Malgré les pressions internationales de toutes sortes –la plus récente est celle des Etats-Unis–[1] , les difficultés de la signature de l’accord d’Alger montrent que la médiation n’a pas atteint son but qui était le retour à la paix par l’engagement des parties à coopérer pour mettre en œuvre un ensemble de dispositions favorables à un nouveau vivre ensemble au Mali. Les principes de base, respect de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale du Mali, respect de la forme républicaine et laïque de l’Etat, arrêtés dès l’accord de Ouagadougou, n’ont été repris que du bout des plumes, puisque l’essentiel des dispositions pratiques rédigées à Alger dessine en réalité une région du Nord autonome sinon indépendante du reste du Mali.[2] Il faut donc aujourd’hui oublier Alger et chercher une issue d’un autre côté.
Oublier Alger
Cette étape est extrêmement délicate, mais absolument nécessaire. La médiation dont Alger a été le chef d’orchestre a demandé beaucoup d’efforts, mais il faut admettre qu'elle aboutit à un résultat sans intérêt. Le Mali a été sensible à la pression des institutions internationales qui parrainaient Alger parce que tous les Maliens espéraient sincèrement, mais peut-être un peu naïvement, que l’accord d’Alger garantirait un retour à la paix. Or il n’en est rien, c’est désormais une certitude, et pour plusieurs raisons :
- d’un côté, le choix des mouvements invités à Alger a laissé de côté les plus puissants, les plus dangereux, ceux qui ont manipulé le MNLA depuis qu’il a lancé son offensive de janvier 2012 ; ces mouvements ont su non seulement mettre leurs forces à l’abri de Serval puis de Barkhane, mais encore peser sur l’attitude des groupes qui négociaient à Alger ; il est plus que probable en effet que, au-delà du soutien du Maroc (qui ne fait ici, hélas, que s’opposer à l’Algérie pour des raisons qui font fi des dangers qui menacent l’Afrique du Nord autant que le Sahel, on y reviendra), la CMA refuse de signer parce que l’incontournable Iyad Ag Ghaly le lui déconseille nettement.
- d’un autre côté, la longueur des négociations et les divergences apparues entre les négociateurs, d’une part, entre les négociateurs et leurs bases d’autre part, ont abouti à la multiplication des groupes armés : dans le camp gouvernemental, les milices sont réapparues, dans le camp des groupes armés des scissions se sont produites et certains chefs ont constitué des groupes nouveaux et s’emploient à contrôler pour leur propre compte des territoires ou des routes.
- par ailleurs, comme le Mali a été inondé d’armes légères, les bandits de grands chemins et les trafiquants en tous genres ont les moyens de faire régner l’insécurité, ou de terroriser et punir tous ceux –personnalités, villages entiers– qui leur auront refusé un service ; de même, tous les jeunes qui se sont engagés dans les groupes armés et qui ne trouveront pas une reconversion à leur goût, alors qu’ils savent manier un fusil, pourront de mettre à travailler pour leur propre compte.
Plus grave encore, rien ne permet d’affirmer que l’accord d’Alger est accepté par la population, que ce soit au Nord ou au Sud. En donnant l’exclusivité dans la négociation à ceux qui ont pris les armes, d'un côté, au gouvernement de l'autre, Alger n’a pas entendu la population civile, qui au Nord comme au Sud est évidemment victime de la situation présente, et qui peut donc souhaiter la paix au plus vite sans en examiner les conditions, mais qui sera nécessairement l’acteur essentiel d’un nouveau vivre ensemble si la paix doit être un jour rétablie. Et comme les populations n’ont été consultées ni au Nord ni au Sud, on ne peut qu'être surpris de lire que la médiation « se félicite de ce que l’Accord paraphé ait été accueilli favorablement par la grande majorité des Maliens ».[3] La médiation pratiquerait-elle la méthode Coué ?
Enfin, on l’a déjà indiqué dans un précédent article, l’accord d’Alger n’aborde pas les problèmes de fond qui ont provoqué une crise à répétition au Nord du Mali et l’effondrement de l’Etat lors de la dernière rébellion. Et, sur les dispositions qu'ils prévoit, l’International Crisis Group avertissait dès le mois de novembre que cet accord « repose pour l’essentiel sur des réponses qui ont déjà montré de sérieuses limites ».[4] Les modalités de la médiation, elles-mêmes, font que l’accord ne résulte pas de discussions franches, face à face, de citoyens maliens liés par l’accord de Ouagadougou et par d’autres solidarités qui les poussent à vouloir, malgré le drame de 2012, vivre encore ensemble. La médiation s’est substituée aux parties, pour écrire un texte satisfaisant les attentes des institutions internationales et préparant l’octroi de financements par lesquels la paix pourrait être achetée sans avoir à être construite. Rançon de la médiatisation ? Peut-être, mais le résultat est là : nul.
Il faut donc oublier Alger : ce sera là une étape très délicate –il faut admettre un échec–, mais désormais absolument indispensable et urgente sur la voie du rétablissement de la paix au Mali. Les diplomates trouveront les termes qui permettront de remercier les nombreux médiateurs[5] et parrains de ces négociations, et qui mettront un peu de baume sur les déceptions que cet échec ne manquera pas de provoquer. Mais il faut oublier Alger, et penser à tout autre chose : choisir une bonne méthode de discussion, répartir les rôles et enfin en venir aux choses sérieuses.
Une bonne méthode de discussion
A la place de contacts entre des médiateurs trop nombreux, aux intérêts divergents, travaillant sous la pression d’institutions nationales ou internationales qui attendent des succès rapides pour s’en glorifier, le temps de passer à autre chose, et dans une atmosphère encombrée à la fois par de multiples interventions de couloir de la part de mandataires divers et variés représentant des intérêts étrangers, et par une pression médiatique inédite, une bonne méthode de discussion serait celle qui réunirait des délégations soigneusement choisies, indubitablement représentatives des citoyens du Mali, pas trop nombreuses pour autant, et disposées à discuter face-à-face de propositions concrètes en faveur du vivre ensemble au Mali.
Cette étape n’est pas aussi facile qu’on pourrait croire au premier abord. Pas tant parce que des haines irrépressibles se seraient installées entre ceux qui ont pris les armes et ceux qui représenteraient les victimes et l’ensemble de la population du Mali, mais parce que la composition de cette assemblée sera inéluctablement, en soi, l’objet d’une négociation. Malgré les élections législatives, l’Assemblée nationale ne représente pas la population du Mali : elle découvre tout juste après trente ans que l’unanimité derrière le gouvernement n’est pas la seule attitude possible ; elle s’est montrée capable de voter un nouveau code de la famille que le Président de la République n’a pas pu promulguer[6] et plus récemment des amnisties clairement inconstitutionnelles[7] ; les députés n’ont pas encore appris à consulter les électeurs sur des éléments de programme politique ; eux-mêmes sont désignés par les états-majors nationaux avant que leurs campagnes électorales ne soient financées par ces derniers.
La défaillance de l’Assemblée nationale, liée à la stérilité du jeu des partis politiques, explique largement l’effondrement du pouvoir législatif après mars 2012, et la défiance qui s’est exprimée de façon non dissimulée à partir de ce moment à l’égard du personnel politique dans son ensemble. Et de fait, dans l’expression des opinions diverses de la population, les partis et leurs élus sont remplacés depuis des années par une société civile effervescente, aux formes extrêmement variées, aux contours sans cesse changeants, dont on ne sait guère quelles responsabilités elle peut supporter. Mais c’est là sans doute qu’on retrouve quelque engagement et quelque militantisme : là sans doute qu’il faut chercher le sentiment populaire sur le vivre ensemble. En bref, c'est en dehors des institutions qu'il faut chercher la représentation de la volonté nationale de vivre ensemble.
Or il est question, dans l’accord d’Alger, d’une conférence d’entente nationale, « en vue de permettre un débat approfondi entre les composantes de la Nation malienne sur les causes profondes du conflit. » (art. 5) C’est celà le point important, sans doute le seul. C’est à cela qu’il faut se consacrer maintenant, en y associant effectivement toutes « les composantes de la Nation malienne » et pas seulement ses fils qui ont pris les armes contre elle. A vrai dire, la signature de l’accord ne sera pas une étape vaine si elle autorise l’organisation d’une conférence d’entente nationale ainsi élargie.
Adopter cette méthode, ce serait en terminer, enfin, avec le recours à des étrangers pour régler des problèmes internes : n’a-t-on pas fait suffisamment l’expérience des limites d’une médiation confiée au Burkina Faso, puis à l’Algérie, avec des recours répétés à la Mauritanie, et le concours obligé de tout un ensemble d’institutions africaines ou internationales dont on n’attend, en fait, que de bonnes paroles ou des subsides ? Mais pour se libérer de toutes ces fées, qui ne sont pas toutes bienveillantes, il faut que se désigne au Mali la personne ou le petit groupe de personnes qui bénéficierait d’une autorité suffisante pour que les parties au conflit leur fassent confiance même –et surtout– dans les moments difficiles. Personnalité politique ? Personnalité religieuse ? Personnalité de la société civile ? Personnalité académique ? Qui aura le courage de prendre une initiative, la seule capable de rompre avec l’impasse politique dans laquelle le Mali est enfermé, en proposant de lancer un processus de discussion sérieuse entre Maliens pour le retour à la paix, et se montrant prêt à se consacrer à cette tâche ?
Il faut espérer que les partenaires du Mali se rendront à l’évidence : l’affaire a été mal engagée, il faut la reprendre sur de nouvelles bases. Mais c'est urgent, car l’affaire concerne certainement, à brève échéance, tout le Sahel, et l’Europe n’a pas intérêt à laisser s’installer la guerre civile ou le djihad si près de son flanc sud.
Répartir les rôles
Ce qui précède suppose qu’il sera possible, au Mali, pendant encore quelques mois au moins, de discuter du vivre ensemble avant de s’employer à le pratiquer. Autrement dit, suppose une certaine sérénité, une certaine sécurité. Il y a donc à l’évidence un rôle de négociateur et un rôle de gendarme. Il y a certainement aussi un rôle de partenaire au développement. Le rôle de négociateur vient d’être esquissé, celui de gendarme doit être précisé avant d’aborder celui de partenaire.
La reconstruction de l’armée malienne est une tâche de longue haleine, et donc, pour plusieurs années à venir, la sécurité ne pourra pas être assurée au Mali sans un concours décisif de forces étrangères. Certains y voient des intentions malignes. Peut-être, mais que proposent-ils pour faire face ? Ce qui est sûr, c’est que les dispositifs MINUSMA et Barkhane sont en place, et que leur intervention ne parvient pas à contenir la large et rapide diffusion, depuis la fin de 2014, d’un banditisme inspiré par des objectifs politiques ou par la cupidité. La spécificité de Barkhane est la lutte contre les groupes terroristes[8], alors que la MINUSMA a un mandat bien plus large qui inclut explicitement « l'appui au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays » et « l’appui au dialogue politique national et à la réconciliation nationale. »[9] Il est donc indispensable que la MINUSMA apporte un concours déterminé et efficace à la sécurisation du territoire, en prévenant et en châtiant tous les fauteurs de troubles.
Il faut bien dire toutefois que la position du Conseil de Sécurité, dont dépend la MINUSMA, n’est pas aussi déterminée qu’on pourrait le souhaiter. Dans sa Résolution 2164 (2014), il se félicite des engagements pris par les signataires de l’accord préliminaire de Ouagadougou, mais son bras armé est resté passif lorsque ces engagements ont été violés, notamment à Kidal les 17 et 18 mai. Les parties étaient engagées à respecter le principe du recours au dialogue et à la négociation pour le règlement politique équitable et définitif de la crise, ainsi que le principe du respect de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale du Mali.[10] En quoi une visite du Premier Ministre contrevenait-elle à ces principes ? La vigoureuse condamnation des violences de Kidal, telle qu’elle figure dans la même résolution, ne fait donc que mettre en valeur l’absence de réaction de la MINUSMA sur le terrain au moment voulu.
L’importance de l’effectif militaire de la MINUSMA[11] signifie clairement que son rôle premier n’est pas de se substituer dans tous les domaines aux institutions nationales, mais bien d’assurer « sécurité, stabilisation et protection des civils » (Résolution 2164, art. 13, a). Le souci de se gagner les faveurs de la population est compréhensible, mais un principe de subsidiarité devrait s’imposer pour une meilleure efficacité : tout ce que le gouvernement, l’administration et l’armée du Mali peuvent faire doit être fait par eux. Financer des projets, réhabiliter une bibliothèque de manuscrits[12] ou proposer des affaires aux entrepreneurs maliens[13] n’est pas le cœur de la mission de la MINUSMA. Une réorientation sensible de ses activités s’impose donc, car leur éparpillement et la prudence des interventions de police sont une des causes de l’embrasement que connait actuellement le Mali. Ce n’est pas en se substituant à l’Etat que la MINUSMA fournit un « appui au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays » (Résolution 2164, art. 13, c) : tout au contraire !
Quant aux missions de Barkhane, elles sont très différentes, précises et étroites : « appuyer les forces armées des pays partenaires de la bande sahélo-saharienne dans leurs actions de lutte contre les groupes armés terroristes ; contribuer à empêcher la reconstitution de sanctuaires terroristes dans la région. »[14] Le grave inconvénient de cette étroitesse est que, pour apporter une solution au conflit, il ne suffira pas de décourager les groupes armés et de supprimer les sanctuaires terroristes[15] : tout un travail politique s’impose au Mali, un travail auquel la France ne semble pas vouloir participer, de peur peut-être d’être accusée d’ingérence ou de néocolonialisme. Pourtant, chacun sait que la victoire par les armes n’est qu’une étape vers la paix, et que celle-ci résultera, si elle doit revenir, d’un nouvel accord politique. Plusieurs pays se sont engagés avec la France aux Nations-Unies pour porter secours au Mali : ils seraient aujourd’hui bien inspirés de penser au coup suivant, et donc de faire tout ce qui leur appartient pour favoriser enfin le dialogue politique direct entre les Maliens.
Le rôle des intervenants et partenaires étrangers du Mali apparait donc double : d’une part, leur contribution au rétablissement de la sécurité est essentielle, son organisation sous l’égide des Nations-Unies garantit sans doute –du moins on veut l’espérer– que cette activité puisse s’exercer au niveau voulu et pendant le temps nécessaire, la France limitant son engagement comme on l’a rappelé ; d’autre part, et cette composante est d’une importance capitale, le soutien à toute initiative susceptible de favoriser la reprise du dialogue politique entre toutes les composantes de la société malienne. Là sont les priorités de l’heure ! La situation de crise profonde donne aux partenaires du Mali des responsabilités nouvelles, qui vont bien au-delà de l’aide au financement du développement, car cette dernière n’a plus de sens si le chaos s’installe. Et pour conjurer ce risque, il s’agit en effet maintenant de passer aux choses sérieuses.
Passer aux choses sérieuses
Il est sûr qu’une partie de l’opinion malienne se contente d’adhérer à une thèse complotiste qui voit dans les évènements que subit le pays depuis 2012 une stratégie conçue par la France (ou plus généralement par les Occidentaux) en vue de s’emparer des ressources considérables du Nord du Mali, thèse qui s’appuie évidemment sur le soutien de certains milieux français, militaires (par exemple plusieurs enseignants et chercheurs du centre de Coëtquidan) ou politiques (la Présidente de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, notamment).[16] Mais si le complot a réussi aussi facilement, ne serait-ce pas parce que le Mali se trouvait dans un état de grande faiblesse ? Les choses sérieuses sont là : quelles sont les causes de cette extrême faiblesse ? On en citera cinq, sur lesquelles une conférence d’entente nationale pourrait prendre des décisions de principe claires et nettes, qui définiraient un nouveau projet de société.
La première est la conversion des services publics (justice, eaux et forêts, douane, enseignement, santé, police, gendarmerie, armée…) en autant d’institutions vouées à procurer des revenus illicites à leurs agents, par concussion, corruption et trafic d’influence. Pourtant, chaque campagne électorale est l’occasion de grandes déclarations et d’engagements solennels sur le retour du règne du droit, et les dernières campagnes n’ont pas fait exception.[17] Quelles dispositions pratiques pourrait proposer la conférence d’entente nationale pour affronter ce problème ? Le traumatisme de 2012 aura-t-il été assez violent pour que la société impose à ses dirigeants, par le biais d’une telle conférence, des injonctions claires en matière d’Etat de droit et leur dicte de sanctionner sans faiblesse ? Pourrait-elle représenter enfin un sursaut de civisme, un nouvel espoir, et mandater un Saint-Just pour rétablir le règne de la loi ?
La seconde est le naufrage de l’éducation, qui laisse la population dans son ensemble –et tout spécialement la population jeune– incapable de comprendre son environnement, incapable de trouver du travail, incapable de participer activement à la vie politique, et plus soucieuse de recevoir et d’appliquer des directives[18] que de se déterminer par elle-même. Depuis vingt ans au moins, le contrôle des connaissances acquises est réduit à néant, car il faut faire passer chaque promotion à la classe supérieure pour accueillir les nouveaux arrivants. La conférence d’entente nationale aura-t-elle le courage d’en revenir à la sélection sur la base des compétences acquises, seule solution capable de rendre au système éducatif une dimension raisonnable, gage d’efficacité retrouvée, et seule solution susceptible de mettre le Mali sur la voie du développement ?
La troisième est l’échec de la décentralisation et de la démocratisation : les années 1990 ont été celles de la mise en place d’institutions nouvelles, la décennie suivante a été celle du sabotage ; au Nord du Mali comme au Sud, les collectivités locales (régions et communes) ont adopté le style des administrations centrales et leur mépris du peuple, aucune pratique démocratique ne s’est installée, à part un rituel électoral complètement dévoyé[19] ; les élus ne représentent pas leurs électeurs auxquels ils rendraient compte, ils sont devenus autant d’intermédiaires locaux du pouvoir central;[20] les formules adaptées de l’agora ne fonctionnent plus dans un monde où l’information circule par d’autres voies et où les affiliations individuelles sont extrêmement diversifiées. Au lieu de penser le pouvoir régional dans le cadre épuisé de la « décentralisation approfondie », la conférence d’entente nationale pourrait-elle imaginer des propositions véritablement innovantes sur les moyens de représenter valablement la population et de faire fonctionner les institutions locales et régionales de telle sorte que la population expérimente ce qu’est décider et exercer sa responsabilité dans le pouvoir ?
La quatrième est l’importance des inégalités de développement entre régions : le Nord n’est pas la région la plus pauvre du Mali,[21] mais c’est la plus difficile à équiper en raison de la faible densité de sa population, et celle dont les ressources seront les plus difficiles à exploiter (en raison de leur enclavement) ; mais c’est aussi une région pour laquelle aucun programme de développement original n’a été élaboré. La conférence d’entente nationale pourrait-elle aller au-delà des leitmotivs, en imaginant ce que pourrait être un développement spécifique des différentes régions du Mali ?
La cinquième cause est le rôle pris par la religion comme seule idéologie capable de promettre un monde meilleur, ici-bas et dans l’au-delà, après l’échec de la construction de la Nation par la démocratisation et la décentralisation, et l’échec de l’espoir d’un développement économique partagé. Les pays du Golfe et l’Iran ont fait tout leur possible pour exploiter la situation, en finançant mosquée et œuvres sociales pour implanter et diffuser leur influence auprès de bénéficiaires peut-être trop naïfs. Le Haut conseil islamique créé par le gouvernement pour représenter les musulmans du pays a été conquis par les wahhabites, qui, de convoi d’aide humanitaire vers Mopti après l’occupation du Nord par le MNLA[22] à des interventions directes dans les affaires politiques[23] ou économiques[24], ont pris goût au pouvoir ; la conférence d’entente nationale pourrait-elle se pencher à nouveau sur la représentation des musulmans auprès des instances de l’Etat et sur les conséquences pratiques d’un principe de laïcité qui ne semble pas être contesté, sauf par des suppôts de l’étranger.
Toutes ces questions sont très sérieuses. En les négligeant dans les dernières décennies, le Mali a laissé se développer les tensions et rancœurs qui ont abouti à la crise sociale gravissime qu’a révélée l’insurrection au Nord en 2012 ; en les négligeant à Alger, la médiation est passée à côté des conditions réelles d’un retour durable à la paix, et s’est au contraire concentrée, intentionnellement ou non, sur une étape majeure en direction de la dislocation du Mali. S’il existe une volonté de vivre ensemble au Mali, et de défendre le Mali contre les visées de l’étranger, le sentiment national doit sortir renforcé de la crise de 2012, et cela ne peut résulter que d’un nouveau projet collectif recueillant la plus large adhésion.[25] C’est sur ces questions très sérieuses que la discussion entre Maliens doit porter. Il faut oublier Alger.
[1] Ils ont été invités et représentés à Alger le 15 avril, Voir http://www.maliweb.net/la-situation-politique-et-securitaire-au-nord/paraphe-de-laccord-dalger-les-usa-menacent-les-rebelles-de-sanctions-en-cas-de-refus-918022.html ; et plus récemment une personnalité du Département d’Etat était à Bamako (22 avril 2015) http://www.maliweb.net/politique/la-sous-secretaire-adjointe-au-bureau-des-affaires-africaines-du-departement-detat-americain-ceux-qui-niront-pas-vers-la-paix-seront-traites-comme-tels-926302.html
[2] Voir mon article du 13 avril 2015
[3] Communiqué du 18 avril 2015, http://www.mali-info.net/#!Communiqué-de-la-Médiation/c8b8/55336c180cf266495e31389b
[4] Cf. http://www.crisisgroup.org/fr/regions/afrique/afrique-de-louest/mali/b104-mali-last-chance-in-algiers.aspx et surtout http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/africa/west-africa/mali/b104-mali-derniere-chance-a-alger.pdf
[5] La médiation était ainsi composée : Algérie (chef de file), Burkina Faso, Mauritanie, Niger, Tchad, Nigeria ; elle était parrainée par les institutions suivantes : ONU, UE, UA, CEDEAO, OCI ; et plusieurs pays la suivaient de près, ayant délégué des émissaires sur place à Alger.
[6] http://www.awid.org/fre/Actualites-et-Analyses/Dossier-du-Vendredi/Le-nouveau-Code-malien-de-la-famille-et-les-raisons-pour-lesquelles-sa-promulgation-est-differee
[7] En mai 2012 cf. http://www.rfi.fr/afrique/20120519-mali-deputes-votent-une-loi-amnistie-faveur-ex-junte/ alors que l’article 121 de la Constitution prescrit : « Tout coup d'Etat ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien »
[8] http://www.defense.gouv.fr/operations/sahel/dossier-de-presentation-de-l-operation-barkhane/operation-barkhane
[9] Conseil de sécurité des Nations-Unies, résolution 2164 (2014), http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2164%282014%29
[10] Le texte de l’accord est accessible à l’adresse http://scd.rfi.fr/sites/filesrfi/Accord%20sign%C3%A9%20%C3%A0%20Ouagadougou%20le%2018%20juin.pdf
[11] 8788 militaires, 1052 policiers, 1171 civils (519 nationaux et 652 internationaux), soit plus de deux fois ceux de Serval, cf. https://minusma.unmissions.org/effectifs
[12] Comme on l’apprend sur le site de la MINUSMA à l’occasion de la première visite de M. Mongi Hamdi à Tombouctou cf. https://www.youtube.com/watch?v=PFH3Y-8ddB0
[13] https://minusma.unmissions.org/comment-entrer-en-affaires-avec-la-minusma-0
[14] http://www.defense.gouv.fr/operations/sahel/dossier-de-presentation-de-l-operation-barkhane/operation-barkhane
[15] A fortiori, réinstaller à Kidal dès janvier 2013 un groupe armé qui en avait été chassé quelques mois plus tôt ne s’imposait certainement pas, cf. http://www.liberation.fr/monde/2013/06/04/mali-l-armee-malienne-veut-reprendre-kidal-occupee-par-le-mnla_908195 !
[16] Déclaration sur I-télé le 22 février 2013 dans l’émission de Christophe Barbier : « il faut accorder une autonomie aux Touaregs » ; cette émission n’est plus disponible sur le site de Mme Guigou, qui par ailleurs n’a pas repris cette position lors du débat de l’Assemblée en date du 27 février 2013 cf. http://www.nosdeputes.fr/14/seance/971#inter_ee40e8bdc01d20958a09ea208720364b
[17] En témoigne par exemple ce passage du discours d’investiture du Président de la République, le 4 septembre 2013 : « Nul ne sera au-dessus de la loi. Elle s’appliquera de manière égale à tous. Je mettrai fin à l’impunité, aux passe-droits qui sont à l’origine du dévoiement des institutions judiciaires et étatiques. La restauration de l’autorité de l’Etat se conjuguera avec une lutte sans répit contre la corruption qui inhibe notre capacité à sortir du sous-développement économique et social. » http://www.maliweb.net/politique/discours-dinvestiture-du-nouveau-president-de-la-republique-du-mali-ibrahim-boubacar-keita-dit-ibk-167869.html
[18] Un seul exemple : le public (en majorité des étudiants en droit public) de la table ronde sur « Religion, politique et culture : influences réciproques et risques conflictuels » dans le cadre de la Rentrée littéraire de Bamako, le 25 février 2015
[19] Voir les études de cas sur la vie politique locale dans le livre dirigé par Joseph Brunet-Jailly, Jacques Charmes et Doulaye Konate : Le Mali contemporain, éditions de l’IRD et éditions Tombouctou, 2015, 673 p.
[20] Le même phénomène est observé en Europe, cf. Pierre Rosanvallon dans un débat sur le thème « : Gauche réformiste, la fin de l'histoire ? » sur Médiapart cf. http://www.mediapart.fr/journal/france/150415/en-direct-de-mediapart-gauche-reformiste-la-fin-de-lhistoire
[21] Les enquêtes de l’INSTAT montrent de façon répétée depuis 1994 que les régions de Tombouctou et Gao comptent l’une des plus faibles proportions de pauvres, et la région de Sikasso l’une des plus fortes, cf. Jocelyne Delarue, Sandrine Mesplé-Somps, Jean-David Naudet, Anne-Sophie Robilliard : Le paradoxe de Sikasso, coton et pauvreté au Mali, DIAL, 2009, 28 p., accessible à l’adresse www.researchgate.net/...Mali/.../0fcfd512b318a08ce4000000.pdf
[22] http://malijet.com/actualte_dans_les_regions_du_mali/rebellion_au_nord_du_mali/43510-le-haut-conseil-islamique-mene-un-convoi-humanitaire-au-nord-mal.html en mai 2012 ; puis début juin 2012, cf. http://malijet.com/actualte_dans_les_regions_du_mali/rebellion_au_nord_du_mali/45197-un-deuxieme-convoi-humanitaire-parti-de-bamako-pour-le-nord-du-m.html
[23] Y compris les conditions d’application de la charia, dans la perspective d’une main tendue vers les rebelles, cf. http://malijet.com/la_societe_malienne_aujourdhui/52308-forum-des-ul%C3%A9mas-:-le-hcim-ouvre-le-d%C3%A9bat-sur-l%E2%80%99application-de-l.html ; voir aussi http://fr.alakhbar.info/5509-0-Le-Cherif-de-Nioro-soppose-a-une-intervention-armee-dans-le-nord-du-Mali.html
[24] http://malijet.com/actualite-politique-au-mali/flash-info/123966-revocation-du-dg-du-tresor-le-cherif-de-nioro-ne-decolere-pas.html
[25] L’exemple de l’actuelle stratégie russe visant à disloquer ses voisins, qui faisaient partie de l’ancienne URSS et n’ont retrouvé leur indépendance qu’à la chute de cette dernière, montre le danger de plusieurs des dispositions retenues dans l’accord d’Alger. Cf. http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/protege/20150423/html/1201379.html