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Billet de blog 24 avril 2014

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#F2 #JT20h, 23 Avril 2014: Alerte météorite: faut-il avoir peur de l'info?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un internaute nous a envoyé cette tribune... et nous l'en remercions! 

JT de France 2 du 23 avril 2014: « Faut-il avoir peur des astéroïdes ? ». Un sujet à traiter complètement... ou pas!

Il est 20h29, ce mercredi 23 avril (corrigé) 2014, lorsque Julian Bugier, aux commandes du JT de 20 heures de France 2 pendant les congés de David Pujadas, annonce un sujet d'astronomie:

« Faut-il avoir peur des astéroïdes ? Le débat n'est pas nouveau mais, cette fois, il est relancé par une grande étude d'experts -de la NASA notamment. Pendant plus de 13 ans, ils ont répertoriés les dizaines d'astéroïdes arrivés dans l'atmosphère. Certains auraient pu, disent-ils, détruire des villes entières, alors le risque est-il sous-évalué ? On entendra dans un instant notre heu... expert en la matière, Christophe de Vallambras qui est à mes côtés. D'abord, le détail. C'est avec Loïc de la Mornais et Christophe Obert. »

S'appuyant sur le principe de proximité affective, l'équipe du JT de France 2 a, ce soir-là, essayé de sensibiliser son auditoire à une question qui fait débat depuis des décennies en répondant à cette éternelle interrogation : faut-il avoir peur des astéroïdes ?

http://www.francetvinfo.fr/meteorites-un-risque-sous-evalue_584197.html 

Ce sujet d'une minute trente à peine, suivi des explications du spécialiste annoncé en plateau,  était bourré d'inexactitudes et d'informations non-vérifiées.

Tout journaliste doit se poser des questions avant de commencer à traiter un sujet sensible qui touche à l'avenir de l'humanité. Si une rédaction se sent prête à investir ces terrains, il lui faut -par nécessité- être parfaitement complête. Cacher des informations au grand public ne ressemble en rien à une méthode de travail éthique. La prudence peut se comprendre, mais si l'on désire être prudent, autant ne pas aborder de sujets sensibles tels que celui-là. Déontologiquement, on ne doit pas traiter d'un sujet pour le traiter, on doit le traiter pour apporter tous les éclaircissements possibles et imaginables.

Les chaînes d'information en continu prennent la liberté de ce mode de traitement de l'information car il s'agit de leur fond de commerce. On est pour, on est contre : le débat n'est pas là. Un JT, regardé et écouté par des millions de personnes, ne peut pas se permettre d'être approximatif par peur d'affoler une population. Si la rédaction décèle un potentiel anxiogène et ne trouve comme parade que la modification de la vérité, elle doit le laisser tomber.

Dans un format court d'une minute trente, suivi de deux minutes d'intervention en plateau, il est évident qu'il est impossible de faire intervenir tous les spécialistes en la matière. Alors pourquoi avoir décidé d'aborder cette thématique ? La ligne éditoriale du 20 heures de France 2 a peut-être prévu un sujet scientifique par semaine, voire plus ? S'ils avaient voulu parler d'astronomie, l'actualité dans ce domaine est particulièrement riche, en ce moment. Pourquoi ne pas soulever l'existence de la semaine internationale du Ciel nocturne, qui se déroule du 20 au 26 avril et qui traite de la pollution lumineuse ? 

Concernant les risques météoritiques, il existe une foule de documentaires qui traitent très largement des risques d'impacts. Ces documentaires posent de nombreuses questions. Ils ne sont pas pour autant hyper-anxiogènes car ils arrivent à couvrir la totalité du sujet en apportant de nombreux éclaircissements. Il reste certes des interrogations auxquelles nous n'avons pas de réponse, en l'état. Ces documentaires n'offrent pas une vision totalement apocalyptique : ils précisent que la technologie actuelle pourrait nous aider à contrer un tel phénomène.

http://www.youtube.com/embed/Cyq7bf4mbjw (Durée totale : 44mn)

Néanmoins, comme la rédaction de France 2 a choisi d'aborder le sujet, il semble important de pointer les inexactitudes dans le traitement qui lui a été donné.

Le parachutiste et la météorite (qui n’en était sans doute pas une)

En ouverture du sujet, l'équipe a pris le parti de montrer un extrait d'une vidéo qui a fait le tour de la planète début avril 2014 sur des faits inexpliqués datant de l’été 2012 et dont les analyses sont contradictoires comme l’indique cet article du 4 avril sur FranceTVInfo:

http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/video-norvege-un-meteorite-frole-de-tres-pres-un-parachutiste-dans-les-airs_569181.html 

La vidéo montre une "météorite" passer à grande vitesse à quelques mètres d'un parachutiste norvégien: il venait de déployer son parachute. L'extrait de quelques secondes diffusé à l'antenne est accompagné de ces mots : « Ce parachutiste norvégien a eu chaud. Sa caméra a surpris juste à côté de lui ce petit bolide noir : un météore qui l'a frôlé à quelques mètres ».

L’intégralité du reportage est ici, en norvégien sous-titré anglais :

http://www.youtube.com/embed/jfEdEIwhj6s (Durée totale: 9mn)  

Passés l'étonnement et l'excitation, tous les passionnés d'astronomie se sont alors interrogés: pourquoi ce morceau de roche ne se comportait-il pas comme tous les autres ? Pourquoi la friction avec l'atmosphère ne l'avait-elle pas enflammé comme c'est le cas pour la moindre petite poussière stellaire ? Pourquoi personne n'avait vu de lueur vive, caractéristique de ce type de phénomènes ?

Prenons comme exemple la pluie d'étoiles filantes des Perséides (communément appelé « Nuit des Etoiles »).

Lors de cet événement astronomique, les poussières qui illuminent le ciel sont rarement plus grosses qu'un pois. Tous les ans aux alentours du 12 août, ce phénomène est causé par la traversée, par la Terre, d'un nuage de poussières issues de la comète 109P/Swift-Tuttle.

Comment se fait-il, alors, qu'un caillou de plusieurs centaines de grammes puisse tomber du ciel sans se transformer en boule de feu, comme ce fut le cas pour le météore de Tcheliabinsk, en Russie, le 15 février 2013 ?

http://www.youtube.com/embed/dVmqVIY4VAk (Durée totale : 9mn30) 

La rédaction de France2 a-t-elle fait son travail de vérification comme il se doit en cette vidéo sans précaution oratoire?... Elle a pris le parti de NOUS proposer des images sans en vérifier le sens, quand tout le monde sait que ce qui circule sur le net est, parfois, à prendre avec des pincettes. Surtout dans le cas présent. 

Un rocher enfermé par accident dans le parachute...

Phil Plaint, un ancien de l'équipe du télescope Hubble, ou encore Steinar Midstkogen, météorologue, tout comme d'autres anonymes, ont analysé les images... Ils en sont arrivés à cette conclusion : le caillou que l'on distingue nettement ne peut être une météorite. Il s'agirait d'un vulgaire « rocher accidentellement emballé dans le parachute ».

"Explications sur la météorite qui aurait frôlé un parachutiste: la météorite qui aurait frôlé la parachutiste ne serait qu'une vulgaire rocher"

http://tempsreel.nouvelobs.com/video/20140410.OBS3423/un-objet-volant-filme-par-un-parachutiste-meteorite-ou-vulgaire-caillou.html (Le Nouvel Obs, 10/04/2014)

... ils démentent donc le 10/04 la version "météorite" relayée par les médias avec des précautions en général (mais pas au JT de F2... deux semaines plus tard). 

Le météorologue affirme au sujet du parachutiste :  « Quand il ouvre le parachute, le vent le tire vers le sud (…) le parachute ralentit et fait une rotation à 250 degrés et c’est à ce moment que le caillou le dépasse. »

Cette version des faits est étayée par la présence d'un second caillou visible sur le film à quelques mètres du parachutiste. 

Découvrez l'analyse en Anglais de Phil Plaint sur son blog Bad Astronomy: pour Plaint, sur son blog, cet autre débris ne pourrait en aucun cas être une seconde météorite, si proche de la première déjà observée. Il conclut de la même manière que M. Midstkogen : « L'explication la plus logique est que la pierre venait du parachute lui-même, accidentellement enveloppé dedans lors de la préparation. »

http://www.slate.com/blogs/bad_astronomy/2014/04/08/skydiving_meteorite_it_was_a_rock.html (Slate, 11/04/2014) 

Certains scientifiques, dont le géologue Hans Amundsen, ont pourtant affirmé qu'il s'agissait bien d'une météorite. Ce dernier avait même identifié la roche comme étant « tombée de la ceinture de Jupiter »... La précision laisse pantois, quand on sait que le supposé-météore n'a jamais été retrouvé. 

Vous pensiez en avoir lu suffisamment ? Hé bien détrompez-vous. 

"Des images de simulation qui ne sont pas de la science-fiction"

A 29min01, la voix-off nous présente un joli contre-sens : « Ces images de simulation ne sont pas de la science-fiction » avant d'expliquer que les impacts de météorites avec la Terre sont fréquents. Entre 2000 et 2013, ce sont 26 impacts de bolides (ou explosions dans l'atmosphère) qui auraient eu lieu.

Les journalistes appuient sur le fait qu'ils étaient tous « de la puissance d'une bombe atomique ». Mais, jusqu'à preuve du contraire, les images de synthèse apocalyptiques montrées lors de cet impact imaginaire sur un centre-ville ne se sont jamais déroulées. Il s'agit pour l'instant de pure science-fiction. Les scénaristes de films catastrophe américains utilisent d'ailleurs souvent cette thématique, qui pourrait presque être considérée comme un marronnier dans le cinéma catastrophe.

Une mystérieuse fondation scientifique américaine

Sans la nommer concrètement, l'équipe éditoriale évoque « une fondation scientifique américaine » venue « tirer la sonnette d'alarme ». Très bien. Mais, dans sa mission d'information, un journaliste n'est-il pas censé donner l'origine d'un élément comme celui-là ? Ce sujet, anxiogène au possible, aurait mérité une source afin de permettre à tout un chacun d'en apprendre plus !

La synthèse du rapport de la Fondation B612, celle qui n'a pas été nommée, sur les risques météoritiques présenté au Congrès américain explique qu'en construisant et envoyant dans l'espace le « Sentinel Space Telescop » (le Télescope Sentinelle de l'Espace) qui interviendrait dans les spectres liés à l'infrarouge, nous serions avertis en avance sur la trajectoire des astéroïdes, alors qu'ils seraient encore à des millions de kilomètres de la Terre.

Le rapport: https://b612foundation.org/wp-content/uploads/2014/04/B612_PR_042214.pdf

Ce télescope pourrait être lancé en 2018. « Il pourrait détecter et suivre plus de 200 000 astéroïdes lors de la première année de sa mise en fonction. ». Retenez ce chiffre pour la suite.

La fondation scientifique en question, Fondation B612 (https://b612foundation.org) désire alerter les autorités sur les risques liés aux impacts de météores". Jouant sur le fait que « Les dinosaures n'avaient pas de programme spatial », cette fondation à but non lucratif explique qu'apporter une modification d'1 ou 2 cm/seconde à un astéroïde pourrait permettre d'éviter un impact avec notre planète.

La rédaction de France 2 et son « spécialiste-météorites »

C'est là le but de l'intervention en plateau du « spécialiste-météorites » du JT de France 2. Le journaliste était là pour expliquer les méthodes pensées par la NASA pour dévier un astéroïde. A titre personnel, j'ai été ravi d'apprendre que France 2 avait un spécialiste en météorites, qui apparaît fugitivement sur le service public. La question qui se pose est la suivante: qu'est-ce qui justifie le label "spécialiste" dans un domaine si pointu?  A la toute fin de son intervention, il conclut sur ces mots « le péril est encore très hypothétique : on surveille, on sait très bien où sont ces gros astéroïdes. Et pour l'instant, aucun ne vient vers la Terre ».

Si la Fondation B612 estime justifié l'envoi de son télescope dans l'espace, c'est qu'ils pensent qu'en une année seulement, il pourrait détecter et déterminer la trajectoire de plus de 200 000 astéroïdes. Le Dr. Ed Lu a affirmé, pendant cette rencontre, que « seulement 10 000 astéroïdes dangereux, ayant le potentiel de détruire une ville entière, sur une estimation de plus d'un million d'objets, ont été découverts depuis nos observations terrestres ». 

(...)

L'univers et ses mystères intriguent la race humaine. En amenant un sujet d'astronomie dans son 20 heures, la rédaction de France 2 savait qu'elle intéresserait un large public. Mais franchir cette limite dans le but unique de faire de l'audimat sans avoir préparé le sujet convenablement, est-ce remplir comme il se doit son devoir d'informer?

Florent D.


Mise à jour: nous avons décalé des paragraphes qui étaient dans le texte original et qui semblent mal compris. Ils arrivent en fin de texte, entre "observations terresteres" et "L'univers et ses mystères". Nous y avons mis un "(...)". Philippe Guihéneuf

Comment, alors, France 2 peut affirmer publiquement qu'il n'y a aucun risque pour la Terre ? J'en veux pour preuve cette carte de la NASA, relayée par le site: 

relayée par le site IFL via sa page Facebook :

https://fbcdn-sphotos-b-a.akamaihd.net/hphotos-ak-prn1/t1.0-9/10269519_802315646456115_3315616555652693781_n.jpg 

Page Facebook de IFL : https://www.facebook.com/IFeakingLoveScience

Nous sommes en droit de nous interroger sur le bien-fondé du traitement de cette information. En n'abordant que les parties les moins sensibles, la rédaction du 20 heures de France 2 n'a donné aucune piste permettant à tout un chacun d'en apprendre davantage sur ce dossier. Elle n'a pas non plus vérifié certaines informations de son sujet. Pour mettre fin à ce débat, il est indéniable que ce sujet n'aurait pas dû être abordé du tout, surtout quand on connaît la richesse de l'actualité scientifique.

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