
« Résistez au démagogue » ! Cet article paru dans le Financial Times Deutschland (traduit en grec pour l’occasion), visant le leader de la gauche radicale Syriza, résume à lui seul le ton de la campagne électorale qui s’est achevée.
Les Grecs sont donc à nouveau appelés aux urnes le 17 juin suite aux élections législatives du 6 mai qui n’ont pas permis de constituer un gouvernement de coalition majoritaire. Comme prévu, les 42 jours qui ont séparé ces deux scrutins ont vu la tension politique et sociale s’accroître, les pressions et les chantages sur le pays ont atteint leur paroxysme, la situation économique s’est dégradée et aucune peine n’a été ménagée aussi bien en interne qu’à l’étranger pour convaincre les Grecs de faire le choix qui s’impose : reconduire au pouvoir un parti institutionnel et poursuivre dans la voie de l’austérité dévastatrice.
Le paysage politique grec au lendemain du 6 mai 2012
Les élections du 6 mai 2012 ont accouché d’un paysage politique totalement bouleversé.
Les forces politiques favorables à l’austérité sont sorties vaincues de ces élections. Les deux partis institutionnels, Nouvelle démocratie (droite) et Pasok (socialistes) ont subi de lourdes pertes. Tout en arrivant en tête, la Nouvelle démocratie a réalisé son plus mauvais score électoral depuis sa création (18,9%) alors que le Pasok a perdu près de 30% de ses électeurs (13%). Ces deux partis payent donc le prix de leur gestion calamiteuse du pays depuis 30 ans, notamment depuis 2004 : 2004-2009 pour la Nouvelle démocratie, 2009-2011 pour le Pasok, gouvernement de coalition Pasok-Nouvelle démocratie entre novembre 2011 et mai 2012. Ils subissent également les conséquences de la mise en place des politiques violentes d’austérité depuis 2010. Le parti d’extrême droite Laos, qui a soutenu temporairement la coalition n’est pas parvenu à passer la barre des 3% restant hors du Parlement.
La coalition de la gauche radicale Syriza a réalisé la surprise en occupant la deuxième place (16,8%). Mettant en avant sa volonté de former un gouvernement de gauche, Syriza devient ainsi un acteur incontournable de la scène politique en crise après avoir constitué pendant longtemps la plus petite formation du Parlement. Avec 8,5%, le Parti communiste n’a pas réalisé la percée que lui prédisaient les sondages.
Les résultats ont été marqués également par l’apparition de nouveaux acteurs : les Grecs indépendants (droit populiste), dirigés par un ancien ministre de la Nouvelle démocratie, le parti de la gauche modérée DIMAR (issu d’une scission de Syriza) et le parti néonazi Aube dorée.
Enfin, 19% des électeurs se sont portés sur des partis qui ne sont pas représentés au Parlement (extrême droite, écologistes, libéraux, extrême gauche) alors que le taux d’abstention s’est élevé à 30%.
Aucune coalition susceptible d’obtenir une majorité au Parlement n’ayant pu se dégager, de nouvelles élections ont été convoquées pour le 17 juin. Il s’agit d’une rupture majeure par rapport au comportement habituel des électeurs grecs qui depuis 30 ans accordaient en moyenne 80% de leurs suffrages au Pasok et à la Nouvelle démocratie.
Tensions et chantages
La campagne électorale qui s’est engagée s’est déroulée dans un contexte politique et social très tendu.
Fort de sa dynamique électorale, Syriza a mené une campagne offensive, se fixant comme objectif d’arriver en première position afin de créer un gouvernement de gauche qui mettrait fin à la politique d’austérité. L’élargissement considérable de sa base sur une période très courte a entraîné certaines tergiversations en son sein, en particulier sur la manière de rompre avec la rigueur. Tout en voulant retirer toutes les lois passées depuis 2010 en application des plans imposés par la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international), Syriza a réaffirmé sa volonté de maintenir la Grèce au sein de la zone euro et de renégocier les conditions de remboursement de la dette (160% du PIB).
La perspective de la mise en place d’un gouvernement de gauche en Grèce a suscité un véritable déchaînement des partis institutionnels et de la plupart des médias nationaux. La Nouvelle démocratie a mené une campagne très agressive, visant à effrayer la population en lui garantissant la sortie de l’euro et de l’Union européenne en cas de victoire de Syriza. Elle a été secondée sur ce registre par le Pasok, tous deux accusant la gauche radicale de populisme et de faire le jeu des spéculateurs en pariant sur le retour à la drachme qui menait le pays tout droit à l’âge de pierre. Les médias institutionnels ont également orchestré une campagne de propagande multipliant les mises en garde alarmistes au sujet de la faillite immédiate du pays, de pénurie de biens de première nécessité (nourriture, médicaments, énergie) des risques d’émeute et de guerre civile.
Cette campagne d’intimidation a été également relayée au niveau international. Qu’ils se déclarent « amis » de la Grèce, comme l’a fait récemment le président de la République, François Hollande, ou agacés par son comportement, comme l’a indiqué que le ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble, les dirigeants européens, en premier lieu la Chancelière allemande, Angela Merkel, ont répété sur tous les tons qu’ils souhaitaient le maintien de la Grèce dans la zone euro mais que celui-ci était directement lié au choix des Grecs. Les élections du 17 juin ont donc pris progressivement l’allure d’un référendum sur l’euro et l’Union européenne dans les déclarations des dirigeants européens. Parallèlement, un message clair a été envoyé à la Grèce au lendemain du 6 mai : toute remise en cause de l’austérité et des mesures de rigueur accompagnant les « plans d’aide » signifierait l’arrêt immédiat de tout financement de l’économie grecque.
De nombreux médias européens ont également participé à cette entreprise de pressions et de chantage. Ainsi, un éditorial du journal Le Monde appelait les Grecs à faire le bon choix tout en assurant qu’une sortie de la Grèce de la zone euro ne serait pas dramatique pour le reste de l’Union alors que le Financial Times, dans sa version allemande (15/06), intimait aux Grecs de ne pas voter pour le « démagogue » visant le leader de Syriza, Alexis Tsipras. La presse française a également offert quelques exemples savoureux. Ainsi Christophe Barbier, directeur de la rédaction de l’Express, proposait très sérieusement le 23 mai dernier de mettre la Grèce sous tutelle alors que Franz-Olivier Giesbert, directeur de publication du Point, proposait sur un ton plus ironique, le 7 juin, de « rendre la Grèce à la Turquie ».
Pendant ce temps la crise économique s’approfondit
Les élections du 17 juin interviennent dans un contexte de crise économique qui s’amplifie. L’exemple de la pénurie de médicaments pour les cancéreux en constitue le signal le plus spectaculaire. Le chômage poursuit son ascension vertigineuse avec près de 22% selon les statistiques officielles et plus de 50% chez les jeunes de moins de 25 ans. L’activité économique du pays est au point mort, le PIB ayant chuté de 20% sur les cinq dernières années et la récession devrait se poursuivre au moins jusqu’en 2013 selon les prévisions officielles.
La politique de dévaluation interne imposée par la Troïka et servilement mise en œuvre par le Pasok et la Nouvelle démocratie a produit un désastre social et économique. En application des recette néolibérales préconisées par la Commission européenne et le FMI, les salaires et les retraites dans le public et le privé ont été réduits de 20 à 30%, le SMIC a été réduit de 22% (32% pour les jeunes), les dépenses d’investissement ont été laminées, les services publics démantelés. Pourtant, malgré les quelques 250 milliards d’euros de prêts prévus par les plans « d’aide » et les 100 milliards de remise de dette privée, la dette grecque demeure insoutenable, le déficit important, la Grèce ne peut toujours pas se financer sur les marchés et le niveau de vie des Grecs est en chute libre. En parallèle, les plaies de la société grecque que sont la corruption et le clientélisme demeurent intactes.
Ces résultats catastrophiques n’empêchent pas les dirigeants européens de soutenir la formation d’un gouvernement sous l’égide de la Nouvelle démocratie, ce qui constitue la meilleure garantie de voir se poursuivre les pratiques qui ont conduit le pays dans le gouffre. Ainsi, tout en accusant les Grecs de « profiter » du système en vivant à crédit aux dépens des autres pays, les dirigeants européens attisent les rancœurs tout en occultant habilement que les prêts accordés à la Grèce servent essentiellement à renflouer les banques.
Climat de violence
Le climat morose qui règne en Grèce est doublé d’une flambée de violence, notamment à l’égard des immigrés. L’agression physique sur un plateau de télévision de deux députées (PC et Syriza) par le porte-parole du groupe néonazi de l’Aube dorée ne constitue que la manifestation la plus visible de la hausse de la violence. Les réactions de soutien que cette action a suscitées constituent un phénomène particulièrement inquiétant. Les ratonnades contre les immigrés sont désormais un phénomène quotidien avec agressions à l’arme blanche et tabassages répétés. Ces phénomènes se produisent un peu partout en Grèce, notamment à Athènes dans des quartiers littéralement quadrillés par des milices de l’Aube dorée qui agissent en toute impunité. Cette violence se dirige également, dans une moindre mesure, contre des militants de gauche. Cette situation ne doit pas être sous-estimée : si l’attaque des immigrés peut laisser indifférente une bonne partie de l’opinion publique grecque et européenne, il est certain qu’elle s’orientera bientôt contre d’autres franges de la population avant de concerner l’ensemble des personnes qui ne partagent pas les « idées » de l’Aube dorée. Ainsi, le porte-parole de l’Aube dorée a prévenu qu’après les élections du 17 juin, nombreux seraient ceux qui devraient se sentir inquiets…
Que feront les Grecs le 17 juin ?
Le débat électoral a tourné autour de deux positions tranchées :
- celle de Syriza appelant à constituer un gouvernement de gauche dont la mission serait de retirer les mesures de rigueur, de renégocier le programme de soutien financier et insistant sur le fait que c’est bien la politique de rigueur actuelle qui mène la Grèce hors de l’euro ;
- celle de la Nouvelle démocratie, identique sur le fond à celle du Pasok, qui soutient que Syriza mène la Grèce à la catastrophe et promet de renégocier les mesures imposées par la Troïka. Cette promesse n’engage bien sûr que ceux qui veulent bien y croire étant donné que la Nouvelle démocratie et le Pasok ont entériné les mesures qu’ils prétendent vouloir renégocier aujourd’hui.
Les derniers sondages (vieux de deux semaines désormais compte tenu de l’interdiction légale de publier des sondages deux semaines avant les élections) mettaient Syriza et la Nouvelle démocratie au coude à coude.
Il semblerait cependant que ce climat se soit retourné en faveur de la Nouvelle démocratie entretemps. De nombreux sondages ont été réalisés pour le compte de tous les partis, des médias et même des sociétés de paris en ligne. S’il apparaît plus prudent de les prendre avec des pincettes, la plupart donnent la Nouvelle démocratie en tête, tout en constatant une hausse sensible du score de Syriza. La Bourse d’Athènes a par ailleurs clôturé en très forte hausse jeudi dernier (+10%) sur la base de rumeurs faisant état d’un sondage qui aurait fuité donnant la Nouvelle démocratie gagnante.
Une autre incertitude pèse sur le score que réalisera l’Aube dorée. Aussi écœurant que cela puisse paraître, son action violente semble lui donner un nouveau dynamisme après un essoufflement consécutif au 6 mai. Le parti néonazi devrait non seulement se maintenir au Parlement mais pourrait également renforcer son pourcentage, certains allant jusqu’à prédire une funeste troisième place. Un tel scénario semble toutefois exagéré même si les sondeurs mettent en garde, cette fois-ci officiellement, qu’un électeur sur trois pourrait effectuer un choix différent de celui qu’il avait exprimé le 6 mai.
Nous verrons donc si la campagne de l’intimidation et de la peur organisée à l’égard des électeurs grecs a porté ses fruits.