L’Europe est associée à juste titre aux politiques d’austérité et à l’impuissance du politique :les états européens et la technocratie européenne, dans le mépris le plus total de la démocratie,s’appuient de manière décisive sur les institutions européennes pour mettre à bas des dizaines d’années d’acquis sociaux, renforcer toujours plus l’austérité pour le plus grand nombre, au profit de l’oligarchie financière .
I L’Europe : une machine contre les peuples
1)Le niveau européen est devenu décisif dans la prise de décision
.... et dans la législation en mettant de côté les parlements nationaux et les peuples. Il s’agit de faire entrer les peuples dans un engrenage opaque (cf mandat secret de négociation du grand marché transatlantique) contraignant et à sens unique. Le respect des traités (ou la dictature des traités) interdit toute politique alternative non-conforme à leurs dispositions, gravées ainsi pour l’éternité (le dernier exemple étant le traité budgétaire) : la souveraineté des peuples est ainsi vidée de son contenu.
2)L’Europe libérale un obstacle majeur à toute politique de progrès
Ø un obstacle politique et juridique : une pression constante s’exerce pour le démantèlement des services publics et contre les droits sociaux et à l’inverse contre toute réglementation sociale et économique nouvelle (pôle public, nationalisations), considérée par les institutions européennes (Commission, Cour de justice) comme une entorse au dogme sacré de la concurrence libre et non faussée
Ø un obstacle économique et financier, en particulier du fait de l’euro : libre circulation des capitaux, BCE «indépendante » gardienne absolue de l’orthodoxie budgétaire et monétaire. Le dumping social reste la seule variable d’ajustement et le financement de la dette abandonné aux marchés leur donne tout moyen de punir les états récalcitrants. Et en cas de politique alternative, n‘en doutons pas , le recours à la fuite des capitaux,l’explosion des taux d’intérêt seraient la réponse immédiate de « la finance » , avec la bénédiction des institutions européennes
Les institutions européennes , sont un instrument redoutable au service des puissances d’argent .Leur fonction : imposer aux peuples en dépit de son échec patent ,une politique unique , celle de la régression sociale , et verrouiller , par le biais des traités tout changement de cap. La notion de « souveraineté limitée » , inventée par Brejnev en 1968, retrouve donc une nouvelle vie grâce à nos eurocrates.
Comment alors se dégager de ce cadre européen austéritaire et autoritaire ?
II) le « fédéralisme démocratique » : chimère ou diversion
1) la solution fédérale
Un certain nombre de gens qui se réclament de la gauche préconisent, tout en critiquant la politique et les institutions européennes actuelles , un cadre fédéral démocratisé.
Pour retrouver une souveraineté démocratique, le niveau maintenant adéquat serait celui de l’Europe
Ø dans cette conception, un gouvernement européen serait responsable devant le parlement européen dont les pouvoirs devraient supplanter ceux des parlements nationaux, en particulier au niveau budgétaire
Ø rien n’empêcherait alors ce parlement de mener une toute autre politique que celle d’aujourd’hui ;ce serait en particulier le cas sur le plan monétaire :la BCE , redevenue dépendante du pouvoir politique pourrait financer la dette
Ø un budget fédéral important permettrait de compenser les inégalités économiques par des transferts financiers, des pays les plus riches vers les plus pauvres
2) viabilité d’un ensemble multinational ?
C’est une belle construction intellectuelle mais qui revient à la création d’un ensemble multinational supplantant les Etats nations.
Ø Ce montage supposerait l’expression d’une volonté commune des peuples que l’hétérogénéité des situations politiques, économiques, culturelles, sans parler de la multiplicité des langues, rend très improbable
Ø Le principe de base de la démocratie est que la minorité accepte de se plier à la majorité : l’Allemagne accepterait elle une politique monétaire alternative ( financement de la dette par une BCE soumise au pouvoir politique , ou effacement d’une partie de cette dette,recours à l’inflation, baisse du cours de l’euro) ? On connaît la réponse.
Accepterions nous qu’une majorité en Europe remette en cause la sécurité sociale ?
Ø Pour un équilibre global dans une même zone monétaire, des transferts financiers importants sont indispensables. Ce qui se fait dans un état nation où les zones les plus riches financent les plus pauvres devrait être fait à l’échelle européenne des pays riches vers les plus pauvres
Le calcul a été fait par Jacques Sapir : l’Allemagne devrait y consacrer 8 à10 % de son PIB.
3) les leçons de l’histoire
Ø trois empires multinationaux ont existé en Europe : l’Empire ottoman, l’empire austro hongrois et l’empire russe, relayé par l’Union Soviétique
Ø leur cohésion a toujours reposé sur l’exercice de la force par un état pour le moins autoritaire et sur la domination sur les autres d’un ou deux peuples : les Turcs , les Russes, les Autrichiens( et les Hongrois après 1867) et une ou deux langues majeures : le turc , le russe, l’allemand et le hongrois
Ø Ces empires établis par la force s’effondrent quand ils n’ont plus la force de mater les révoltes des peuples.
Ø Un nombre important de pays de l’Europe centrale et orientale ont été, dans un passé qui n’est pas si lointain , sous la domination de l’un de ces empires.Pense t on qu’ils vont si facilement accepter de se dissoudre dans un nouvel ensemble multinational ?
Le « fédéralisme démocratique » n’a aucune chance de se réaliser a court ou moyen terme . Il n’est en aucun cas une solution à la crise actuelle. il joue donc de fait un rôle de diversion idéologique en écartant le débat des solutions véritables à la crise de l’euro : pendant qu’on se répand sur une perspective virtuelle à l’horizon plus que lointain , le système européen actuel peut continuer tranquille
III changer le cadre européen pour sortir de l’austérité et redonner la souveraineté aux peuples ?
Deux solutions sont évoquées à l’intérieur de la gauche critique : transformer l’euro ou changer l’euro.
Dans les deux cas , l’objectif est le même , une autre politique budgétaire et monétaire qui favorise la satisfaction des besoins et l’emploi par une rupture claire avec la politique déflationniste d’aujourd’hui
1) transformer l’euro
Ø c’est la position officielle du Front de gauche et de ses principales composantes..L’objectif est d’arriver à une toute autre politique budgétaire et monétaire en Europe : financement de la dette par la BCE, éventuel défaut sur une partie de cette dette (qui peut aussi être « mangée » par une inflation limitée résultant de la création monétaire), baisse de l’euro par rapport aux autres monnaies, favorisant un renouveau industriel.
Ø le moyen pour y parvenir serait une négociation sous la menace de la crise(avec le chantage éventuel à la sortie de l’euro ou au défaut sur la dette) , pour obliger les partenaires européens à accepter cette transformation
Un tel scénario est séduisant, et sa réalisation aboutirait sans doute à une situation bien meilleure mais il n’est pas crédible :
Ø sur le plan institutionnel , il faut l’accord des 28 états membres pour réviser les traités : c’est plus que difficile et surtout c’est très long
Ø le point capital est d’arracher l’accord de l’Allemagne . peut on espérer lui faire accepter un système monétaire et budgétaire totalement à l’opposé de ses concepts orthodoxes qu’elle a imposés à toute la zone euro au moment de Maëstricht et qui surtout reposent malheureusement sur un consensus très profond dans la population allemande (et pas sur une lubie de Merkel qui n’en est que l’expression)
Ø une zone monétaire unique (et équilibrée ce qui n’est pas le cas aujourd’hui d’où la crise) implique des transferts financiers internes importants : l’Allemagne est elle prête à payer ?
Ø le facteur temps est décisif en ce qui concerne l’euro : la pression des milieux financiers, en cas de politique alternative qui menace gravement leurs intérêts, sera immédiate : fuite des capitaux et explosion des taux d’intérêt sur la dette, afin de mettre l’économie française à genoux : cela s’appelle la lutte des classes.
Un gouvernement de gauche , confronté très vite à une telle pression, n’aurait que deux options
Ø capituler comme Mitterrand en 1983 , et choisir l’Europe au détriment du progrès social
Ø ou sortir de l’euro mais sans que cette décision ait ete vraiment préparée par un débat le plus large , donc sans le rapport de forces
2) sortir de l’euro
de plus en plus d’économistes critiques (Jacques Sapir , Frédéric Lordon)pensent , au vu de la situation en Europe, et notamment du poids et des positions de l’Allemagne que c’est la seule option pour une alternative
L’idée centrale est qu’avec le contrôle des capitaux et la création monétaire par la Banque de France , la France retrouve immédiatement la maîtrise de son budget et la possibilité d’appliquer la politique décidée par les électeurs, qui redeviennent souverains : c’est un point politique capital dans le marasme actuel
Quelques précisions indispensables qui n’épuisent pas le sujet
Ø la sortie de l’euro est une condition nécessaire pour une alternative, elle n’est pas suffisante . pour mettre en échec le grand capital, il faut une politique industrielle, fiscale, sociale , de développement des services publics,une politique qui redonne le pouvoir aux citoyens . C’est ce qui distingue le souverainisme de gauche du souverainisme de droite : on peut parfaitement avoir une politique ultra libérale avec une monnaie nationale (cf l’exemple britannique).Simplement avec le retour à la souveraineté , toutes les issues redeviennent possibles
Ø une sortie coordonnée de l’euro avec négociation des nouvelles parités devrait être envisagée en priorité
Ø la maîtrise de la dette et du budget redonne à l’état les marges de manœuvre indispensables pour développer les services publics et les investissements publics (transports, énergie, logement…) : le débat citoyen doit permettre que tout cela soit conforme aux besoins.
Ø la démarche de sortie de l’euro n’implique en rien un repli nationaliste, l’abandon des relations avec les autres états européens , l’autarcie, comme certaines bonnes âmes voudraient le faire croire. S’il est évident que la sortie de la France signifierait la fin de la zone euro, d’autres relations seront à établir avec tous les pays concernés sur un pied d’égalité et de souveraineté de chacun et en développant les coopérations avec les uns et les autres. Les fadaises du style « la sortie de l’euro c’est l’affrontement entre les nations », « c’est la guerre », n’ont pas le moindre fondement.
Ø le retour aux monnaies nationales ne peut qu’être une étape . Il est possible de construire en Europe , à terme, une monnaie commune [1]si les peuples en décident ainsi.
La question centrale est d’abord politique[2]: la monnaie , le budget, ensemble sont au cœur de l’exercice de la souveraineté . Le peuple aujourd’hui , avec quelques bonnes raisons, considère que le vote ne sert plus à rien parce que le pouvoir est ailleurs . cela conduit au désespoir, à l’abstention massive , à la montée de l’extrême droite. Redonner espoir pour sortir de cette spirale mortifère, exige de redonner une crédibilité globale aux choix alternatifs incontournables, économiques, sociaux, politique et c’est affirmer clairement l’impératif de la souveraineté populaire
[1] une monnaie commune , à l’inverse de la monnaie unique , laisse aux états leur monnaie et donc la possibilité de changer la parité monétaire. La monnaie commune est utilisée pour les échanges à l’extérieur de la zone
[2] voir à ce sujet Frédéric Lordon http://blog.mondediplo.net/2013-07-08-Ce-que-l-extreme-droite-ne-nous-prendra-pas