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Billet de blog 14 septembre 2015

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Il y a des femmes enceintes

Il y a, parmi les migrants qui fuient ce champ de mort et de désespoir qu'est devenue leur terre natale, des femmes enceintes. Qui embarquent sur des rafiots instables lancés sur une mer imprévisible, qui s'entassent dans des wagons pleins à craquer, qui marchent, marchent, marchent des dizaines, des centaines de kilomètres, et se cognent aux murs que les flics de toutes casaques dressent sur leur chemin.

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Il y a, parmi les migrants qui fuient ce champ de mort et de désespoir qu'est devenue leur terre natale, des femmes enceintes. Qui embarquent sur des rafiots instables lancés sur une mer imprévisible, qui s'entassent dans des wagons pleins à craquer, qui marchent, marchent, marchent des dizaines, des centaines de kilomètres, et se cognent aux murs que les flics de toutes casaques dressent sur leur chemin.

Je me souviens de l'impression de fragilité que je ressentais, étant enceinte. Habituellement solide et peu angoissée, je me voyais soudain transformée en une sorte de vase de porcelaine conscient de sa propre vulnérabilité, redoutant que le moindre choc ne le brise et provoque la perte irrémédiable de son précieux contenu. A tel point que je ne pouvais plus, non pas travailler, mais me rendre sur mon lieu de travail : à tout moment, je craignais qu'un élève un peu trop vif déboule en cavalant d'un couloir du collège tandis que j'arrivais par un autre couloir qui faisait angle droit, empêchant toute visibilité. J'imaginais le choc et ses conséquences sur l'enfant que je portais et je ne marchais plus qu'à petits pas, les mains en avant, avec une extrême prudence dans un espace où la rapidité des déplacements fait partie du mode de vie. Cette crainte était exagérée, je le savais. Ma fragilité était psychologique et non pas physique. Mais je ne pouvais pas faire qu'elle ne soit pas. C'est ce que je tentais d'expliquer à la sage-femme de l'hôpital, déterminée à ne pas me fournir d'arrêt de travail : « tant que le bébé va bien, on n'arrête pas. »

Aujourd'hui, je pense à ces femmes de Syrie ou d'ailleurs, enceintes, qui prennent la route sans même savoir ce qu'elles y rencontreront sinon des dangers, bien réels ceux-là : privations, efforts excessifs, absence de soins, violences de toutes sortes, injustice, mépris. Mais qui, pourtant, ne s'arrêtent pas.

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