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Billet de blog 6 février 2009

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Les méfaits de l'interdépendance

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Comment comprendre que le développement des chinois ou des indiens, à l'autre bout du monde, provoque désormais une perte de travail chez nous? Comment est-il possible que l'erreur d'un seul petit trader à la Société Générale ait pu provoque la perte de tant de milliards? Et comment se fait-il que des imprévoyances aux E.U. puissent ruiner l'économie mondiale?

Tous ces maux, et bien d'autres, ont une cause : l'interdépendance. Cette notion est plus célèbre (pour ne pas dire célébrée) sous le terme de "mondialisation".

Le mot "mondialisation" est apparu au début des années 1980. Il est de compréhension moins facile que celui d'interdépendance économique, financière et politique, alors qu'il signifie exactement la même chose. Il est donc étonnant qu'il ait ainsi percé dans le discours qui devait vulgariser l'économie.

Lorsque l'on remplace un mot simple par un mot compliqué, il y a toujours une très bonne raison. Ici, c'est que par son étymologie évidente, la "mondialisation" évoque le "monde". Evidemment, les économistes neutres se limitent ainsi à constater que l'interdépendance est devenue mondiale. Mais le mot a une connotation qui peut servir : "la mondialisation", ce n'est pas seulement "le monde", c'est "le monde moderne tel qu'il est". C'est le progrès, c'est la fatalité économique.

Dans ce sens, il a trouvé une utilité immédiate : s'il y a des problèmes, on n'y peut rien. C'est la mondialisation, et le monde, n'est-ce pas, le monde entier, c'est hors de notre portée.

De cette manière, les politiques avaient une excuse facile, et pouvaient profiter, comme ils y aspirent toujours, des ors de la république, des honneurs du pouvoir, sans plus en avoir les responsabilités.

La dilution des responsabilités, voilà une jolie astuce. Et, avec la construction européenne, il y a bien une certaine continuité. Le prétexte de la mondialisation a tenu un certain temps. Bon, on nous promettait des lendemains qui chantent, aujourd'hui c'était dur, mais la mondialisation allait montrer ses bons cotés. Comme on ne voyait rien venir, on nous a expliqué que, pour mieux profiter de la mondialisation, il fallait "peser plus" et faire la construction européenne. Et hop! Nouvelle dilution. Désormais, une très grande majorité des lois sont votés par l'assemblée européenne; et les politiques nationales - et les voix des peuples - perdent encore de leurs moyens d'action. Et, de fait, que se passe-t-il? On ouvre les frontières, pour permettre le libre échange, et ainsi, nous sommes tous en concurrence!

C'est qu'il faut bien s'adapter à la mondialisation! Le monde est là, qui ne va pas nous attendre! Il faut que nous comprenions que nous ne sommes qu'une petite chose, comparés au monde entier!

A croire que l'existence du monde entier est une chose nouvelle, et que jamais ni l'Inde ni la Chine n'ont connu jusqu'ici de développement économique.

Evidemment non, ce qui est "nouveau", c'est la mise en application systématique de tous les moyens nécessaires pour diluer notre autonomie et pour nous rendre toujours plus dépendants des actions des autres.

Il faut bien comprendre cela : la mondialisation est une construction humaine. Loin d'être une fatalité, elle est le fruit de décisions précises, et même d'une idéologie assez répandue.

L'idéologie est celle du cosmopolitisme, d'ailleurs lié au libéralisme : soyons citoyens du monde! A bas les nations, qui ont sécrété le nationalisme et les atrocités du 20ième siècle. Il faut se projeter dans le monde, avoir une vision globale, et non étriquée, cesser de croire que l'étranger est un ennemi, et au contraire, s'ouvrir à lui!

Et certains économistes et politiques d'embrayer : rendons-nous interdépendants. Faisons de multiples accords commerciaux et politiques, quitte à limiter nos propres pouvoirs et nos propres capacités de production pour cela! Car si nous dépendons les uns des autres, outre que le commerce permettra d'entretenir des relations fréquentes et pacifiques, puisque nous aurons des intérêts communs, nous serons moins poussés à nous faire la guerre.

Tout cela part d'une excellente intention, mais c'est un peu comme si l'on disait : "cessons de fermer nos portes, cessons même d'avoir des maisons fixes, cela nous dresse contre nos voisins! Et mieux encore, laissons-les prendre ce qu'ils veulent chez nous, et, nous, cessons de faire du pain, nous en prendrons chez eux". Et qu'ensuite on s'étonne de se sentir quelque peu démunis...

Le libéralisme est toujours une idéologie généreuse mais horriblement utopique...L'erreur est toujours de croire que ce qui peut valoir pour le domaine intellectuel ("ouvrons-nous aux autres") vaut pour tout domaine, économique, politique ou financier.

Soulignons que ces transformations avaient évidemment leurs promoteurs intéressés : les grands capitalistes ne pouvaient qu'être favorables à l'ouverture des frontières, à la mise en concurrence sociale des pays et à l'intensification des échanges. Et comme toute transformation sociale s'accompagne de transformations techniques, nécessaires pour répondre aux besoins suscités par la société, les moyens de transports et de communication ont très vite explosé.

La paresse et la lâcheté de nos élites ont achevé de rendre possible l'ensemble. Paresse, parce qu'il aurait fallu faire l'effort d'aller contre le courant, au lieu d'accompagner ce mouvement de dépossession des peuples de leur destin. Et lâcheté, parce qu'ils ont au contraire trouvé là le moyen de se détacher de leur responsabilité. Qui n'a pas entendu ces derniers temps "mais de toute façon, le politique ne peut rien faire"? Qu'est-ce à dire sinon que la démocratie a été dépossédée? Heureusement, cette phrase ne sera jamais vrai : le politique peut toujours faire. Il reste seulement à savoir dans quelles conditions il prendre enfin conscience qu'il doit agir de manière plus radicale.

C'est que les libéraux sont peut-être à la veille de comprendre autre chose : le commerce, la concurrence et l'interdépendance entretenus sont aussi facteur d'angoisse, d'injustice et de révolte.

Dans la crise actuelle, la Grande Bretagne commence à penser sérieusement à interdire de certains secteurs les travailleurs immigrés. Mais alors, le libéralisme capitaliste engendrerait aussi des réflexes xénophobes? Ils n'auraient donc même plus ce prétexte...

Il n'est pas certain pourtant que l'on s'en aperçoive, et il est à craindre que l'on nous explique encore quelque temps que "c'est comme ça, et sinon ça sera la guerre", du moins jusqu'à la prochaine... non pas une guerre extérieure entre pays européens, parce que nous aurons encore avancé dans l'intégration européenne qui a été faite pour empêcher cela tout de même! Mais une guerre civile d'Europe... parce que rien n'est parfait, n'est-ce pas?

De Gaulle avait une règle pour la France : non pas l'indépendance, qui n'est jamais totale, mais la non-dépendance : ne pas se mettre en position de dépendre des décisions des autres pour les facteurs les plus fondamentaux de la vie du pays, politique, militaire, économique et social. Il faut être lucide : ce qui nous reste encore d'influence et d'indépendance dans le monde, nous le lui devons. Et si ce n'est plus beaucoup, c'est que, depuis, les politiques n'ont rien fait que le contraire. Mais quoi? Serions-nous dans une situation pire qu'en 1945?

Sarkozy, qui a insulté les Québécois et réintégré l'Otan, s'est encore revendiqué de De Gaulle hier. Parfois on se demande s'il ne vaut pas mieux être sourd... et aveugle.

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