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Billet de blog 12 avril 2013

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Acte d’accusation de Lycurgue l’Athénien contre Jérôme Cahuzac [ Extraits ]

Je désire[1], Français, que le début de cette accusation contre Jérôme Cahuzac appelé ici en jugement, atteste les sentiments de justice qui m’animent, et ma piété envers la République.Je supplie de faire que le prévenu trouve aujourd’hui en moi un accusateur digne de défendre les intérêts de la patrie, et de lui faire trouver en vous tous, qui allez délibérer sur le salut de vos pères, de vos femmes, de vos enfants, de la Nation et de la République, des juges inflexibles qui décideront du sort de celui qui a trahi tant d’objets sacrés.

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Je désire[1], Français, que le début de cette accusation contre Jérôme Cahuzac appelé ici en jugement, atteste les sentiments de justice qui m’animent, et ma piété envers la République.

Je supplie de faire que le prévenu trouve aujourd’hui en moi un accusateur digne de défendre les intérêts de la patrie, et de lui faire trouver en vous tous, qui allez délibérer sur le salut de vos pères, de vos femmes, de vos enfants, de la Nation et de la République, des juges inflexibles qui décideront du sort de celui qui a trahi tant d’objets sacrés.

Il est, en effet, trois choses fort importantes pour la sauvegarde de la démocratie et la préservation du bien public : d’abord l’ordre des lois ; en second lieu, les suffrages des juges ; enfin la faculté accordée aux citoyens de poursuivre certains crimes.

Pour moi donc, Français, convaincu que Jérôme Cahuzac s’est dérobé au péril qu’il devait braver pour la patrie, qu’il a délaissé ses concitoyens, provoqué votre puissance, encouru votre colère et toutes les peines prescrites par les lois, j’intente contre lui cette action.

Et ce n’est ni par aucun motif de haine, ni par la passion des débats judiciaires que j’ai entrepris cette poursuite, mais parce qu’il m’a semblé qu’il y aurait de la honte à voir d’un œil indifférent un homme qui est devenu l’opprobre de la nation et de chacun de vous participer à nos solennités républicaines et fréquenter sans cesse la place publique.

Car c’est le devoir d’un citoyen honnête, non pas de traduire devant les tribunaux ceux contre lesquels il a des motifs particuliers de haine, mais de regarder comme ses ennemis personnels ceux qui nuisent à l’État, et de trouver dans le mal qu’ils font au peuple un motif constant d’opposition à leur égard.

Il faut, citoyens, que vous sachiez que ce procès ne ressemble à nul autre. S’il était question d’un homme inconnu à tout le reste de la France, ce serait uniquement dans vos maisons que l’on aurait une opinion ou un avis sur cette affaire, qu’elle soit bien ou mal jugée. Mais, au sujet de l’homme dont il est question, quelle que soit votre décision, soyez assurés que tous en parleront dans les foyers du pays, ailleurs même ; car cet homme est devenu célèbre depuis sa fuite de Bercy.

Si toute action relative à l’intérêt général doit être considérée comme importante, celle sur laquelle vous avez à vous prononcer l’est d’une manière supérieure encore. Car la cause qui vous est soumise ne compromet pas seulement quelque partie peu importante des intérêts de l’État ; elle ne reste pas non plus circonscrite dans le temps : il s’agit de la patrie tout entière et de son avenir.

Votre sentence doit avoir une influence à jamais décisive pour la postérité ; l’attentat est si grave, les dégâts si importants, que ni l’accusation ni la peine ne peuvent s’y proportionner, et qu’en effet les lois ne l’ont point défini.

Songez-y bien, citoyens : votre condamnation ne sera pas seulement le châtiment d’un homme ; elle sera pour toutes les nouvelles générations, un encouragement à la vertu. Car deux choses instruisent les jeunes gens : la punition des coupables et la récompense décernée aux citoyens méritants. Les yeux fixés sur l’une et sur l’autre, ils évitent celle-là par crainte et aspirent à celle-ci par émulation.

Vous devez en effet punir cet homme, si vous souhaitez rendre les autres citoyens meilleurs. Je regarde assurément comme un bonheur pour vous qu’il ne se soit pas trouvé beaucoup d’individus de son espèce ; mais je n’en suis pas moins persuadé que Jérôme Cahuzac mérite un châtiment d’autant plus rigoureux que, seul entre tous les autres citoyens, il s’est occupé non du salut public, mais de ses seuls intérêts personnels.

Il y a chez nous, vous le savez, un serment que prêtent les jeunes gens lorsqu’ils accèdent enfin à la citoyenneté. Je veux vous en rappeler un passage : « Je ne laisserai pas à mes enfants la patrie moins florissante que je l’aurai reçue ; j’ajouterai, au contraire, à sa prospérité. J’obéirai aux magistrats. Je serai soumis aux lois établies et à toutes celles que le peuple établira à l’avenir d’un commun accord. Si quelqu’un veut détruire ou violer ces lois, je ne le souffrirai pas ; je les défendrai ou seul ou avec tous. »

Ce serment est le lien qui maintien la démocratie. En se parjurant, ce n’est pas vous seulement qu’atteint le crime de Jérôme Cahuzac, c’est la République toute entière que l’accusé a offensée.

Quel châtiment, donc, réserver à cet homme félon ? Le plus grand, assurément. Je le dis devant vous sans détours : la déchéance de sa nationalité[2] semble ici, de par la loi même[3], se présenter à vous comme la seule sentence possible.

Si vous condamnez Jérôme Cahuzac à cette peine, Français, vous montrerez à nos compatriotes que vous exécrez comme eux une pareille conduite ; sinon, vous dépouillerez vos ancêtres de leur renommée.

Dans un instant, Jérôme Cahuzac va vous prier d’entendre sa défense, conformément à la Loi. L’accusé vous demandera, vous conjurera même, de le prendre en pitié. Votre pitié ? Lui qui n’a pas eu le cœur de contribuer pour sa part avec vous à notre salut commun ? Qui donc, par pitié pour lui, consentirait à livrer son pays aux conséquences funestes des actions inqualifiables de l’accusé ? Qui pourrait défendre un lâche qui a déserté sa patrie ?

Vous le savez, mes chers compatriotes : tant que le crime n’est pas jugé, le criminel seul est comptable ; après le jugement, il a pour complices ceux qui ne l’ont pas puni comme le faudrait.

Alors, Français, que le procès commence et que les témoins se présentent maintenant sans délai. Exigez qu’ils ne vous sacrifient pas, vous et la République, à leurs convenances.

Exigez qu’ils paient à la nation leur dette de vérité et de justice.

____________________________

Lycurgue l’Athénien (et John Marcus pour l’adaptation)
Athènes - 330/331 avant l'ère commune

[ Lire aussi l'introduction au réquisitoire : pourquoi Jérôme Cahuzac ne peut plus être député de la République ]


[1]Extraits adaptés librement de l’acte d’accusation original de Lycurgue contre Léocrate. J’utilise plusieurs sources mais la traduction de référence reste celle de Félix Durrbach, Lycurgue contre Léocrate, Fragments, Les belles lettres, 1932.
[2] Lycurgue ne faisant jamais dans la demi-mesure, c’est bien évidemment la peine capitale qu’il exigera, en vain, pour Léocrate.
[3] Un citoyen peut être déchu de la nationalité française par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, s'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.

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