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Billet de blog 23 octobre 2015

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Verbe en voie de disparition

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tels les espèces vivantes, précieuses et rares, détruites par les activités humaines, certains mots sont aujourd'hui en voie d'extinction. Parmi les vocables menacés, car faute de s'en servir un mot s'étiole puis s'éteint, on trouve, le cœur encore un peu palpitant mais si faible, le beau verbe comprendre. Comprendre, ce mouvement de l'esprit qui permet à qui s'en donne la peine de faire face à l'inconnu, au nouveau, à ce qui heurte, bouleverse les routines et les convictions, pour se l'approprier et donc enrichir son rapport au monde, comprendre n'est plus tendance.

Ainsi, quand un ou plusieurs membres de notre belle société démocratique et pacifiée, qui est une quoiqu'en disent ceux qui veulent la diviser afin de tirer bénéfice des échanges de coups entre les prétendues communautés, se comportent en dehors de la norme imposée aux dominés – poli-gentils-soumis – on ne cherche nullement à comprendre ces actes en écart, on dénonce, on accuse, on condamne. On ? Les braves gens, ces bourgeois confis dans la sottise des certitudes, ces possédants viscéralement attachés aux lois puisqu'elles ont été cousues sur mesure pour défendre leurs propriétés contre les regimbades de ceux qui en sont spoliés, les bien-pensants de toutes chapelles, propres sur eux et partisan de l'ordre, de leur ordre policier, suivis par toute une populace de pauvres gens que des conditions de vie difficile et des influences mauvaises ont égarés dans la voie de la haine et du ressentiment.

Mais que fait la police ? Que font les juges ? Mettez tous ces criminels au gnouf et aux travaux forcés ! Ces gitans, ces tziganes (avec un z comme au bon vieux temps des camps), ces gens du voyage ! Délinquants nés, voleurs congénitaux, violents ataviques ! Les événements de Moirans ont permis à certains de s'adonner au plaisir, malheureusement pas solitaire, du blâme facile, de l'appel à la schlague et au retour de la potence. Quoi de plus ignominieux que d'enflammer des carcasses de voitures et d'interrompre quelques heures la circulation des trains ? Quoi de plus horrible qu'un cambriolage ? Les habitants ont eu très très peur et le sinistre de l'intérieur, blême, ne savait plus s'il devait envoyer ses cognes taper à Calais ou dans l'Isère. Et les braves gens, d'entonner derechef l'autre antienne favorite, ce refrain éculé sur le laxisme d'un gouvernement qu'ils sont les seuls à dire de gauche.

Qui voudrait comprendre ces « violences », en chercher les causes ? Qui voudrait savoir comment vit vraiment la « communauté des gens du voyage » dont les journalistes précisent qu'ils ne voyagent plus depuis mauvaise lurette pour mieux dévoiler leur vicieuse obstination à ne pas s'intégrer ? Personne. Car la compréhension serait le premier pas vers l'excuse et l'excuse la porte ouverte à la justification de tels agissements infâmes, quelle horreur ! Ces « gitans » ne méritent pas notre regard. Qu'ils retournent, en prison ou dans les bidonvilles, à l'invisibilité à laquelle ils sont depuis toujours condamnés. Qui voudrait comprendre que notre mode de survie, petit-bourgeois, dont le confort et la sécurité relatifs reposent sur l'exploitation des plus faibles, n'est pas le seul possible, n'est pas le seul enviable ?

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