LES NARCOTRAFIQUANTS
Qui trouve-t-on dans la prison de Yanamilla? se demande Primitivo Ramirez, le jeune maire de Puerto Mayo. « La plupart sont nos frères, nos amis, parfois du quartier, de la famille, des connaissances, des gens modestes, souvent sans éducation; mais avez-vous vu dans la prison les grands narcotrafiquants de la région, les grandes mafias ? Beaucoup d’entre eux sont habillés en costard cravate, beaucoup d’entre eux sont même des autorités ou des fonctionnaires de haut niveau. Ce sont eux les grands narcotrafiquants. Ce sont eux aussi qui permettent l’entrée des composants pour la fabrication de la cocaïne ». Selon Carmen Masías ex-cheffe de DEVIDA (5) 4.000 jeunes croupissent dans les prisons pour ces raisons.
Le candidat à la mairie de Pichari, Hernán Palacios, résume la nouvelle militarisation contre le narcotrafic qui d’après lui n’est même pas efficace: « En 1994 quand le prix de la feuille de coca a baissé on n’a pas éradiqué le producteur paysan de coca, on a attaqué les narcotrafiquants. Si l’Etat voulait aujourd’hui poursuivre les narcotrafiquants, il ferait baisser le prix de la feuille de coca. De plus, maintenant on a la technologie, par exemple avec l’installation de scanners aux contrôles de police de Machente nous empêcherions l’entrée des composants dans la VRAE. Pourtant c’est tout le contraire qui arrive, il y a quelques années nous avons eu un chef de la police à Machente qui a été arrêté avec de la drogue à Arequipa. Deux tonnes, imaginez ». Pourtant, d’un autre côté, des dizaines de jeunes « mochileros », comme on appelle les transporteurs de pâte base de cocaïne, sont tués chaque année avec 5 ou 6 kilos de celle-ci en leur possession, par l’armée et la police sur les routes de la VRAE. On découvre souvent leurs photos en première page des journaux, affichées comme celles des « narcoterroristes abattus ». Ces jeunes ne sont qu’un exemple de l’abandon dans lequel se trouve la région et les ravages dans ce qu’un pays a de plus précieux : sa jeunesse. Les « mochileros » constituent un petit maillon de la grande affaire du narcotrafic dans laquelle ils sont les premières victimes.
Au Pérou on ne saisit que 7% des composants nécessaires à la fabrication de la pâte de cocaïne et moins de 4% de la cocaïne produite. Le Pérou produit 350 tonnes de cocaïne desquelles seulement 7 tonnes en sont saisies. Par où sortent les 343 tonnes restantes alors que les contrôles de police, les bases militaires, les agents de la DEA pullulent dans toute la région de la VRAE et dans les autres régions de culture de feuille de coca? 80% de la cocaïne produite quitte le Pérou par voie maritime par le ports de Callao, Ilo, Chimbote et Paita. Le Pérou est devenu le premier exportateur mondial de cocaïne.(6) et selon l’ONU aussi le premier producteur.
Il était cinq heures de l’après-midi. En attendant à Quisto Valle une camionnette qui me ramènerait à Pichari je vis des dizaines de jeunes qui descendaient vers la route. Je discutai avec certains d’entre eux. Ils travaillaient dans les plantations de coca. Ils venaient de terminer une dure journée dans les champs. Ils étaient issus de différentes régions: de Huancavelica, d’Andahuaylas. Ils arrivaient en familles ou en groupes, ils étaient tous très jeunes, des hommes et des femmes, à la recherche d’un avenir qu’aucun gouvernement ne leur a accordé. Une génération qui, comme celle de leurs parents, n’a jamais connu le « Señor Gobierno ». (7)
LA COCA OU LA MORT
Il est vrai, comme dit le maire de Puerto Mayo que « le paysan est très direct dans sa manière de résumer sa situation [….] Ils disent la COCA ou la MORT, mais il ne faut pas l’interpréter comme du radicalisme ». Le paysan cultivateur de coca pense que l’éradication des plantations de feuilles de coca le mènera à une mort lente pour lui comme pour sa famille. Et il est certain que beaucoup d’entre eux s’opposeront et mourront si nécessaire en défendant leurs plantations. L’éradication annoncée va générer sans aucun doute un conflit social à grande échelle. Primitivo Ramírez prévient: « Attention, les populations et les communautés de la VRAE sont armées à cause des séquelles socio-politiques vécues pendant les violences politiques des années 80 et 90 ».

De l’autre côté du fleuve Ene, du côté d’Ayacucho, se trouve Sivia. Les habitants de la région décorent leurs embarcations et leurs maisons en vert émeraude, la couleur de la région de Huanta à laquelle appartiennent les différents villages de cette partie du fleuve. Sur la place centrale de Sivia, un paysan cultivateur de coca attendait assis avec sa fille l’ouverture de la filière de la Banque Agricole pour demander un crédit. Son visage et ses mains marqués sont les fidèles témoignages du dur labeur que doivent réaliser les habitants de la région. Il nous dit que l’éradication n’apporterait que plus de famine et de misère, « comme dans les années 90 beaucoup de jeunes se tourneront vers la subversion, la situation n’a pas changé, les militaires continuent de commettre des abus, ils rentrent dans les maisons et emportent nos affaires […..] Il y en a beaucoup qui disent que, si c’est nécessaire, nous laisseront nos vies en défendant la coca ». Il y avait de l’indignation et de la désolation dans son regard. L’abandon est le sentiment qui transparait dans ces terres, un abandon qui contraste néanmoins avec l’effort indescriptible effectué par ces paysans pour survivre et permettre à leurs familles de s’en sortir.
Ruth Villar Quispe, ex-dirigeante de la Fédération des clubs de mères de la Vallée des fleuves Apurimac et Ene , voit avec « inquiétude le trafic journalier des hélicoptères et des navires sur le fleuve. » Comme beaucoup d’autres mères, elle a souffert et vécu dans sa chaire la guerre interne, elle a perdu des membres de sa famille. « L’Etat ne se rend pas compte qu’il est en train de traumatiser nos enfants. Pour les enfants, les hélicoptères sont des croquemitaines, le bruit est permanent, de jour comme de nuit. Nos frères, les agriculteurs, nos frères paysans, sont catégoriques, ils disent la coca ou la mort. Le seul moyen d’existence pour tous ici dans la VRAE c’est notre coca. Le gouvernement doit dialoguer avec les dirigeants pour qu’ils arrivent à un accord. Nous ne sommes pas d’accord pour qu’ils interviennent sans nous consulter au préalable ». Elle lance un appel au gouvernement d’Ollanta Humala afin qu’il réfléchisse avant toute éradication intempestive: « Qu’avait-il dit quand il était candidat ici à Ayacucho ? Je ne vais pas éradiquer la feuille de coca ! Je veux qu’il tienne parole parce qu’il nous a vraiment menti, il est arrivé au pouvoir avec un mensonge. Monsieur Humala, réfléchissez-y mille fois avant d’entrer dans la VRAE ».
De Sivia, nous partîmes en direction de Huamanpata, nous parcourûmes de petites collines et nous aperçûmes d’en haut la beauté du grand fleuve Ene et son épaisse végétation sous le concert mélodique de l’incommensurable population d’êtres vivants qui habitent la vallée. Huamanpata est un petit village. Dans la rue principale, les habitants sèchent les feuilles de coca sur de longues bandes en plastique noir et bleu. Un vieux monsieur nous accueillit et nous souhaita la bienvenue. Nous parlâmes avec quelques habitants puis nous nous dirigeâmes à pied vers les parcelles pour dialoguer avec les paysans qui travaillaient encore sur la plantation. Nous fûmes été reçus sur une parcelle par Mario Gómez, paysan de petite constitution. Sur une colline au milieu des cultures, sous un soleil de plomb, les feuilles des arbustes de coca prenaient une couleur verte fluorescente. Les enfants jouaient dans les environs, apportant une note d’innocence et de gaité dans un paradis que l’on essaie de condamner à la désolation et à une perpétuelle misère. Avec son parler calme et précis, Mario nous expliqua peu à peu ses inquiétudes et ses préoccupations: « La politique répressive du gouvernement en place et de l’institution DEVIDA nous inquiète beaucoup à cause de la décision prise. Nous sommes des agriculteurs pauvres, de petits propriétaires, nous ne sommes pas des grands producteurs de coca comme ils le pensent. Ils croient que, dans la vallée, même les chiens ont des dents en or. Ce n’est pas vrai. Cette éradication répressive, unilatérale qui nous arrive dessus nous inquiète beaucoup. […..] Comme vous le voyez, la vallée n’est pas comme l’imaginent les gens huppés de Lima, qui nous considèrent comme des terroristes, des narcoterroristes, des personnes de mauvaise réputation. Nous ne sommes pas comme ça ».

« Nous aimerions nous mettre au développement alternatif mais malheureusement il n’arrive pas dans cette zone. C’est vrai que DEVIDA a un budget annuel énorme pour la vallée, des millions, mais finalement, cet argent n’arrive pas au petit propriétaire cultivateur de coca. [….] « 60% du budget reste à Lima. Ils ne nous ont donné que quelques sacs pour planter des pepinières et quelques scies. Je n’appelle pas ça du développement alternatif. […..] « Le plan de développement alternatif est un échec cuisant. Allez-y, visitez n’importe quelle parcelle et vous verrez qu’il n’est pas arrivé. Ils ont échoué parce qu’on ne prête pas vraiment attention à l’agriculteur cultivateur de coca. ENACO (l’entreprise publique en charge de l’achat et de la commercialisation des feuilles de coca) est un monopole qui nous achète la coca 80 soles, le prix de la deuxième qualité, et qui la revend 200 soles par la suite dans les montagnes. Elle a le monopole sur nous. Malheureusement, aucune entreprise ne peut la concurrencer”.
Le gouvernement a décidé d’éradiquer de manière unilatérale 30.000 hectares de cultures de feuilles de coca dans la région, une mesure qui a été suspendue temporairement (8).
LA GUERRE POUR LES RESSOURCES
En 2005, le gouvernement péruvien a accordé par Décret Suprême N° 036-2005-EM, la licence d’exploration et exploitation des hydrocarbures sur le LOT 108 à la filiale argentine de la multinationale PLUSPETROL Resources Corporation dont le siège social est en Hollande. Actuellement PLUSPETROL possède plus de 85% des parts du Lot 108 et la compagnie australienne WOODSIDE PETROLEUM en possède15%. Le lot 108, qui se trouve dans le bassin de la VRAE est une région étendue qui comprend les départements de Junín (Chanchamayo et Satipo), Cusco (La Convención), Ayacucho (Huanta et La Mar), Pasco (Oxapampa) et Ucayali (Atalaya), couvrant plus d’1,2 millions d’hectares. Dans une interview à un journal local, Gérman Jiménez représentant de PLUSPETROL au Pérou s’est montré très enthousiaste à l’idée du Lot 108: « C’est un lot qui peut devenir un autre Camisea de par son potentiel en gaz et en liquides et même en pétrole ». (9) La multinationale hollandaise PLUSPETROL est aussi une des sociétés exploitantes des gisements de gaz du lot 88 de Camisea et du lot 56 à Pagoreni, dans le Bajo Urubamba dans la région de Cusco. Néanmoins, ce sont surtout les lots d’exploitation PLUSPETROL 1AB et 8, situés dans la forêt nord du Pérou, qui ont créé des antécédents désastreux. L’extraction de pétrole dans ces deux lots a affecté la santé du peuple Achuar, aussi bien du côté péruvien que du côté équatorien, ainsi que la flore et la faune de la région. Dans un rapport de la Direction Nationale de la Santé Environnementale, il a été déterminé que plus de 98% des jeunes Achuar de moins de 18 ans dépassent les limites de cadmium dans le sang à cause de la grande toxicité de la zone. En 2006 pendant les manifestations des Achuar face à la terrible contamination de leurs terres de la part de PLUSPETROL, certains manifestants furent arrêtés par la DINOES (Police des Operations Spéciales), pour ensuite être emmenés dans le camp de la multinationale où ils furent torturés. Avec de tels antécédents, on se doute bien que l’exploitation du lot 108 dans la VRAE ne fera que militariser un peu plus la région et va générer une répression plus importante à l’encontre de ses habitants, sans compter les dommages incommensurables sur la santé des habitants et la destruction de l’écosystème de la région.

Source: PeruPetro
Les concessions pour l’exploration et l’exploitation du pétrole et du gaz à des entreprises multinationales ont augmenté de manière dramatique dans l’Amazonie Péruvienne, passant de 15% en 2004 à 75% de nos jours. Parallèlement, la présence militaire états-unien au Pérou a aussi augmenté ces dernières années. On estime à plus de 85000 le nombre de militaires états-uniens qui sont entrés au Pérou entre 2003 et 2010.
Dans ce contexte, les expropriations des 475 hectares pour la construction de l’ « aérodrome militaire » dans le cœur de la VRAE prennent un relief tout particulier. Cette structure militaire deviendrait avec Pichari le centre névralgique pour la protection et la sécurité des entreprises dédiées à l’exploitation des ressources naturelles de la VRAE. Elle serait aussi le centre d’approvisionnement pour les autres bases qui opèrent dans la région contre le PCP-Militarisé qui empêche, d’après Plus Petrol, l’application des plans d’exploration et d’exploitation dans la partie sud du lot 108. Il faut rappeler que, dans les dernières années, le PCP-Militarisé a occasionné des pertes importantes à l’armée péruvienne et consolidé son influence dans la région. Comme affirmait Hernán Palacios: «Les états-uniens nous considèrent comme une colonie des États Unis. […..] ”La troisième guerre mondiale aura lieu à cause de l’eau et la plus grande réserve d’eau se trouve dans l’Amazonie et dans la VRAE qui en fait partie en tant qu’affluent de l’Amazone. [……] « Les États Unis ont l’ambition d’avoir une présence et un contrôle hégémonique. S’ils s’approprient 475 hectares c’est pour quelque chose d’important. […] La découverte du lot 108, la prospection de minéraux, c’est là que se trouvent les interêts des Etats-Unis dans la région. Nous sommes un pays souverain, nous devons défendre notre souveraineté ».
Quelques exemples récents ne font que confirmer les informations sur l’augmentation de la présence états-unienne sur le territoire péruvien. Dans la Base Naval d’Iquitos Sainte Clotilde, sur la rive gauche du fleuve Nanay se trouve le siège du Commandement Général des Opérations dans l’Amazonie (COMOPERAMA) appartennant à la Marine de Guerre péruvienne. Grâce au Plan Bilatéral du Programme des Opérations Fluviales signé entre le gouvernement péruvien et le gouvernement des Etats-Unis, les Forces Armées des Etats-Unis ont construit dans la Base Naval Sainte Clotilde l‘École des Opérations Fluviales, une École de Combat Fluvial avec le financement du Commandement Sud et dans laquelle interviennent des instructeurs militaires étas-uniens. C’est ici que les Forces des Opérations Spéciales (FOES) et l’Infanterie de la Marine de Guerre qui combattent dans la VRAE reçoivent formation et entraînement. Le Plan comprend aussi la construction de 7 bases et Plate-formes Flottantes avec le financement de l’USACE (10) et de la DEA (11) et la livraison de 28 navires de patrouille ainsi que d’armement. Le Plan Bilateral a établi un Centre d’Opérations Fluviales (Commandement d’Opérations), un Centre Logistique et d’Approvisionnement dans la Base Navale Teniente Clavero située à la frontière avec la Colombie. (12)
Mónica Bruckmann fait remarquer que le séjour d’un militaire états-unien au Pérou « dure en moyenne entre 12 et 67 jours pour réaliser des exercices d’entrainement militaire en mer, sur terre et dans les fleuves, un entrainement à la lutte anti-insurrectionnelle et au renseignement avec les forces armées et la police du Pérou et des exercices de reconnaissance du terrain dans des zones de conflit social. Ainsi, les déplacements militaires se dirigent vers des zones stratégiques de contrôle du bassin amazonien et de ses principaux affluents, les principaux ports péruviens (Callao, Salaverry, Paita, Chimbote et Ilo), d’où sont expédiés par bateau le pétrole, le gaz, les minéraux que le pays exporte mais aussi les régions de grand conflit social et de protestation (comme la Vallée des fleuves Apurímac et Ene, connue sous le nom de VRAE). » (13)

Source: Commandement Spécial de la VRAE-PÉROU
https://www.facebook.com/pages/COMANDO-ESPECIAL-VRAE-PERU/210068725729145 (14)
