Petite contribution en écho à divers échanges, au hasard du quotidien ...
Je vais essayer ! je tâtonne.
MDP et son club sont l'occasion de faire au moins une expérience : celle du dialogue politique et celle, plus cachée, de sa propre façon d'y être et d'y faire.
1. façon de participer à ce dialogue / 2. occasion de faire un retour sur soi (non pas psychologique mais plutôt en tant qu'être de discours) à partir de ce qui se dit - de ce qui se passe dans les échanges / 3. occasion de reprendre une réflexion sur des idées, des catégories politiques ou philosophiques ...
Cette expérience sur ce club depuis presque 2 ans m'a permis de me reposer des questions, je vais essayer d'en énoncer certaines qui me paraissent liées et qui puisent leur raison d'être tantôt dans la forme de l'échange, tantôt dans des thèmes abordés dans des billets :
- dans les échanges où je suis mêlée et leur façon d'évoluer (de façon satisfaisante ou pas), en quoi y suis-je pour quelque chose ?
- si je soutiens que j'y suis pour quelque chose, qu'est-ce qui fonde cette opinion ? suis-je le "sujet" de mes paroles ? est-ce que je pense pareil de l'autre (= il est sujet de ses propres paroles) ? "sujet" : de quoi est-il question ?
- beaucoup de billets ont des thématiques politiques qui concernent le pouvoir, l'opposition à ce pouvoir, des positions politiques "institutionnelles", d'autres plus larges (comme le thème du communisme, ou de l'émancipation, par exemple) : je me demande donc en arrière fond de tout ceci, comment cela s'articule avec la notion d'aliénation (pour dire vite : de quoi faut-il se libérer ?), quelles idées sur le pouvoir circulent (pouvoir : de quoi parle-t-on ?), quelles contradictions surgissent et quelles en sont les raisons ?
C'est aussi la lecture de certains billets bien précis qui amène celui-ci : entre autres, les moments où Pierre Féron par le biais de citations des auteurs qu'il aime, tourne autour de la question de l'expérience au sens radical du mot (i.e. ce qui laisse une marque suffisamment forte et dérangeante, et potentiellemnt transformante, pour faire l'objet d'un retour sur ...).
Ce que dit Pierre souvent, c'est du moins ce que je crois comprendre, c'est que l'expérience est radicale ou n'est pas / qu'elle s'accompagne de questions et non d'affirmations (du moins, à l'allure définitive). En cela elle est processus infini, si on la laisse opérer. Et pour cela il faut du temps ! (petit écho à l'extrait de Badiou sur un des derniers billets d'Yvan - Quel temps ? -)
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Ainsi, je reprends le fil antérieur de mon billet : si l'on fait de la politique (peut être au sens qu'y met Hêtre : faire de la politique), même si ce "faire" est dans un premier temps simple acte de discours (ici, rien d'autre possible), on est peut être amené à se demander ce qui fait ouverture (stop ! pas celle de notre cher président), à ce qui questionne la notion de "pouvoir" et celle "d'aliénation".
Cette fois-ci je reprends le thème abordé au début : le niveau "méta-" (= examiner comment se passe l'échange).
Je ne peux pas faire l'économie de me demander quelle est la cohérence entre ma manière d'avancer une idée et cette idée elle-même (pour dire vite).
Ainsi des questions arrivent :
- le "pouvoir" n'est-il pas à envisager de deux façons : 1. le pouvoir de (faire, agir, bouger) et en cela il évoque la puissance d'un sujet acteur / 2. le pouvoir sur (les autres), et là il devient agent de domination d'une part et de soumission de l'autre. (*) Question politique aussi.
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Ce qui précède m'amène à me demander en situation d'échange : moi qui m'exprime, est-ce que je le fais pour forcer le passage ? pour asseoir définitivement quelque chose ? pour répéter ? ou pour ouvrir un passage éventuellemnt commun ? est-ce que le discours de l'autre est d'abord ce à quoi je dis oui ou non, ce qui me surprend, ce qui me fait réfléchir ...
Le verbe est aussi le médium de l'expérience du pouvoir.
- la notion de "pouvoir de ...", liée à l'expérience de sa propre capacité d'intervenir (une forme de puissance agissante, et non forcément de sur-puissance), comment peut-elle m'aider à réfléchir à une autre question : celle de l'aliénation, et du coup ,de l'émancipation de chacun ?
Reprenons les disputes autour du thème du "communisme" : certains contradicteurs appuient leur discours sur le "communisme historique" et son devenir totalitaire, ceux qui défendent l'idée n'ont de cesse de dire qu'il faut aussi savoir réenvisager l'idée, sans la lester de l'expérience du XXème siécle. On n'en finira pas. Et on peut dire que chacun à son tour, en fonction de ce à quoi il se réfère, a raison !
Du coup, il faut peut être reprendre la notion d'idéologie, et en lien, celle d'aliénation (pour éventuellement aller vers celle de l'émancipation).
Afin de ne pas être dans l'abstraction, je ne peux que me demander comment fonctionne pour moi la notion d'idéologie : avec l'expérience du club, sans aller plus loin, je peux repérer que parfois, si je ne prends garde, "j'adhère" à une forme d'imaginaire, i.e., un discours qui se ferme sur lui même comme une image, une chose fermée, cernée et qui me comble. Tout est potentiellement de cette eau-là : je ressens un bien être soudain, momentané, de coller à cette représentation reposante.
On peut dire que le FN fait ses choux gras de ça, mais pas que ... La notion d'humanisme aussi par exemple, dès qu'elle devient le vecteur d'un discours fermé sur lui même. C'est aussi le sujet d'un vieux débat : existe-t-il quelque part, dans une fin de l'histoire, un sujet désaliéné vers lequel nous tendrions et vers lequel une idéologie bien intentionnée nous guiderait ? Toute idéologie se présente comme un allant de soi, sorte de modèle idéal guidant l'action. Et là peut être que le piège n'est pas loin, celui de l'aliéanation non consciente, celle qui barre défintivement toute institution d'un sujet plus acteur (celui du "pouvoir de ...").
A ce moment du développement, j'introduis un autre problème :
Ne soyons pas naïfs : l'idéologie, et ce qu'elle révèle du pouvoir des images, de leur façon de nous mettre dans un état de "collage", d'identification, procède aussi de notre humaine condition.
Freud dans Malaise de la civilisation, écrit : "le danger devient des plus menaçants quand le lien social est créé principalement par l’identification des membres d’une société les uns aux autres ." Il semble donc qu'une façon de se prémunir de cet effet d'aglutinement imaginaire (derrière un chef, un gourou, une idéologie, un parti...) réside dans notre capacité de toujours introduire un coin là où ça tourne trop rond, faire sans cesse un travail d'anti-pouvoir.
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Alors ?
Pour conclure, je reprends la notion d'expérience telle que certains l'abordent parfois sur ce club : elle est l'occasion permanente, puisque quotidienne, de se demander comment on la laisse opérer en nous, ou comment on lui résiste, et de quelle façon. Comment elle nous apprend quelque chose de notre saisissement par identification et du possible dessaisissement ; mais aussi de la capacité de se réinstituer comme sujet acteur-auteur (sans illusions trop endormantes). Avec le cortège de conséquences politiques que cela produit.
Je termine en remerciant chacun de ceux qui, volontairement ou pas, ouvrent ici des chemins.
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(*) note : j'ai découvert cette nuance, féconde il me semble, dans un article sur quelqu'un que je ne connaissais pas : Holloway J., Change the world without taking the power, London, Pluto Press, 2002, trad. fr. S. Bosserelle, Changer le monde sans prendre le pouvoir, Paris, Syllepses, 2007