Marie-Anne Kraft (avatar)

Marie-Anne Kraft

Abonné·e de Mediapart

365 Billets

4 Éditions

Billet de blog 15 juillet 2012

Marie-Anne Kraft (avatar)

Marie-Anne Kraft

Abonné·e de Mediapart

Réforme bancaire: faut-il séparer les activités bancaires et comment?

Une réforme bancaire est envisagée en France, comme au niveau européen, à la suite de réformes déjà engagées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, en vue de séparer les activités bancaires dites spéculatives (ou liée à la spéculation ou encore de marché) des activités de dépôt et de crédit.

Marie-Anne Kraft (avatar)

Marie-Anne Kraft

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une réforme bancaire est envisagée en France, comme au niveau européen, à la suite de réformes déjà engagées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, en vue de séparer les activités bancaires dites spéculatives (ou liée à la spéculation ou encore de marché) des activités de dépôt et de crédit.

Avant de comparer les solutions proposées et de juger de leur pertinence, il faut rappeler quel est le but poursuivi. Ensuite il convient de comprendre les risques des activités bancaires, l’impact de ces risques sur les fonds propres et leurs conséquences sur l’économie selon les solutions envisagées.

Les engagements pris et les réflexions en cours

C’est le 7ème des 60 engagements du projet présidentiel 2012 de François Hollande : « Je séparerai les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives. ».  Il déclarait aussi : « Je veux séparer au sein de chaque établissement les activités de crédit, de dépôt et celles dites de spéculation. Il n'y a pas besoin de séparer les établissements. Des produits financiers seront interdits : les CDS à nu et les produits détachés de l'économie réelle. Aucune activité de placement spéculatif ne pourra être financée à partir des dépôts des Français. » (tempsreel.nouvelobs.com, 19-04-2012).

Au niveau européen est également envisagée une réforme bancaire visant à isoler les activités spéculatives des banques : la Commissioneuropéenne a mis en place un groupe de travail en charge d’examiner l’ensemble des projets de réforme de la structure des banques afin de déterminer s’ils peuvent renforcer leur stabilité et leur efficacité. Michel Barnier, Commissaire européen au Marché intérieur, a confié la présidence de ce groupe à au gouverneur de la Banquecentrale de Finlande, Erkki Liikanen. Seront notamment étudiés les projets Vickers (Grande Bretagne, livre blanc publié le 14 juin) et Volcker  (Etats-Unis, la règle Volcker ayant été ajoutée à la loi Dodd-Franck), qui proposent respectivement de séparer les activités de marché des activités de banque de détail et d’isoler les activités dites pour compte propre (la banque achète ou vend sans mandat d’un client).

Quels sont les objectifs ? Quelles sont les leçons de la crise financière ?

Pour le ministre de l’économie et des finances Pierre Moscovici, qui s’exprimait en marge des rencontres financières internationales organisées par l’association Paris Europlace, « L’objectif de la réforme bancaire mise en place en France sera de préserver le financement de l’économie de la volatilité des marchés ». Le gouvernement entend ainsi « s’assurer que les banques affectent leurs ressources au financement de l’économie réelle. »

En fait, le problème dévoilé par la crise financière de 2007-2008 fut avant tout le manque de maîtrise des risques liés à des activités bancaires, risques de marchés et aussi de contrepartie, notamment en cas de bulle spéculative. Les risques furent mal maîtrisés pour plusieurs raisons : la trop grande confiance accordée à des modèles mathématiques utilisés pour la gestion des risques et des couvertures, qui se sont mis à dysfonctionner dans un contexte atypique, une crise de liquidité et des réactions en chaîne (risque systémique), les défaillances de certains acteurs entraînant des pertes chez leurs contreparties. Les régulateurs ont aussi failli dans leur rôle de vigilance et les agences de notation ont été complices d’un optimisme excessif.

Ce n’est pas en soi le modèle des structures bancaires, spécialisées ou universelle, à structure capitaliste, nationalisée ou mutualiste, qui est en cause. D’ailleurs, les pures banques de détail (Northern Rock, Washington Mutual, Wachovia, …) ou les pures banques d’investissement (Bear Stern, Merril Lynch, Lehman Brothers,…) ont été parmi les plus durement touchées. Parmi les banques universelles, certaines n’ont pas su maîtriser les risques en développement imprudemment des activités clientèle de prêts hypothécaires (Royal Bank of Scotland, Loyds, UBS, Citibank,…), en proposant à leurs clients des produits dangereux (toxiques) achetés à l’extérieur (Dexia, Hyporeal,…), ou encore ont été piégées par la crise de liquidité en refinançant à court terme des prêts clientèle à long terme (comme Northern Rock). Alors que dans leur majorité, les banques universelles d’Europe continentale ou du Canada ont mieux géré leur risque, ont mieux résisté à la crise et au final n’ont rien coûté à l’Etat. Concernant les banques françaises, les prêts subordonnées accordés par l’Etat au taux élevé de 8% ont été remboursés et ont rapporté 2,4 milliards à l’Etat).

Cependant, dans le cadre des réflexions d’ensemble concernant le supervision bancaire, la sécurisation des opérations, la préservation des avoirs des épargnants, l’anticipation des cas de défaillance et des aides apportées par les Etats, donc par les contribuables, il est légitime de se poser la question du modèle de structure bancaire.

Les objectifs devraient être exprimés ainsi :

1-      faire en sorte que les dépôts des épargnants financent bien l’économie, les crédits aux particuliers et aux entreprises, et non pas des activités spéculatives (qu’elles soient de marché ou autres d’ailleurs). Ceci n’a rien à voir avec les fonds propres des banques. C’est le cas des banques françaises, si on compare leurs encours de crédit à l’économie et leurs dépôts ;

2-      faire en sorte que les pertes réalisées sur des activités risquées ne pénalisent par les autres activités classiques de dépôt et de crédits classiques. Dans une banque universelle où les fonds propres sont partagés entre les activités, une perte importante sur des activités risquées induit une ponction des fonds propres qui peut soit mettre l’ensemble des activités de la banque en danger, soit obliger la banque à réduire ses activités de crédit. Les activités risquées ne sont pas nécessairement « spéculatives » (trading en compte propre, placements risqués sur décision de la banque), pas uniquement sur des activités de marché même si celles-ci sont particulièrement visées.

3-      Faire en sorte que les aides de l’Etat, notamment en fonds propre, en garantie ou sous forme de prêts, apportées aux banques en difficulté, soient vraiment destinées aux activités clientèle bénéficiant à l’économie, aux dépôts et aux financements, et non à renflouer des activités risquées sur lesquelles les actionnaires devraient assumer tous les risques.

A première vue, ceci milite pour un cloisonnement juridique des activités (filialisation des activités risquées, notamment de marchés) avec une gestion de fonds propres distincte. Mais cela ne suffit pas. Si un même groupe, une même holding, détient les deux filiales, elle devra elle-même arbitrer ses fonds propres entre les deux, donc diminuer son allocation à l’une si elle a dû renflouer l’autre, si elle ne peut augmenter son capital. Si par ailleurs une des filiales (la banque de dépôt et de crédit) a prêté à l’autre filiale (la banque de marché) qui a fait faillite, l’aide de l’Etat à la première du fait de la défaillance de la seconde revient à avoir fait perdre de l’argent à l’Etat à cause des activités spéculatives de la seconde.

Par ailleurs, c’est une chose de vouloir isoler les activités particulièrement risquées et liées à la spéculation des autres activités de dépôts et de financement. C’en est une autre de parler de séparation entre la banque commerciale classique (dépôts/crédits) et les activités de banque d’investissement et de marchés. Ces dernières, déjà filialisées (comme au Crédit Agricole avec CA-CIB ou chez BPCE avec Natixis) ou non (comme àla SociétéGénéraleou chez BNP-Paribas), sont appelées « BFI » (Banque de Financement et d’Investissement). Ces activités regroupent des financements à l’économie (activité de banque commerciale dont les crédits aux grandes entreprises, activité de financements structurés aux grandes entreprises, aux Etats, aux collectivités locales, telles que les financements de projet, sur l’aviation, le maritime, l’immobilier, également des activités de conseils non risquées telles que les fusions-acquisitions, les émissions de titres, introduction en bourse, aussi le courtage sur bourses et marchés organisés également non risqué, et enfin les activités de marchés majoritairement exercés pour compte de la clientèle (qui est souvent la même que sur les autres activités) et plus marginalement en trading pour compte propre.

Séparer au sein des BFI les activités de marchés reviendrait à casser ces BFI en deux et obliger les clients à s’adresser à des établissements différents pour leurs activités de marchés. Or, les clients n’y tiennent pas car ils bénéficient de montages liés entre eux et leurs opérations de marchés réalisées souvent en couverture de financements bénéficient de garanties sous forme de collatéral grâce à des dépôts ou des titres qu’ils ont déposés dans le même établissement. De plus, le fait que les fonds propres ne soient plus partagés entre les activités exigera au total plus de fonds propres, ce qui renchérira les opérations de crédit pour les clients d’un côté et aussi les opérations de marchés réalisées pour les clients par l’établissement devenu « pur opérateur de marché ». Au final la conséquence en termes de renchérissement des opérations risque de nuire aux clients.

Qu’il s’agisse d’une séparation capitalistique des activités au sein des BFI ou entre les BFI et les autres activités bancaires, une telle mesure aurait pour effet d’affaiblir les banques BFI françaises et européennes au profit des banques américaines et émergentes qui subissent déjà moins d’exigences en fonds propres, non soumises aux règles de Bâle. Les grandes banques européennes ont dû porter leurs fonds propres au niveau prescrit par Bâle III, soit à 9% de leurs engagements, en 2013, soit six ans avant le calendrier initial. Le minimum règlementaire de fonds propres requis est au moins cinq fois plus élevé qu’avant la crise. Il faut être conscient que ces règles qui se sont extrêmement renforcées en termes d’exigence de fonds propres et de liquidité sont telles que les banques françaises sont conduites à réduire maintenant leur concours à l’économie en pratiquant le deleveraging, pour optimiser leurs ressources rares, les fonds propres et la liquidité. Ainsi, des BFI cèdent des crédits en portefeuille à des fonds d’investissement : les entreprises ont emprunté initialement à une banque et doivent rembourser leur crédit à un autre établissement qui a repris la créance. Elles deviennent progressivement des « brokers de dettes ». La raréfaction des crédits bancaires va aussi inciter les clients entreprises à plus recourir directement aux marchés, aux émissions obligataires. Au final cela va donner plus d’importance aux marchés. Alors qu’en France, également en Europe, 80% des financements aux entreprises sont réalisés auprès des banques et 20% auprès des marchés, c’est l’inverse aux Etats-Unis. Il se pourrait que de telles mesures nous poussent à adopter le modèle américain.

Comment mieux maîtriser les risques bancaires et les minimiser ?

Une saine décision serait déjà d’interdire les activités de pure spéculation, de trading pour compte propre sur produits risqués, qu’il s’agisse du high frequency trading, d’opérations de marché en pur risque (position ouverte) pour la banque, ou de placements dans d’autres produits pas nécessairement de marché, tels que des placements immobiliers spéculatifs, ou de matières premières, ou encore des participations dans des fonds spéculatifs ou des prêts à des fonds spéculatifs (notons l’effet de levier vicieux d’une banque qui prête à un hedge fund qui se sert d’une partie de cet argent pour apporter des fonds propres à la banque grâce auquel elle prête au fonds …). C’est l’esprit de la règle Volcker aux Etats-Unis, qui a préféré limiter la spéculation bancaire plutôt que séparer les activités de marchés ou de banque d’investissement, qui servent la clientèle et l’économie autant que les crédits. Mais cette loi est complexe dans son application. Il s’agit de bien préciser et de bien cantonner ce qui est qualifié d’activité spéculative (un desk dédié ? Sur quels produits ou avec quels types de contreparties ?) et de ne pas handicaper les activités de marché clientèle, car l’obligation de couverture systématique (position ouverte très faible) peut en cas de problème de liquidité empêcher de réaliser les opérations clientèle.

Enfin, une solution dont on parle peu, pas assez, est le recours aux marchés organisés en remplacement du marché de gré à gré entre banques ou entre la banque et son client. Ces marchés de futures et d’options (CME, CBOT, Eurex, Euronext, DTCC et LCH Clearnet …) permettent de réaliser des couverture de taux, de change, de prix de matières premières et agricole sans risque de contrepartie, car ils obligent à faire un dépôt de garantie et en fonction de l’évolution quotidienne des cours, pratiquent des appels de marge. Ces plates-formes de compensation permettent aux autorités de régulation d'identifier les principaux acteurs de marché et de surveiller leurs positions, leurs activités.

Pour que les clients aient recours aux marchés organisés plutôt qu’à une banque pour réaliser une opération de marché, il faut que les produits proposés répondent à leur besoin, sur une échéance standard correspondant à un contrat existant sur ce marché (tel produit de taux échéance 3 mois, 6 mois, un an par exemple, telle signature pour un CDS visant à couvrir un risque de contrepartie sur un grand groupe) et il faut que les marchés soient liquides, que l’on trouve facilement une contrepartie en face, sinon le prix est forcément moins favorable pour les clients. Autant les banques ont l’habitude de pratiquer ces marchés, d’ailleurs pour couvrir leurs propres positions clientèle, autant c’est moins le cas des entreprises et des particuliers (sauf pour les agriculteurs, les producteurs et consommateurs de matières premières et de métaux ou de pétrole).

Des études ont montré qu’une majorité des opérations de marchés de gré à gré pourraient être traitées sur des marchés organisés. Une compensation des CDS a été créée sur les chambres de compensation DTCC (aux Etats-Unis) et sur LCH-Clearnet (en Europe).

Les clients ne devraient recourir aux banques pour les opérations de marchés que pour des contrats non standard, qu’ils ne trouvent pas sur marchés organisés. Ainsi, les groupes bancaires verraient leurs activités de marchés de gré à gré diminuer au profit des activités de courtage sur marchés organisés qui ne sont pas pour eux des activités risquées, mais des activités de service. Au lieu de prendre des risques de contrepartie d’une part sur les clients (ou leur demander des garanties, des dépôt en collatéral, ce qui revient au même que les appels de marges exigés par les chambres de compensation) et d’autre part sur les contreparties financières auprès desquelles ils se couvrent, ainsi que des risques de marchés sur les positions non encore couvertes, les groupes ne prendraient plus ces risques et les clients assureraient leurs propres risques auprès des marchés organisés par le biais des appels de marge.

Ainsi, par la même occasion, il n’y aurait plus ou il y aurait beaucoup moins de « traders », remplacés par des courtiers et les bonus seraient moins conséquents.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.