Les socialistes ont-ils fait leur aggiornamento, en ne faisant plus des dépenses publiques leur moteur de progrès et en découvrant qu'il faut maintenant se tourner vers une politique économique de l'offre, seule façon de créer vraiment des emplois ?
Ou bien François Hollande, après avoir fait croire qu'il était socialiste, met-il en application non pas une politique de droite (qui était injuste fiscalement et impécunieuse des deniers publics sous la présidence de Nicolas Sarkozy ) mais bel et bien la politique que prônait François Bayrou, conjuguant justice fiscale et efficacité économique, sans l'avoir annoncé ?
Cependant, François Bayrou a toujours dit que la question de compétitivité des entreprises et la vraie solution pour créer de l'activité et de la valeur ajoutée résident sans doute plus dans la stratégie industrielle et l'innovation, le positionnement des produits, la mise en réseau des entreprises avec un soutien des régions comme en allemagne, la respiration des PME, la souplesse à la fois administrative et du code du travail, .. plutôt que dans celle du "coût du travail", qui est de même niveau voire moindre que dans des pays comme la Suisse, l'Allemagne, les Pays Nordiques qui eux ont vu croître leurs exportations et ont une balance commerciale extérieure en excédent, ont moins de chômage, sont plus compétitifs. Ceci bien que la France ait un des meilleurs niveaux de productivité en PIB/nb heures travaillées.
Il y a polémique sur le coût du travail, selon les sources. Ceux qui disent que le coût du travail a grevé relativement la compétitivité des entreprises françaises se fondent sur les chiffres Eurostat/Rexecode, ainsi que sur la note de Natixis/Artus, qui s'appuie sur ces données, en raisonnant surtout sur l'évolution de ces chiffres depuis 1996 (il est vrai qu'en évolution notre coût du travail a augmenté plus qu'en Allemagne, mais à l'arrivée nous sommes sensiblement au même niveau aujourd'hui, notamment sur l'industrie. Et comme je l'ai écrit sur Mediapart, les chiffres du BIT et de l'Insee montrent un coût du travail un peu plus élevé en Allemagne. D'autres pays ont des coûts plus élevés sans avoir les problèmes de déficit commercial ni de marges, comme les pays nordiques, la Suisse, la Belgique (dont la balance extérieur est en excédent), les Pays-Bas et l'Autriche, la Belgique. Les méthodes de calcul diffèrent peut-être ...
D'ailleurs cet article de La Tribune souligne la contradiction des chiffres Eurostat/Rexecode avec ceux de l'Insee, ce à quoi Patrick Artus répond, et il a raison, qu'il ne faut pas s'arrêter aux chiffres bruts, qu'il faut tenir compte du niveau de gamme des produits. A coût du travail égal ou légèrement plus élevé, les Allemands produisent du plus haut de gamme à plus forte valeur ajoutée, dont l'élasticité aux prix est moins forte et ils peuvent ainsi avoir une marge plus élevée, permettant un meilleur autofinancement, des investissement plus élevés en R&D.
Cette étude Eurostat indique un coût supérieur pour la France comparé à l'Allemagne, charges comprises, sur activités sur le territoire français comprenant les services, excluant l'agriculture et la pêche, ainsi que les employés de maison :
http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_PUBLIC/3-24042012-AP/EN/3-24042012-AP-EN.PDF
Plusieurs études axées sur l'industrie manufacturière (du BIT, de l'Insee ...) montrent bien le contraire : c'est l'Allemagne qui a un coût du travail plus élevé.
Un document de travail ( No 1208 ) du Cepremap - Centre de recherche pour l'économie et ses applications - publié par l'économiste Philippe Askénazy, directeur de recherche au CNRS , nous avertit que les éléments servant à évaluer le " coût du travail " en France, sont fragiles, voire incohérents . Ainsi, l'organisme européen de la statistique, Eurostat, aurait tendance à surestimer de 10% la hausse du coût du travail en France, dans les comparaisons avec l'Allemagne . ( Marianne : No 807 du 6 au 12 octobre 2012 ) .
La concurrence internationale et l'impact sur la balance extérieure concernent plus l'industrie que les services. Il faut aussi savoir qu'en moyenne la main d'oeuvre ne représente qu'environ 25% du prix des biens échangés avec l'étranger. Donc la TVA sociale envisagée par Nicolas Sarkozy de 1.6% qui visait à baisser le coût des exportations n'aurait eu qu'un impact de 0.4 points, impact très faible, autant dire une mesure symbolique pour faire croire que le gouvernement agissait.
Il est vrai qu'un transfert de charges sociales vers la CSG, assise sur une plus large assiette, taxant le capital, donnerait de la respiration aux entreprises, mais elle grèverait en même temps le pouvoir d'achat des salariés (et des retraités, des professions indépendantes ...). François Chérèque est ouvert à cette idée si on compense ce coût par une augmentation des salaires, ce qui transfère la charge sur les autres revenus, notamment du capital.
Il faut revenir à la notion de compétitivité et notamment à la question cruciale du niveau des marges des entreprises (EBE/VA avec VA=Valeur Ajoutée et EBE : Excédent Brut d'Exploitation soit VA-salaires chargés-impôts ), qui permet à la fois à l'entreprise de s'autofinancer (donc d'investir et d'innover) et de rémunérer ses actionnaires. Ces marges se sont considérablement dégradées, expliquant la difficulté relative des entreprises à investir comparée à nos voisins.
Le 20 juin 2012, l'Insee a publié une étude intitulée "éclairage sur l'évolution de l'économie française depuis la récession de 2009"qui dresse le constat de dégradation du taux de marge des entreprises françaises qui n'a jamais été aussi faible depuis 25 ans (28.6%) comparé à l'Allemagne (34,4%), -1,5 points de marge entre 2010 et 2011, -2,2% pour l'EBE alors même que le coût du travail (salaires bruts et charges patronales) est du même ordre et même un peu plus élevé en Allemagne. L'Insee vient d'actualiser ses données en baissant ses previsions de croissance (qui devrait s'établir à 0,2 %, alors que le gouvernement prévoit 0,3 %). Le taux de marge se stabiliserait à 27,9 % au deuxième semestre, son plus bas niveau depuis 1985. Voir articles de Challenges ou du Figaro ce jour.
La dégradation des marges peut s'expliquer par d'autres facteurs, tels que l'évolution du prix de l'énergie qui pèse lourdement sur les entreprises (s'il a subi un renchérissement relatif) et par l'évolution des impôts sur la production (à vérifier) peut-être plus importants chez nous en particulier chez les PME locales, qui n'ont pas la possibilité de faire des transferts avec des filiales à l'étranger contrairement aux multinationales. Il s'imputent sur l'EBE.
Il faut donc bien différencier les chiffres selon les secteurs, concernant à la fois l'appréhension de l'EBE et du coût du travail, de même que sur le reste (impôts). Pour expliquer l'impact sur le niveau d'autofinancement et sur l'investissement et comparer les pays entre eux, ce serait aussi intéressant de comparer par pays la répartition de l'EBE en autofinancement et en distribution de dividendes aux actionnaires.
Est-ce que le rapport Gallois sur la compétitivité, attendu le 5 novembre prochain, aura intégré de telles analyses complémentaires ?
Il est intéressant de voir que Louis Gallois a dû s'inspirer de multiples études comparatives, qui ne s'arrêtent pas aux chiffres macro-économiques mais s'intéressent aussi aux aspects culturels, sociaux et géographiques qui font la force ou la faiblesse d'un pays. Lire notamment le document de La Fabrique de l'Industrie, rédigée par Jacqueline Hénard, sur le modèle allemand : "L'Allemagne : un modèle, mais pour qui ?"
Autres articles sur le coût du travail et la compétitivité :
Pour Louis Gallois, la compétitivité ne se résume pas au coût du travail (La Tribune)
Compétitivité: il n'y a pas que le coût du travail (La Tribune)
Coût du travail : ce que prépare l'Elysée (Le Monde)
Etude du Cepremap par Philippe Askenazy "Un choc de compétitivité en baissant le coût du travail ?", relevant l'incohérence des chiffres Eurostats :
http://www.cepremap.ens.fr/depot/docweb/docweb1208.pdf
