Billet de (mauvaise) humeur: Ce que soulève un édito...
« Ce que soulève la jupe », la désormais célèbre opération organisée depuis 2013 à l’initiative de lycéens nantais, soulevait récemment « l’indignation » d’Yves Thréard. Le directeur adjoint du Figaro s’est en effet fendu d’un édito militant qui méritait une réponse.
Depuis quelques jours, une certaine frange de la droitosphère est sur le pied de guerre. L’objet de sa colère ? « Ce que soulève la jupe », une journée de réflexion mise en place à l’initiative de lycéens nantais et visant à sensibiliser contre les discriminations et le sexisme. L’idée portée par ces derniers est d’inviter l’ensemble des acteurs du monde lycéen de l’académie à porter une jupe ou un autocollant. Libération, dans l’article qu’il consacre à l’affaire, nous apprend également qu’outre cette opération, les organisateurs entendent initier le débat en proposant des cafés citoyens pour « réfléchir sur les stéréotypes et les situations récurrentes de sexisme ». Ici, point de directive académique ou de validation ministérielle.
Loin d’être gênés pas le concept, Guillaume et Mickael, deux lycéens de l’agglomération nantaise se sont prêtés au jeu. Si Mickael assure que l’opération était surtout une « petite animation délire, une manière de marquer son soutien de manière amusante », Guillaume y voit un sens plus profond. « Si nous ne nous bougeons pas maintenant, que se passera-t-il dans vingt ans ? C’est à nous, les jeunes, de marquer notre différence », énonce-t-il d’une voix grave. Et lorsque sont mentionnées la polémique et les accusations, Guillaume répond sèchement : « On ne va quand-même pas retirer aux jeunes leur mérite. Qui est gêné de voir les lycéens se mobiliser et faire autre chose que manifester ou brûler des bagnoles (SIC) ? »
Un édito et des arrière-pensées
Editorialiste et directeur adjoint de la rédaction du Figaro, Yves Thréard signait un édito corrosif dans l’édition du quotidien datée du 15 mai. Dressant un parallèle entre la prestation de Conchita Wurtz, le transformiste autrichien vainqueur de l’Eurovision 2014, et l’opération, il y accusait l’académie et le ministère de l’Education nationale d’être à l’origine de cette journée de la jupe. Entre les saillies sur le nombre de fonctionnaires (quel rapport ?), la tentation de légaliser le cannabis (encore une fois, quel rapport ?) et l’ironie sur l’héritage soixante-huitard qu’il exècre manifestement, M.Thréard s’emploie à démontrer que cette initiative est avant tout une entreprise de démolition visant à annihiler les vrais repères de la jeunesse. Une démonstration en pure perte puisque d’autres journalistes, comme Quentin Girard de Libération, Antoine Bayet du Lab d’Europe 1 et … Yvan Rioufol du Figaro (lequel bottera en touche lorsque je le mettrai face aux contradictions de son confrère), ont publié des décryptages précis sur ce point.
Mais par quel prodige une fine plume comme Yves Thréard est-elle passée à côté de cette information ? Se peut-il qu’il ait écrit sciemment cette prose fallacieuse? Et pourquoi ? Son édito « La jupe pour tous » regorge de détails stylistiques visant à accuser directement l’académie et le ministère de Benoit Hamon d’avoir orchestré l’opération. Entre militantisme refoulé et évocations de l’épouvantail « gender », le texte dénonce « la dictature intellectuelle d’une certaine gauche » et « ces esprits pollués par la théorie du genre ». Au fil des lignes, c’est le portrait en creux d’un pays gouverné par l’absurdité et la débauche socialiste, que M.Thréard dresse. Un argumentaire qui n’aura pas laissé insensibles les militants de la Manif pour tous. Ces derniers, chauffés par le spectre du gender et la patrie en danger, se sont d’ailleurs empressés de relayer la diatribe et de manifester devant le lycée Clémenceau à Nantes.
Un écho favorable auprès de la droitosphère
Vous l’aurez compris, ici, rien de très journalistique. Cet édito, malgré les contraintes éditoriales que suppose l’exercice, est un tract politique. Rien de moins. Et malgré les incohérences grossières de sa prose, la démarche de M.Thréard a trouvé son public. Une certaine frange de la droitosphère se fait ainsi l’écho du texte et des idées qu’il véhicule. Sur le blog de l’éditorialiste, on assiste d’ailleurs à un déluge de commentaires vomitifs. D’aucuns considérant que ce nouvel épisode allait conduire à des abus sexuels sur mineurs et à obliger les enfants à pratiquer la masturbation en primaire.
Trop contente d’avoir du grain à moudre, c’est tout une communauté qui s’est réveillée et qui, désormais, brandit « La jupe pour tous » comme argument du moment. Twitter et Facebook vomissent leur flot de propos injurieux, d’appels à l’insurrection (SIC) et de menaces à l’encontre des fonctionnaires. L’objectif n’est-il pas atteint Monsieur Thréard ? La mobilisation que vous espériez (en témoigne la scène que vous avez faite à Christian Jacob, visible sur le site du Lab) n’a-t-elle pas démarré ?
Un dernier mot
Sachez cependant qu’un point nous réconcilie. Lorsque vous prophétisez que « l’atmosphère de ce pays sera bientôt irrespirable », vous me devancez et je ne peux que vous applaudir. On peut, en effet, difficilement imaginer qu’une société saine et équitable puisse survivre au traitement que vous faites de l’information. L’objectivité absolue n’existe pas dans le journalisme. C’est un fait. Mais que l’on soit éditorialiste superstar d’un quotidien national ou simple pigiste d’un canard local, nous somme tous (théoriquement) tenus par un même ensemble de principes.
Ne cherchez pas trop loin les causes de la désaffection du public pour les médias et la crise de confiance dont notre métier souffre.
Jérémy Felkowski, le 16 mai 2014
Liens annexes :
http://blog.lefigaro.fr/threard/2014/05/la-jupe-pour-tous.html
http://blog.lefigaro.fr/rioufol/2014/05/le-feminisme-est-une-farce.html
 
                 
             
            