Mal décanté

Peut-être faudrait-il secouer nos lourds vêtements dans la touffeur d'été, abandonner nos outils, arrêter les machines. Peut-être faudrait-il retirer nos casques, tourner nos gros souliers vers le haut rideau d'arbres. Peut-être faudrait-il cesser immédiatement le travail et nous diriger vers eux. Leur voix légère et leurs rires parcourent l'espace par-dessus les frondaisons. Nous les entendons si nous ne les voyons pas. Nos casques calés sous le bras, laissant la mine derrière nous, nous traverserions l'ombre dense, bruissante et parfumée. Les aiguilles des pins craqueraient sous nos pas comme les glands mûrs tombés des chênes. Au débouché de la forêt, nous découvririons la mer miroitante jusqu'à l'horizon, d'un bleu irréel. Peut-être faudrait-il, malgré les récriminations des chefs, ignorant leurs menaces, nous avancer vers ceux qui plongent, heureux d'avoir découvert ce lieu solitaire et de toute beauté, ce petit paradis de vacances, sous un ciel sans nuage. Peut-être faudrait-il faire face à ces étrangers dont nous ne connaissons pas la langue, à ces femmes, à ces hommes, venus de loin pour nager ici, leurs habits légers éparpillés sur le sable blanc. Peut-être faudrait-il leur parler - pourquoi ne nous comprendraient-ils pas? Il faudrait leur dire. Car la mine d'or, qui petitement nous fait vivre, rejette dans le fin réseau des eaux grossissant en rivière qui s'épand dans la mer, un poison mortel : le cyanure.