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Billet de blog 5 février 2012

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Intouchables, pour qui ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour une fois, je laisse Sarkozy à Sarkozy (pour ce qu'il y a à en dire de ses réformes qui ne verront le jour qu'après les élections… Avis aux crédules et aux aficionados) et Bachelot à Bachelot (on parle moins d'accompagnement sexuel, donc elle n'a plus grand-chose à dire, et avec la crise son ministère « social » tourne au ralenti, pour la forme et pour la frime, il y a de moins en moins d'argent pour les pauvres…).

Si, une chose anecdotique : Sarkozy fait son cinéma avons-nous appris dans les journaux. Il fait venir des figurants, et à sa taille, dans certains de ses déplacements pour avoir l'air moins seul. Unique regret : aucun journal n'a précisé combien ils sont payés, les figurants en question ; évidemment rien du tout, puisque c'est pour la bonne cause sarkozyste ?

Et, je ne peux pas parler de cinéma sans évoquer l'incontournable Intouchables. Il est difficile de ne pas rencontrer quelqu'un qui ne l'a pas (encore) vu au moins une fois. Quoique. Il existe quand même quelques impies.

Je n'en fais pas partie, j'avoue. La curiosité a été la plus forte. Et puis j'aime beaucoup François Cluzet. Cet homme transpire une humanité à fleur de peau.

Il est d'ailleurs fascinant de justesse dans ce rôle très difficile. Son jeu est bluffant et bien supérieur à celui de Sophie Marceau dans L'homme de chevet. Film dans lequel elle jouait une « tétraplégique » invraisemblable, frôlant le ridicule, aux côtés d'un Christophe Lambert pathétique en auxiliaire de vie.

Intouchables est d'abord un film désopilant grâce au duo d'acteurs, très drôle et iconoclaste. Et c'est un film très juste dans les scènes entre l'accompagnant et l'accompagné. Je suis particulièrement bien placé pour le dire. Les scènes de recrutement sont notamment très pertinentes.

Pour le reste, quelle image a-t-il laissé aux spectateurs totalement ignorants du monde du handicap ? Je suis convaincu que si ce film les a sensibilisés à la problématique du handicap dit « lourd » ou relevant de la « grande dépendance » (on notera que j'ai 50 kg et que je suis l'employeur direct de mes accompagnants, donc pour la lourdeur et la grande dépendance, on repassera), le fait que ce soit un homme riche, très riche, qui en est le héros fausse indéniablement l'image que l'on peut avoir de la réalité quotidienne de la majorité des personnes « en situation de grande dépendance ».

En fait, les événements narrés dans ce film se déroulent entre 1993 et 2003, période durant laquelle le lambda « handicapé » bénéficiait de ce que l'on appelait d'une ACTP [allocation compensatrice pour tierce personne] alors d'environ 4000 fr., permettant à peine de payer au maximum trois heures d'aide humaine par jour, quelle qu'ait été que le taux de dépendance ! Il était donc impossible d'être accompagné comme l'a été le baron Poggo di Bozzo. En ce temps-là, on était à la charge de la famille, surtout des parents, ou placé dans une institution. C'était la misère. En ce temps-là, on était un objet (au mieux) assisté pas un sujet autonome. C'était un luxe d'être accompagné ainsi.

De surcroît, pour les néophytes, je précise que le héros de ce film souffrait de tétraplégie, comme tout le monde le sait, et que, par conséquent, comme tout le monde le pense, sa sensibilité cutanée avait disparu approximativement jusqu'à la hauteur de ses épaules (dans une scène du film, on le voit jouir en se faisant masser l'oreille, c'est fréquent chez les personnes atteintes de tétraplégie car les zones érogènes se concentrent sur le cou et la tête qui restent sensibles au toucher). Ce n'est pas le cas pour toutes les personnes entièrement paralysées, comme en est persuadé le tout-venant. Je suis paralysé des quatre membres mais j'ai toute ma sensibilité et il n'y a pas de dysfonctionnements sexuels, comme c'est le cas chez les personnes tétraplégiques et paraplégiques. Pourquoi ? Je n'ai pas de section de la moelle. Mais que les néophytes et potentiels tétraplégiques ou paraplégiques se rassurent, il existe de plus en plus de palliatif pour les dysfonctionnements érectiles ; le plus connu est le Viagra, mais ce n'est pas le seul heureusement ─ du reste, lorsqu'on sait qu'un comprimé de Viagra coûte 10 €, est-ce normal que ce soit entièrement à la charge de la personne paraplégique ou tétraplégique ? Certes il y a depuis la loi 11 février 2005 et la création de la PCH [prestation de compensation du handicap] ce qu'on appelle les charges spécifiques ; 100 € versés chaque mois à la personne afin d'assumer du matériel et des médicaments non remboursés, mais 100 € c'est le prix de la boîte de dix comprimés de Viagra (de quoi avoir environ deux rapports sexuels par semaine), si vous avez d'autres besoins médicamenteux ou matériels (couches protectrices par exemple), ce sera à vos frais.

À propos de PCH, un peu de nostalgie. En France, on adore les dates anniversaires. Or, le 11 mars, il y aura exactement dix ans que, après deux grèves de la faim, j'ai obtenu, avec le soutien de quelques personnes « handicapées » qui m'avaient rejoint après la première grève, la création de forfaits poste d'auxiliaire de vie qui deviendront, le 11 février 2005, la PCH, c'est-à-dire la démocratisation de l'accompagnement à la personne (désormais, normalement, vous devriez obtenir une subvention en fonction de votre taux de dépendance). C'était avant les élections présidentielles 2002… Ségolène Royal était alors ministre… Ce fut un tournant majeur de la politique sociale, une révolution en matière de politique du handicap. Les associations, les « grandes » associations, qui avaient été incapables d'obtenir une telle avancée me détestaient encore à ce moment-là, jusqu'à ce qu'elles soient mises devant l'évidence : j'allais (presque) seul obtenir ce qu'elles n'avaient jamais obtenu et avec une stratégie qu'elles sont incapables d'appliquer.

La loi du 11 février 2005, initiée par Jacques Chirac, et la création de la PCH, représentent un virage déterminant même si, aujourd'hui, l'esprit de cette loi est de plus en plus mis à mal pour des raisons bassement mercantiles, de mauvais calculs d'épicier, crise oblige…

2012 est aussi l'année de la fondation de la CHA [coordination handicap et autonomie]. Après la victoire de la PCH, il était évident pour moi qu'il fallait créer une association de défense des personnes « en situation de grande dépendance ». D'une part, pour faire entendre la voix d'une population très mal connue et très mal représentée dans les diverses associations. D'autre part, pour créer un contre-pouvoir aux associations hégémoniques. La CHA a eu une reconnaissance politique quasi-instantanée et a joué un rôle primordial entre 2002 et 2009. De par des méthodes de revendications et de négociations spécifiques, elle a drainé des succès mémorables notamment sous forme de décrets et de circulaires essentiels.

Mais si j'étais l'initiateur de ce mouvement est devant, rien n'aurait été possible sans toutes celles et tous ceux qui ont fait de la CHA ce qu'elle est et ce qu'elle sera à l'avenir.

Cependant, depuis l'année dernière, j'ai tourné cette page. J'ai quitté le monde associatif. J'ai laissé la CHA entre de très bonnes mains.

Elle prend un nouveau virage, elle s'adapte à des contingences économiques iniques. Comme toutes les petites associations, elle souffre du manque de subventions, lesquelles tombent majoritairement dans l'escarcelle des fameuses « grandes associations », au profit donc d'une politique associative du consensus. Et au détriment d'une qualité d'accompagnement des personnes sur le terrain. Pourtant, courageusement, la CHA continue son chemin en cultivant sa différence.

2002-2012. Dix ans déjà. Et il reste tellement à faire en faveur de tous les intouchables de France et d'ailleurs.

À commencer par changer de président de la République (bananière). Car celui-ci, à part les 25 % d'augmentation de l'AAH (tout est relatif), a consciencieusement et bêtement démantibulé ce que son prédécesseur avait fait construire avec beaucoup de conviction et d'intelligence.

Je souhaite mes meilleurs voeux de longévité et d'épanouissement à la CHA.

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