Dans ma précédente chronique (http://blogs.mediapart.fr/blog/marcel-nuss/040515/les-chroniques-d-un-autre-monde-nous-sommes-tous-charlot), j’avais répondu à une tribune publiée dans Le Club de Mediapart : Contre l’assistance sexuelle des personnes handicapées ; elle était écrite par quatre personnes en situation de handicap, comme je l’ai appris après la publication de ma chronique. Parce que, sauf à les connaître personnellement, il était difficile de le deviner. Or, quelle ne fut pas mon étonnement de constater que ces trois femmes et cet homme n’ont rien trouvé d’autre à me répondre que de me reprocher mon « erreur » (corrigée illico). C’est tout ce que ces opposant(e)s ont trouvé à me rétorquer ? Que nenni. En effet, quelle n’a pas été ma surprise lorsque j’ai reçu sur mon blog ceci :
« Cher Monsieur NUSS,
C’est avec attention que nous avons lu les commentaires que vous avez faits le 4 mai dernier sur votre blog, au sujet de notre texte relatif à l’assistance sexuelle paru dans Médiapart.
A sa lecture, nous avons constaté avec étonnement que, alors qu’il s’agissait d’un texte collectif, vous avez fait le choix de prendre à parti nommément l’un d’entre nous (Mathilde FUCHS) en tenant à son encontre des propos ouvertement dénigrants sur sa vie sexuelle dont vous ne savez en réalité rien :
« connaissant l’une d’entre elles, Mathilde pour ne pas la nommer, un accompagnant sexuel non formé serait bien démuni face à son handicap » (sic).
Une allégation stérile et totalement hors de propos à laquelle nous ne prendrons même pas la peine de répondre, mais dont nous noterons qu’elle sied mal aux règles éthiques que vous prétendez respecter et à vos « valeurs nourries d’empathie, d’attention et d’écoute ».
Vous ajoutez :
« Que Mathilde soit contre l’accompagnement sexuel, quelles que soient ses raisons, est hautement respectable mais qu’elle s’oppose à cette liberté pour ses semblables, de façon aussi intolérante et spécieuse, n’est pas à son honneur. Et ne fait pas avancer le débat ».
A la lecture de ces passages, une question se pose inévitablement : peut-on débattre avec quelqu’un qui, faute d’arguments solides, s’abaisse aux attaques personnelles ?
En ce qui nous concerne, à défaut de pouvoir échanger de façon constructive avec vous, nous continuerons néanmoins à combattre vos idées dans le débat publique de manière respectueuse et sereine, comme nous l’avons fait jusqu’ici et comme il se doit dans la société démocratique « ouverte et humaniste » que vous appelez de vos vœux.
Bien à vous.
Elena CHAMORRO, enseignante, Mathilde FUCHS, militante associative, Lény MARQUES, blogueur, Elisa ROJAS, avocate. »
Donc, vous me reprochez d’en avoir fait une histoire de personne sous prétexte que je ne nomme que l’une de vous quatre; alors que c’est logique, me semble-t-il, puisque Mathilde est la seule des signataires que je connais personnellement, depuis pas mal d’années – de ce fait, je n’ai aucune idée du type de handicap qu’ont ses « partenaires » (un « détail » qui a son importance pour la suite) – et, la tribune étant signée, on peut supposer que les quatre assument leur position. Et puis, si quelqu’un en a fait une affaire de personne, ce n’est peut-être pas moi puisque je ne me dérobe pas à vos insinuations. Bien au contraire, je tiens à nourrir le débat. Il ne s’agit pas pour moi d’avoir tort ou raison dans cette affaire mais d’être vrai. En fait, tout cela ressemble fort à un procès d’intention, évitant ainsi de répondre aux questions que je pose dans ma dernière chronique. Dans celle-ci, je ne prends personne à partie mais, par expérience, je persiste à dire qu’avec un handicap tel que celui de Mathilde « […] un accompagnant sexuel non formé serait bien démuni [face à son handicap] ». Où est par conséquent la prise à partie ? Qu’y a-t-il de diffamant à le dire ? En quoi cette prétendue allégation est-elle stérile et totalement hors de propos puisque, dans la tribune qui est à l’origine de cette polémique, vous affirmez, je cite : « Elle prétend ainsi que les accompagnants doivent être formés spécialement pour avoir des rapports sexuels avec une personne handicapée, ce qui est absurde. » Je n’ai fait que répondre à cette affirmation absolument infondée et totalement déconnectée de la réalité – si je me trompe, démontrez-le et je n’hésiterai pas à faire mon mea culpa. De plus, qui manque d’arguments solides et s’abaisse aux attaques personnelles ? Apparemment moi. Sauf que vous n’avez toujours pas répondu à mon argumentaire de la précédente chronique, vous rabaissant juste à des attaques personnelles… En fait, qui ne peut pas échanger de façon constructive à votre avis ? Quoi qu’il en soit, je vous encourage à continuer de combattre mes idées mais, de grâce, commencez par répondre à mes interrogations afin qu’un véritable débat puisse s’instaurer. Dans cette attente, je continue et je continuerai sans relâche à défendre la dignité de la personne et une idée ouverte, inclusive, démocratique et tolérante, de la justice sociale, c’est-à-dire celle d’une société où les adversaires et les défenseurs d’une cause, d’un parti politique ou d’une religion, cohabitent sereinement et dans un respect mutuel des différences et des croyances. C’est ça pour moi une démocratie républicaine. Je ne cesserai de me répéter : ne pas comprendre ne justifie pas d’interdire. Dernier point, pourquoi Mathilde a-t-elle retiré de sa page Facebook des personnes qui ont remis en cause sa position à l’égard de l’accompagnement sexuel en critiquant sa tribune ?
Mais la politique sociale ne se résume pas qu’à la problématique de la vie affective, sensuelle et/ou sexuelle des personnes en situation de handicap. Hélas. Laurent Wauquiez et Nicolas Sarkozy avaient fustigé les assistés en leur temps, les accusant de tous les maux. Quelle hypocrisie dans un pays où, dans le même temps, on cultive insidieusement l’assistanat ! Pour mieux stigmatiser les « assistés ». Un exemple très caractéristique : après mon mariage, il y a trois mois, j’ai fait une déclaration de changement de situation familiale à la CAF, comme il se doit, et, sans coup férir ni prévenir, un mois après, celle-ci me coupait les vivres. Commençant un véritable travail de flicage. Où est le problème ? À l’instar de plus d’un million de Français, je bénéficie de l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH) – elle est actuellement d’un taux maximal de 800 € –, et comme c’est un minima social, il est attribué sous condition de ressources. C’est-à-dire que si une personne en situation de handicap, qui en bénéficie, trouve un emploi, son salaire sera pris en compte dans le calcul de cette allocation. C’est normal. Quoique – on verra plus loin où est le hiatus. Là où c’est beaucoup moins normal c’est que, lorsque ladite personne « handicapée » rencontre l’amour et emménage avec l’élu(e) de son cœur, l’administration prend illico en compte les revenus de l’aimé(e) dans le calcul de l’AAH. Résultat : le « handicapé » en question se retrouve non seulement dépendant physiquement mais aussi financièrement de la femme ou de l’homme aimé(e), car son AAH va, au mieux, fondre de façon conséquente, au pire, lui être retirée. Situation humiliante, stigmatisante et réductrice. Pour le compte, vous n’avez pas un handicap, vous êtes handicapé, socialement handicapé. C’est ce qu’on nomme un surhandicap. Avoir un handicap, ce n’est pas une fatalité, c’est une spécificité plus ou moins dure à vivre et à faire accepter, en fonction de l’entourage et de l’environnement. En revanche, être surhandicapé est révoltant et insupportable. On ne naît pas handicapé, on le devient ; pas plus qu’on ne naît assisté, on le devient. Et la politique pernicieuse et perverse de la France dans ce domaine y contribue amplement. Or, il se trouve que je m’oppose à cette politique discriminante qui vous marginalise bien plus qu’elle vous inclut, qui vous désincarne bien plus qu’elle vous humanise. Depuis des années, je plaide en faveur d’une réforme de l’AAH, qu’on la retire des minima sociaux et qu’on en fasse un Revenu Minimum d’Insertion cumulable et imposable avec tous les revenus. Nombre de politiques sont sensibles à l’idée de cette réforme mais sont réfrénés par l’exigence irresponsable et si peu politique de la majorité des associations de défense des personnes handicapées qui revendiquent, par-dessus le marché, une revalorisation de l’AAH à hauteur du SMIC brut, préférant ainsi maintenir leurs adhérents dans l’assistanat et les injustices sociales. Une telle réforme aurait l’avantage d’encourager des personnes handicapées à chercher du travail (vous me direz que ce n’est vraiment pas le moment avec 3,5 millions chômeurs, autant qu’ils restent gentiment des assistés) et de ne plus humilier l’amour sous prétexte qu’il ne rentre pas dans les normes. Surtout que la France est également le pays des exceptions. En France, tout commence toujours par des exceptions. En l’occurrence, si la personne en situation de handicap vit chez ses parents, les revenus de papa et de maman, aussi mirobolants soient-ils, ne sont pas pris en compte dans le calcul de l’AAH ! Tout comme les ressources de la dulcinée ou du prince charmant ne sont pas pris en compte si… les deux vivent dans des logements séparés, à des adresses différentes ! Par ailleurs, dans les formulaires de la CAF la cohabitation ou la collocation, on ne sait pas ce que c’est ; de toute façon, quelle que soit votre relation, la CAF prendra en compte les revenus de la personne qui habite avec vous, lorsque vous avez un handicap, sauf si vous ne la déclarez pas… Pourquoi faire, puisqu’on sait pertinemment qu’on a un mur devant soi qui implique bêtement la loi et rien que la loi, qu’importe qu’elle soit juste ou non, injustifiée ou non. Ce qui explique qu’un très grand nombre de couples font de fausses déclarations ou pas de déclaration du tout, pour ne pas subir l’humiliation de perdre le peu d’autonomie pécuniaire dont bénéficie la personne « handicapée ». Aujourd’hui, volontairement, je suis dans cette situation. Ma femme et moi avons cohabité amoureusement pendant deux ans, mais la cohabitation n’existant pas dans la nomenclature de la CAF, je ne l’ai pas déclarée – pour autant, elle avait déclaré son changement d’adresse à la mairie, à la sécu, au service des impôts et à la… CAF. J’ai d’autant plus refusé de faire cette déclaration que nous vivions et que nous vivons toujours sous le régime de la séparation de biens : la présence de ma femme n’a en rien changé ni soulagé le poids des charges et des frais qui m’incombent, car je tiens à ma liberté. C’est ma fierté d’être autonome. Depuis mars, la CAF me prive brutalement de 650 €, c’est-à-dire la moitié de mes ressources mensuelles. Heureusement, j’ai les revenus du travail qui, bien qu’aléatoire, me permettent de tenir. Il n’empêche que pour environ 550 € nets par mois, en moyenne, de revenus du travail, on me défalque 150 € d’AAH, de telle sorte que le gain mensuel n’est plus que de 400 € en moyenne. Dans ces conditions, on peut comprendre que beaucoup de personnes en situation de dépendance préfèrent leur statut d’assisté, d’autant qu’elles peuvent toucher l’APL à taux plein plus, si elles se débrouillent bien, d’autres petits avantages, de telle sorte qu’elles sont en mesure d’avoir aux alentours de 1100 € environ par mois pour « vivre » ; bien sûr, ce n’est pas la mer à boire, il n’y a pas de quoi faire des folies, mais ce n’est pas pire, et probablement même mieux – financièrement parlant, et uniquement financièrement –, que l’existence précaire que mènent bon nombre de smicards, de sans-abri et de « bénéficiaires » du RSA – un détenteur de l’AAH ne paye ni impôt, ni charges sociales, ni taxe foncière, etc. Je le sais car je l’ai vécu pendant des années. Il ne s’agit pas pour moi de fustiger des comportements mais de relativiser objectivement une situation ambiguë. Car, avec sa destruction insensible du tissu social depuis 2007 et, particulièrement, dans le champ du handicap, l’État français et nos parlementaires n’ont pas de quoi être fiers. Dieu que j’aimerais qu’ils soient obligés de faire tous un stage d’une semaine dans un supposé « lieu de vie » ou à domicile, ça leur mettrait un peu de plomb dans la tête et un peu de lumière dans le cœur. Ceci dit, on ne peut espérer une politique sociale juste qu’en ayant des revendications responsables et solidaires. Le chacun pour soi et l’État pour tous est révolu. En ce qui me concerne, le bras de fer ne fait que commencer. Et je n’hésiterai pas à aller en justice pour ouvrir les regards et faire bouger les lignes, seul contre le pot de fer, s’il le faut. En attendant, la CAF va essayer de nous plumer et de nous faire passer pour des voleurs de poules… Militer pour le respect de la dignité humaine et d’une véritable justice sociale, ça n’a pas de prix. Pour moi. Jusqu’à mon dernier souffle. Quitte à plaider cette affaire dans un tribunal et à la médiatiser pour mieux en dénoncer son ambiguïté, son incohérence et son iniquité.
Mais de quoi je me plains, notre glorieuse France vient de fêter l’armistice du 8 mai 1945 ! Ça fait soixante-dix ans « qu’on » a battu les Allemands à Poitiers ou à Austerlitz, je ne sais plus exactement avec toutes ces commémorations, et on continue à fêter la victoire, alors qu’entre-temps « on » a signé des traités, construit (tant bien que mal) l’Europe des nations – ou la nation des Europes, je ne sais plus trop – et, tous les matins, François Hollande et ses affidés plient l’échine devant Angela ! Mais on continue à fêter la victoire. Sur qui ou sur quoi ? Notre gloire évaporée ? Aujourd’hui, tout le monde s’en fout de ces commémorations. La seule chose qui intéresse, c’est que c’est un jour férié. Par ici les congés aux frais de la princesse. Outre-Rhin, les commerçants sont vachement contents, les frontaliers se ruent dans les magasins puisqu’ils sont fermés en Alsace… Après on s’étonne que l’économie allemande soit si florissante ! À bien y regarder, cette histoire est peut-être une victoire allemande ? À chacun sa dignité et vive la justice… économique.
Il faut absolument voir Broadway Therapy, un truculent petit bijou d’humour de Peter Bogdanovich, avec une cerise sur le gâteau : une apparition clin d’œil de Quentin Tarantino. Ce film est une suite incessante de quiproquos portés par des acteurs irrésistibles.