Discours de management et de soutien des politiques européennes dans la crise :
(L'orateur monte derrière son pupitre).
Hum hum.. (l'orateur échauffe sa voix).
La belle et grande idée européenne qui, depuis Bruxelle et Strasbourg, comme promis, depuis une dizaine d'années, nous assure paix, prospérité, démocratie et bonheur est depuis quelque temps la proie d'une campagne honteuse de dénigrement.
Et de la part de qui? Je vous le donne en mille, de la part des statisticiens et des économistes, ceux-là même qu'elle choyait pourtant tout particulièrement, les ingrats!
Déjà, on avait eu droit à cette ignoble propagande, lorsque l'on prétendît démontrer que les prix avaient augmenté à cause du passage à l'euro. Et ils osèrent même avancer des chiffres, les mécréants! Notre mère l'Europe avait été bien patiente et avait subi sans trop maugréer ce reproche si injuste. Mais le silence est-il une solution?
Au commencement, l'insulte était timide et émanait de gens de basses conditions, toujours prets à envier, à nuire et à médire. Hélas, rapidement, l'hérésie se répandit au point que cet étrange sentiment d'une hausse des prix est devenu presque un fait admis et justifiable!
Mais jusqu'où peut-on justifier l'aveuglement?
Nos chers concitoyens avaient-ils perdu leur sens? Avaient-ils donc oublié que l'Europe, la belle, la noble idée européenne empêchait, par principe, cette hausse des prix?
Nous avons pu croire, chers amis, que la vérité s'imposerait d'elle-même, que les bienfaits apporteraient une juste reconnaissance. Mais que croyez-vous qu'il arrivât?
Au moment même où l'industrie, naturellement, fleurissait sous le soleil de cet Idée, les peuples, oui, les peuples lui crachaient encore à la face! Ils refusaient toute avancée européenne! Il fallait se rendre à l'évidence : le mal avait saisi les esprits plus profondément qu'on ne l'avait cru.
Les tentatives d'exorcisme médiatique n'avait pas suffi. Mais qu'importe! Courageux et droits, comme toujours, nous avons pris nos responsabilités et assumé la marche du progrès : sacrifiant à l'autel bruxellois, nous avons commencé à imposer à ces populaces incultes et fainéantes le vrai pouvoir démocratique auquel elles refusaient obstinément de se soumettre; et j'ai confiance, nous continuerons notre dure tâche!
Seulement, voilà, comme je vous le disais, les choses, mes chers amis, sont en train de se gâter. Il ne faut plus se voiler la face mais oser réfléchir à toutes les solutions mêmes les plus radicales.
Car qu'entend-on, ici ou là? Qu'ose-t-on dire? Qu'il y aurait une crise économique en Europe? Que certains pays, alors même qu'ils sont protégés par l'Euro, seraient près de la faillite? Mais qui sont les porcs qui osent dire des choses pareilles?
De fait, c'est au Portugal, en Irlande, en Grèce et en Espagne (PIGS) que ces malveillantes rumeurs ont pris naissance.
Sont-ils donc arriérés dans ces pays pour ne pas avoir su tirer tout le profit économique, intellectuel et moral du patronage de la grande, de la noble, de la sainte idée européenne?
Qui ne voit pourtant que la cause réelle de ces menus problèmes économiques n'est rien d'autre que le manque d'ambition et de travail des petites gens et leur attachement compulsif à des avantages médiocres?
Mais ne soyez pas naïfs : cette peste gagne. Et faudra-t-il encore faire les sourds aux rumeurs qui se lèvent également en Irlande et peut-être bientôt, qui sait, en France?
Non, je vous le dis, mes bien chers frères européens, il nous faut agir! Et agir fort, à la hauteur des enjeux!
Alors, s'il est nécessaire de mettre sous tutelle tous ces pays, pour leur montrer comment un vrai fidèle de l'Idée doit agir, je vous le dis, faisons-le!
Soyons exemplaires : faisons des exemples!
Et ne soyons pas timorés! Il faut, plus que jamais, asseoir et étendre notre influence sur les esprits! L'Europe plus près des hommes, les hommes plus près de l'Europe! Voilà ce que l'on doit comprendre! Saisissons l'occasion que cette crise nous donne !
Car, au fond, la cause de tous nos problèmes est bien évidente : c'est par manque de foi que l'incrédulité se répand.
Il faut la raffermir. Il faut appliquer les préceptes avec rigueur! N'ayons pas peur de l'affirmer : c'est la rigueur, la stricte application des commandements qui sauvera ces simples d'esprit.
Ce qui nous commande de faire ces efforts, de faire ces sacrifices, d'être un peu brusque parfois avec les gens, que nous aimons, pourtant, c'est la grande, la haute, la sainte idée européenne, protectrice des hommes et des femmes, qu'ils soient pour ou contre, de gauche ou de droite - car l'Europe est juste, belle et généreuse. Elle ne veut faire souffrir personne, elle nous guide simplement pour nous mener à notre propre bien.
Alors! Evidemment, c'est parce que nous nous sommes éloignés d'elle, c'est parce que nous nous sommes relachés, parce que nous n'avons pas assez intégré notre espérance dans nos actes et dans nos pensées que le mal, à nouveau, s'est abattu sur nous! Les mécréants disent "Assez d'Europe!" et à cela nous mesurons le degré de leur folie. Eh bien, nous, osons crier : "Plus d'Europe, voilà ce qu'il nous faut!" car, soyons en certains, lorsque viendra l'heure de récolter les bons fruits de notre politique, notre chère mère saura reconnaitre les siens.
Tout cela, mes chers amis, lorsqu'il vous faudra prendre les décisions qui s'imposent, lorsqu'il vous faudra trouver en vous le courage d'aller contre le courant populaire, d'aller contre les idées reçues, le courage d'appliquer des réformes difficiles pour votre peuple, ne l'oubliez jamais. L'Europe est là, elle vous regarde et elle vous aime.
- Applaudissement fourni de la salle, enthousiaste. L'orateur se retire, la larme à l'oeil -