A l’heure où nous aurions besoin de réflexion, d’intelligence, face à une situation historique exceptionnelle, que nous offrent à penser certains pseudo-intellectuels ? A la lecture des récents propos d’Onfray, on ne peut que constater qu’il pratique désormais la position du contre-pied systématique non pas pour apporter quelque chose au débat d’idées, mais uniquement pour sa propre posture dans le paysage médiatique. Clown de la société du spectacle, se réclamant de Nietzsche, il se révèle en fait n’être qu’un nihiliste de salon, bien éloigné de son maître à penser. L’athéisme et l’hédonisme se sont perdus sur le chemin de la célébrité et de la griserie journalistique.
Selon lui nous aurions finalement été attaqué simplement parce que d’une certaine façon nous le méritions, en représailles de nos agissements au Moyen-Orient. Quel travail d’analyse géopolitique ! Rien sur le conflit entre sunnites et chiites, rien sur les intérêts financiers liés au pétrole, rien sur le Qatar et l’Arabie Saoudite … pas vraiment des pays de miséreux opprimés par l’Occident. Avec l’argument d’être proche du peuple, dans une vision paternaliste à la limite de la condescendance pour « les simples gens », Onfray trahit le peuple, dont les musulmans qui sont les premières victimes de l’islamisme salafiste djihadiste. Ils sont la cible principale de cette idéologie nihiliste, d’une minorité qui sous couvert d’être des fous de dieu ne rêve que de pouvoir grâce au califat, afin de soumettre à leur esclavage la grande communauté des croyants de l’Islam. Oui, il y a bien une idéologie à l’œuvre, une pensée structurée, un projet.
Onfray devrait réfléchir avant de nous vomir dessus par presse interposée, car les terroristes qui nous attaquent ici et qu’il légitime, ne sont pas les gens opprimés sur le terrain au Moyen-Orient, ils sont français issus de quartiers français. Et les victimes à Paris dont il se contrefiche, ne sont pas les responsables des manœuvres occidentales au Moyen Orient. Mais au moins les choses sont claires, il exprime ouvertement ce nihilisme des gauches françaises qui se masquent derrière la culpabilité post coloniale.
Ici-même sur Mediapart s’exprime parfois cette voix nihiliste refusant le débat idéologique qui est en jeu. Alors que nous devrions soutenir tous les intellectuels arabo-musulmans qui prennent d’énormes risques à exprimer une critique de l’intégrisme islamique, qui est une forme d’hérésie et de tactique de domination à des fins de pouvoir. L’attentat de Breivik en Norvège en 2011 a clairement été défini comme une attaque d’extrême droite. On n’a pas parlé d’un opprimé, on l’a associé à une idéologie nihiliste qu’il faut combattre. De même pour un acte terroriste commis par un israélien d’extrême droite, on ne dira pas de lui qu’il n’était pas juif. Ou encore d’un membre d’une secte évangélique, on ne dirait pas qu’il n’est pas chrétien.
Les terroristes djihadistes sont bien musulmans, les intellectuels du monde arabe et du Maghreb le reconnaissent sans difficulté. Cela ne sous-entend aucunement que tous les musulmans soient potentiellement des terroristes, cela n’autorise en rien le fameux « amalgame » qui paralyse la gauche et qui doit être combattu mais sans pour autant nier les problèmes actuels de l’Islam. Nous sommes face à la refondation historique en cours d’une religion et de son rapport au pouvoir. Sont en jeux le conflit sunnites/chiites qui n’a rien a voir avec l’Occident, le fantasme d’un passé glorieux perdu qui serait à rebâtir. Le christianisme a lui aussi connu des heures sombres, dirions-nous aujourd’hui que l’Inquisition n’était pas vraiment le christianisme ? De même, le salafisme djihadiste est bien issu de l’Islam. D’ailleurs on entend aujourd’hui des prises de paroles beaucoup plus fortes et sans ambiguïtés de membres de la communauté musulmane française, tant des imams que des intellectuels, ils reconnaissent le problème et veulent l’affronter et nous devons les aider.
Notre position en tant qu’occidentaux ne peut être binaire : soit le rejet, le racisme, la stigmatisation, soit le silence, la honte post coloniale et finalement la passivité. Nous devons être fier d’avoir décidé que Dieu serait en dehors de la gestion de la Cité, le paradoxe à gauche étant de croire en l’universalisme de la pensée progressiste, tout en réduisant les immigrés d’autres cultures à leurs origines sous le prétexte fallacieux de les respecter. Les exilés syriens fuient la dictature de Bachar et le nihilisme de Daech, même si nous ne sommes pas satisfaits de nos sociétés elles restent fortement attractives de par les libertés individuelles qu’elles offrent et qui nous permettent de nous exprimer ici-même.
Pour autant, continuons de critiquer et de lutter contre les injustices que nous constatons dans nos démocraties, nous pouvons à juste titre nous révolter contre nos politiques, notre système économique capitaliste financiarisé ; lui aussi est un nihilisme. Mais la critique et la lutte que nous devons mener en interne pour rénover nos sociétés ne doivent pas pour autant nous pousser à excuser d’autres groupes qui en apparence lutteraient contre le même ennemi ! Car ne nous trompons pas leur but c’est le néant, il suffit de voir les vidéos amateurs montrant la vie quotidienne à Raqqa.
Sera-t-on capable de penser une lutte contre l’ultra-libéralisme et une lutte contre les extrémismes religieux ? Comment ici des gens peuvent se revendiquer athées tout en étant incapable d’ouvrir les yeux sur le problème de l’intégrisme islamique ? Certains propos tenus ici, rejoignant ceux d’Onfray, sont en fait des actes de trahison du peuple. Sous couvert de soutenir le peuple abandonné par les élites politiques, on le trahit une seconde fois par une forme de justification du terrorisme.
Enfin, je suis écœuré d’avoir lu ici au Club que finalement les gens visés n’étaient que des « bobos », une « jeunesse dorée » matérialiste et sans idéaux. Je vis et travaille dans le 11ème arrondissement de Paris, mes grands-parents étaient des prolétaires qui ont commencé à travailler dès l’âge de 12 ans, mes parents dès l’âge de 18 ans sans études ont accédé à la fameuse « classe moyenne ». Je fréquente et je vis sans problème avec des populations diverses grâce à la mixité de ce quartier, dont des musulmans, bien plus que les parisiens vivant dans le 7ème ou le 16ème ! On n’arrête pas ici de cracher sur les « bobos », mais qui sont-ils ? A la base parlant d’une petite classe de gens gagnant très bien leur vie dans des secteurs créatifs, il est devenu un fourre-tout englobant une population disparate … mais en vérité on le sait bien, un grand nombre d’intermittents sont des précaires, des travailleurs freelance sont exploités par des employeurs sans vergogne, ces secteurs dits « créatifs » subissent de plein fouet l’ultra-libéralisme triomphant dans leur mode de fonctionnement et leurs rapports sociaux. Le « bobo » omniprésent dans certains débats a pratiquement effacé le terme de bourgeois ! Les vrais riches, ceux qui vivent de leurs placements, de leur patrimoine, de leurs activités dans la finance et les affaires …
La lutte des classes est toujours une réalité, mais la lutte contre les idéologies nihilistes aussi, elles sont coexistantes. N’essayons pas par peur ou par désir de simplifier les problèmes de refuser de faire face aux deux. N’abandonnons pas le combat, ni face aux réactionnaires ni face aux intégristes.