J'ai lu les billets, et un certain nombre de commentaires venant de la part des abonnés ayant signifié récemment, et publiquement, leur départ du site. J'ai reçu des courriers en privé. Et j'ai compris les raisons qui ont conduit leurs auteurs à ces décisions. Raisons que je partage en partie, d'ailleurs. Mais je ne partirai pas, en tout cas, pas maintenant, pas tout de suite, pas pour ça. Je ne me mets même pas en grève comme cela est proposé par Saine Colère, parce qu'une grève suppose un mouvement collectif et une revendication claire.
Pourtant, je peux ressentir aussi aussi, parfois, un certain ras-le-bol : par exemple quand on donne du temps à un site, à la fois pour se tenir au courant, et pour y écrire des textes dont on pense qu'ils peuvent avoir une fonction (sinon, on ne se fatiguerait pas à les écrire...) et que rien ne se passe, comme si cet effort était vain. Ce ras-le-bol, je pense que nous sommes nombreux à l'avoir ressenti. Comme la déstabilisation que l'on peut traverser quand on est attaqué par un blogueur, et que cette attaque est répétitive, et que l'on ne trouve pas de moyens de sortir d'une espèce de nasse, cela, je l'ai vu à l'oeuvre chez un certain nombre de rédacteurs. Je pense que cette déstabilisation joue dans les départs récemment annoncés.
Et je trouve cela très dommage. Si l'on n'écrit pas sur un journal pour souffrir, il n'empêche que la réponse à l'agression subie par l'effacement de sa parole publique me semble davantage de l'ordre de l'auto-punition que d'un juste retour des choses.
Oui, mais que faire devant des attaques dans un fil de discussion ?
De temps en temps, on constate que les blogueurs maltraités par d'autres blogueurs, parfois par des trolls, en appellent à la rédaction.
Alors, deux situations peuvent se trouver :
ou bien l'attaquant, ou le groupe d'attaquants, (peut-être en service commandé) transgressent la charte. Alors là, effectivement, la fonction « alerte » marche. Je l'ai personnellement utilisée pour des contrevenants à la charte. C'est efficace, pas forcément tout de suite, mais in fine la rédaction fait respecter la charte. Il ne faut pas hésiter à utiliser cette fonction si c'est légitime.
ou bien les attaques, pour pernicieuses, déstabilisantes, et répétées qu'elles soient, ne rentrent pas dans le cadre de ce qui est interdit. Là, il devient inutile, et même contre-productif, d'attendre de la direction du site qu'elle régule la chose. C'est à nous de le faire, mais à un « nous » collectif.
J'avais écrit un texte, au début de ma participation à ce site, qui tentait de répondre à cette question. Vous trouverez en note un commentaire posté sur le billet d'Annie Lasorne, à propos des fois où le « Don't feed the troll » ne suffit pas. En particulier quand les attaques, même débiles, sont répétées inlassablement et que cela pourrit le fil de discussion.
Mais je voudrais aller plus loin sur la notion de participatif et d'auto-gestion : OUI il faut de l'auto-gestion. OUI il faut de la solidarité. OUI il faut s'y mettre à plusieurs pour empêcher de nuire un troll, ou un malfaisant, qui s'attaque à un blogueur en tant que personne parce qu'il n'a plus d'arguments à lui opposer. Et même si c'est quelqu'un qui sait se tenir d'habitude, et qui se lâche en oubliant qu'il est sur un espace public et qu'il est lu par des personnes qui attendent de trouver des idées, des réflexions, des points de vue différents, mais pas une bataille de chiffonniers absolument inintéressante, et même rédhibitoire.
Sur mon dernier billet, un abonné qui a écrit très peu de billets m'interpelle à quatre reprises, en essayant d'orienter la direction sur autre chose que le thème du billet (le TSCG) et en finissant par avouer « Bon, c'est décidément impossible de vous énerver... ».
Bien sûr, que c'est impossible de m'énerver. Pas dans la vraie vie, mais sur un site public, oui, bien sûr. Car je n'oublie jamais que ce que j'écris va être lu. Et que j'ai toujours le temps de réfléchir à ma réponse, et donc de ne pas « réagir ».
C'est un vieux truc de manipulateur, ça, nous amener à réagir, en perdant notre sang-froid. En ce qui me concerne, savoir cela me calme vite : je n'ai absolument pas envie de faire le plaisir à celui qui me titille d'avoir le comportement qu'il attend de moi. Non, mais ! Et, sur un site, c'est très facile d'attendre un peu ( le temps de tourner 7 fois ses mains devant le clavier, mais on peut attendre davantage...!) avant de répondre.
Quant à la réponse, comme vous pourrez en trouver un exemple à la fin de mon dernier billet, il me semble important que ce soit une non-réponse, une réponse qui repart sur ce que vous voulez, vous, dire, et pas sur le terrain glissant sur lequel on veut vous amener.
Parfois, il existe de vrais conflits : les intervenants ont des points de vue très déterminés, et résolument différents. Est-ce que cela vaut vraiment la peine de se disputer pour cela ? Je pense que, si quelqu'un prend une position de militant agressif, et on en trouve sur de nombreux sujets, il vaut mieux souligner cette outrance, et passer à autre chose. On ne convaincra jamais un adepte, ni quelqu'un qui s'aveugle volontairement : on peut juste éclairer le lecteur, avec tact (l'agressivité discrédite la parole, ou l'écrit, de celui qui l'emploie) sur la tonalité particulière de l'intervention de l'agresseur. Et on passe par-dessus le commentaire. Cela peut se faire collectivement aussi, et c'est mieux.
Quant à la question de l'insatisfaction que l'on peut avoir vis-à-vis de Mediapart, je la comprends, mais je trouve cependant qu'il ne faut pas se tromper d'ennemis. Mediapart a les défauts de ses qualités.
- C'est un journal s'autorisant une contestation ouverte et argumentée du pouvoir, et qui a mis la question du participatif de ses abonnés au premier plan : mais ce n'est pas un organe politique. Nous pouvons être déçu que Mediapart n'ait pas davantage soutenu tel ou tel candidat, mais il vaut mieux admettre que ce n'est pas sa vocation.
- Mediapart met les billets de ses abonnés en avant, mais décide des ordres de préséance, et choisit d'éclairer ou de laisser dans l'ombre tel ou tel billet, ou tel et tel blogueur. On peut trouver cela injuste, et ça l'est. Mais ce n'est pas notre journal. Si nous décidions de faire un journal d'abonnés, nous pourrions décider de principes d'auto-gestion égalitaristes. Mais ce n'est pas le cas ici, et, de plus, est-ce que certains billets ne vont pas réellement favoriser plus les ventes que d'autres ? Un journal doit aussi être rentable...
- Mediapart ne fait pas de censure a priori des billets de blog ou des commentaires, ce qui va dans le sens de son esprit participatif, de sa défense de la liberté d'expression, et du fait que c'est un journal qui ouvre aux lecteurs la possibilité de bloguer, et pas une plate-forme de blogs. Il n'y a donc pas de gestion structurée de ce qu'écrivent les abonnés, et c'est à eux de mettre en œuvre de l'intelligence collective. Étant donné le niveau élevé des billets et des commentaires (en comparaison des autres journaux) cela marche. Il faut cependant, au regard des événements récents, rediscuter encore des moyens collectifs auxquels nous pouvons réfléchir, sans toucher à cette si rare liberté, pour empêcher les agressifs de prendre le pouvoir.
- Enfin, je voudrais parler de la déception qu'un blogueur peut ressentir, s'il fait un billet qu'il considère comme intéressant, et que celui-ci n'est pas repris sur le site de façon vraiment visible. Effectivement, cela touche. Si on écrit sur un journal, c'est pour être lu. Ce n'est pas plus une question d’ego que quand on se défonce au travail et qu'on attend que son chef s'en rende compte. C'est normal. Mais comme la rédaction a autre chose à faire que nous dire merci et bravo, il faut faire sans. On peut envoyer ses textes aux personnes que l'on connaît, cela permet quelques retours qui comblent le silence dans lequel semble tomber certains textes. Et puis il y a les autres blogueurs, qui commentent nos billets et relancent le débat. Et là, cela devient vraiment intéressant !
Pour résumer, je trouve qu'en ces temps très inquiétants, où notre démocratie vient d'être vendue aux banques, même pas pour un paquet de lentilles, l'ennemi a plus d'un visage. Mais ce n'est pas celui de notre journal, qui présente l'avantage de nous permettre d'exprimer publiquement ce que l'on pense, même si ce que l'on a à dire est vraiment contestataire. Notre journal a des défauts, certes, et la rédaction n'a pas une conduite parfaite. Mais nous non plus. Et ce n'est pas le problème. Nous sommes humains, c'est tout. Mais, en tant qu'êtres humains, nous faisons partie de ceux qui cherchent la vérité, et qui veulent qu'elle soit connue du plus grand nombre. C'est un projet que nous avons en commun.
Aussi je souhaite que tous ceux qui ont eu des problèmes avec Médiapart s'en expliquent avec la rédaction. Mais qu'ils restent. Et qu'ils continuent de nous faire entendre leur musique singulière.
C'est essentiel.
PS : Note sur la lutte contre le trolling :
"Il s'agit, si le troll a l'air d'argumenter, de faire comme si on lui répondait, mais sans lui répondre en fait. C'est-à-dire en relançant la discussion sur un point que l'on souhaite, soi, voir développé à nouveau.
C'est une tactique de manipulation connue : on peut l'observer, par exemple, quand un homme politique est mis en danger par une question d'un journaliste. On constate alors, très souvent, que l’interviewé fait mine de répondre, mais en fait oriente sa soi-disant réponse sur quelque chose de très éloigné de la question dérangeante. Parfois, les journalistes s'y laissent prendre et embrayent sur le nouveau thème en oubliant la non-réponse.
Comme le troll utilise une tactique de communication perverse, nous sommes autorisés à utiliser ces petits trucs qui permettent de les neutraliser...
Exemple fictif :
"Vous n'avez rien compris à la question : vous et tous les gauchistes de votre espèce, vous n'avez qu'une grille de lecture à votre portée et la complexité de l'économie vous est complètement étrangère. Vous feriez mieux de lire les textes, et de les comprendre, si vous pouvez, cela vous éviterait le ridicule de répéter en boucle le catéchisme gauchiste".
Exemple de réponse :
"Effectivement, les traités européens de stabilité financière sont (volontairement ?) complexes. C'est pourquoi il aurait été d'autant plus important que ces votes qui engagent l'avenir de notre nation soient précédés d'une phase d'information citoyenne. Phase qui aurait due être suivie d'un débat, puis d'un référendum. Mais il est plus facile de se passer de l'avis du peuple que d'envisager d'avoir à se battre pour le défendre. Si tant est que l'équipe au pouvoir se pose réellement la question de la volonté des citoyens et de leur devenir."
C'est un exemple fictif, je le rappelle...