PG mais celle des partenaires constituant le FdG et plus encore puisque c'est la position commune des autres partis de la Gauche Européenne (voir leur liste : http://european-left.org/fr/about-el/member-parties ) dont aucun ne souhaite annoncer sa sortie de l'Euro.

Ce faisant, on prend le risque de se tromper, à plusieurs... mais peut-on avoir raison tout seul ?

-3-   << « Désobéir » signifie se mettre en contradictions avec un traité (celui de Lisbonne) et/ou avec des réglementations européennes. >>

OUI, c'est bien de cela qu'il s'agit comme première urgence. Il est possible d'avancer des mesures à effet immédiat alors qu'un retrait  de l'Euro nécessite un délai et un accord des partenaires.

La procédure de retrait volontaire de l'Union est en effet définie : http://www.senat.fr/rap/r07-188/r07-1885.html (paragraphe 6.b) : << Ce retrait n'est soumis à aucune autre condition que l'existence d'une période transitoire de deux ans, durant laquelle l'Etat souhaitant se retirer peut négocier un accord avec l'Union, fixant les modalités de son retrait et ses relations futures avec l'Union.>>.

Dans les faits, ce délai serait utile pour  "négocier" avec l'Union les conditions d'abrogation des traités actuels et de nouvelles conditions qui permettraient justement de re-fonder l'Europe sur de nouvelles bases. Mais cette "négociation" interviendrait suite à une initiative forte (par exemple : remise en cause de la BCE et de sa souveraineté sur l'Euro) prise pour essayer d'établir (avec d'autres que nous) un rapport de forces plus favorable.

4.  SAPIR poursuit :  << Vous appelez aussi à refuser de rembourser la dette publique. Sachez que c’est une mesure désespérée qu’il vaut mieux éviter.Elle nous isolerait du reste du monde... >>

Une fois de plus, le PG ne prône pas une démarche isolée, mais une démarche qui s'inscrit dans le programme de la Gauche Européenne qui précise:

http://european-left.org/fr/positions/nouvelles/declaration-programmatique-dalexis-tsipras-ma-candidature-un-mandat-pour-lespoir

<< ...nous ne voulons pas une conférence sur la dette pour l’Europe du Sud. Nous voulons une conférence sur la dette pour l’Europe tout court. Dans ce cadre, tous les instruments politiques disponibles devront être employés, y compris à cet égard une action de la BCE comme prêteur en dernier ressort, aussi bien que l’émission de titres de la dette européenne, comme les Eurobonds, pour remplacer les dettes nationales. >>

L'argument de "l'isolement du reste du monde" est classique. Il a été utilisé pour détourner le Président d'un petit pays (mis en grande difficulté par son système bancaire) de sa volonté de renégocier la dette : son montant, son échelonnement, ses taux d'intérêts.  

Mais le Président de ce petit pays a tenu bon, contre tous les politiciens et économistes "réalistes".  Il a eu recours à une procédure démocratique, il a donné la parole aux citoyens en organisant un référendum... Et c'est lui qui a eu raison des banques ... même si la finance a repris en partie le terrain perdu quand la pression populaire est retombée... Petit par la taille, ce pays  ( l'ISLANDE ) a été grand par l'exemple qu'il a donné...

Et puis, à la lecture de "Le Capital au XXIe siècle",  l'isolement du reste du monde devient une affaire assez banale, somme toute, quand PIKETTY nous rappelle que, le plus souvent dans l'histoire, les dettes des états n'ont pas été honorées... Et, comme le rapporte GRAEBER, ne pas honorer une dette illégitime n'est pas "moralement" scandaleux car, dit-il : << l’endettement d’une personne correspond nécessairement à la richesse d’une autre, non ? >>

-5-  Quant à la dernière riposte de SAPIR :  

<<  Vous affirmez que je serai un partisan de l’austérité salariale, déformant sciemment mes propos : « L’économiste Jacques Sapir, partisan d’une sortie de l’euro, l’affirme lui-même quand il écrit...etc... ». >>

on peut se poser la question : quelle est donc exactement cette fameuse "affirmation" qu'ÉTIEVANT attribuerait à SAPIR ? La question se pose uniquement par le fait que la citation de SAPIR est tronquée. La phrase d'avant (qui a été omise) apporte l'explication :

<< historiquement les importantes dévaluations se sont toujours accompagnées de politique d’austérité salariale destinées à limiter l’inflation venant de la hausse des prix des produits importés. L’économiste Jacques Sapir, partisan d’une sortie de l’euro, l’affirme lui-même...etc... >>

Ce n'est qu'un constat, et donc affirmer ce constat ne signifie nullement un accord avec l'austérité salariale. Faux procès donc : nulle part ce texte ne suggère que SAPIR serait partisan de l’austérité salariale.

La conclusion de cet ensemble d'interprétations (hasardeuses) de SAPIR reprend son titre introcuctif : << Tout ceci contribue à faire penser que vous entretenez un étrange rapport à la réalité ... >>

Le texte de SAPIR se poursuit en dénonçant de la part d'ÉTIEVANT << Une incompréhension majeure. >>

<< Ce que révèlent ces différents points, c’est que vous ne comprenez pas le rôle de verrou central, de clef de voûte, que joue l’Euro dans la financiarisation et la politique néo-libérale mise actuellement en œuvre.>>

Il semblerait que l'incompréhension (de la part de  SAPIR) provienne, pour une part, de la structure de son argumentation qui est fondée dans un espace de représentation défini comme le plan de l'économie (les mécanismes financiers, les politiques néo-libérales, etc...)

Il semble pourtant indispensable de s'extraire de ce plan de représentation, d'ajouter une dimension à l'analyse économique : celle de la géopolitique, des rapports de forces à construire contre le système global, avec des partenaires pour élaborer une stratégie commune.

SAPIR le fait parfois, quand il nous dispense de ses jugements dogmatiques.

 C'est me semble-t'il ce qu'exprime ÉTIEVANT dans sa conclusion : 

 << Le Front de Gauche, lui, n’oublie pas les rapports de force entre capital et travail. Et la sortie de l’euro n’est pas la condition préalable pour l’inverser dans le sens des salariés. Il faut augmenter les droits des salariés dans l’entreprise et changer les rapports de propriété pour cesser d’avoir une politique économique asservie à la finance. Pour cela, il faut permettre à l’Etat d’investir massivement et une autre politique monétaire est donc nécessaire ainsi que l’annulation d’une partie de notre dette. Si la BCE s’y refuse, nous lui désobéirons comme à l’ensemble des traités pour mener notre politique de transition écologique et socialiste. Cela aboutira peut-être à notre exclusion de la zone euro. Cela nous ne nous fait pas peur. Nous y sommes prêts. Les technocrates et les banquiers ont mené l’Europe dans le mur. C’est donc à eux d’en payer le prix. >>.

jeanpaulcoste@free.fr

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