Le récent scandale de la viande de cheval substituée à la viande de boeuf à l'insu du consommateur, de même que le précédent scandale de la viande Halal , ou encore l'affaire de la vache folle et des farines animales, nous ont inquiétés sur le plan sanitaire car nous ont été présentés comme un problème de sécurité et de traçabilité alimentaire (41% des abattoirs seraient non conformes en France). Au delà de ces questions certes importantes et essentielles pour notre santé, c'est la question de civilisation et d'humanité qui est posée.
La question d'un modèle de société où la rentabilité et l'argent priment avant tout, avant la santé, celui de la marchandisation du monde et sa logique de profit poussée à l'extrême, où le consommateur est infantilisé et trompé et perd confiance non seulement dans ses élus politiques mais aussi dans ses entreprises, dans les magasins où il fait ses courses.
La question d'un modèle de société où tout est industrialisé, même l'agriculture, l'art et la culture, où le monde paysan ne sera bientôt qu'un lointain souvenir, où les fermes familiales auront disparu comme du reste le petit commerce de proximité ou quelques unes conservées à titre de témoignage touristique, comme les zoos.
La question d'un modèle de société où l'animal est considéré comme un objet, sa viande comme du "minerai", où ses conditions d'élevage industriel sont épouvantables, assimilables à un camp de concentration, où la souffrance animale n'émeut guère au point que les techniques employées pour l'abattage, qu'elles soient Halal ou non, n'ont pas supprimé la souffrance ni l'agonie, alors que les progrès techniques le permettraient. Le sujet est tabou, il ne vaut mieux pas en parler pour ne pas effrayer ni écoeurer le consommateur qui en est inconscient en achetant ses barquettes sous cellophane au rayon boucherie, regardant plus les étiquettes de prix (et parfois de label "rouge" ou "bio", que celle de la provenance, limitée au pays au rayon frais (boucherie/poissonnerie), sans aucune indication de qualité de vie et de mort de l'animal.
Samedi dernier dans Marianne (n°827 du 1er mars 2013), Jacques Julliard a titré son édito " le silence des bêtes, en référence à l'ouvrage d'Elizabeth de Fontenay "le silence des bêtes, la philosophie à l'épreuve de l'animalité". Il y fait un véritable réquisitoire contre la violence faite à nos animaux de bouche, vus par l'industrie agro-alimentaire comme du minerai à quatre pattes. Il nous rappelle, en historien, que 'homme doit pourtant beaucoup à ces mammifères qui l'ont accompagné durant plus de cinq cents mille ans et qu'il appelle des animaux (littéralement, anima : être vivants, créatures de Dieu). Quelles que soient nos croyances ou nos religions, il ne peut comprendre ni admettre que Dieu ait besoin que les animaux souffrent avant de mourir et préfère penser que c'est l'homme qui a créé un tel Dieu à son image, c'est à dire cruel, irrationnel et imbécile.
Vous me direz qu’il faut bien se nourrir et qu'il vaut mieux s'occuper des enfants souffrant de malnutrition que s'attendrir sur le sort de l'animal. Mais comme le dit Jacques Julliard, la commisération pour la cause animale n'enlève rien aux autres, la pitié n'est pas contingentée.
Les consommateurs exigent de connaître la provenance de la viande qu'ils consomment, mais l'indication du pays d'origine n'est pas la solution : des responsables politiques plaident pour l'introduction d'un étiquetage obligatoire indiquant le pays d'origine. Or si ceci est nécessaire (et permet aussi au citoyen consommateur de soutenir l'agriculture française et ses emplois), c'est parfaitement insuffisant et ne pourra éviter le caractère trompeur de l'étiquetage. "Comme l'illustre le scandale actuel, la source de l'étiquetage trompeur ne provient pas d'un manque d'indications sur l'origine du produit, mais plutôt de la présentation délibérée d'un produit comme différent de ce qu'il contient en réalité."
Cette affaire rappelle beaucoup le scandale financier des subprimes, prêts immobiliers pourris insérés dans des fonds de titrisation, dans lesquels ont investi des banques et des investisseurs institutionnels, rendant impossible la traçabilité du risque et généralisant la défiance en provoquant une crise de liquidité bancaire. Dans cette histoire sur fond de mondialisation et de globalisation des marchés, on retrouve même des traders de carcasses néerlandais et chypriotes !
Les consommateurs et les associations de consommateurs doivent se réveiller et exiger cette traçabilité sanitaire, un étiquetage clair, des contrôles. Mais au delà de se soucier de leur santé et de leur pouvoir d'achat, penser aussi à l'animal, demander dans quelles conditions il a été élevé et comment il a été abattu. Le pouvoir de boycott du consommateur est puissant. Au lendemain du scandale de la viande de cheval, les plats cuisinés surgelés ont subi 50% de chute de leurs ventes.
L'enjeu de notre civilisation, c'est son humanité, celle de l'homme envers ses pairs, mais aussi envers ses cousins animaux, comme celle du respect de la nature. Seule l'élévation de la conscience et de la responsabilité citoyenne des individus peut sauver notre humanité et notre civilisation, non pas simplement en "consommateurs" individualistes soucieux de leur santé et de leur pouvoir d'achat, mais en tant qu'humains auxquels le rôle de consommateur confère un pouvoir de dire "stop".
Marie-Anne Kraft
La Révolution Humaniste (éditions Salvator, Nov 2011)
