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Billet de blog 23 mars 2010

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Nouvelle invitation à La Vie littéraire

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La Chute c’était hier.

http://www.lavielitteraire.fr/ Avec Métacortex , deuxième volume de son Liber Mundi , Dantec donne une somme tout autant romanesque que théologique. Nous sommes ici au cœur d’une vision du monde, celle de l’écrivain. Regarder Dantec et son travail avec un œil torve est à la mode, à moins que l’on choisisse d’ignorer son écriture. Nous en sommes donc là, à ce moment précis où le jugement prétendu moral remplace la plongée dans l’œuvre littéraire. Au fond, lire Dantec c’est lire l’autre de nous-mêmes, et il est surprenant que nombre de fous furieux de l’extrême tolérance rejettent ce travail, sous divers prétextes, le plus fréquent étant « politique ». Finalement, la tolérance on l’aime bien quand il s’agit de tolérer ce qui est le même. L’autre… C’est assez lamentable, il faut bien le dire.Je ne crains pas la vie risquée du critique littéraire, perdu dans la jungle tropicale parisienne. C’est pourquoi, je dois dire que j’aime l’écrivain Maurice G. Dantec. Cela peut suffire à déclencher l’hydre de l’Inquisition. Franchement, je m’en fiche.On juge souvent de la force d’un roman à sa première phrase. Métacortex commence par ces mots : « Le travail consistait à effectuer le tri entre les morts et les vivants ». Cela donne le ton. Métacortex a toute l’apparence d’un thriller, roman où drame, tragédie, horreurs, catastrophes se produisent et se succèdent à un rythme effréné. Ce n’est pourtant pas exactement cela, même si Dantec utilise la notion de genre, plutôt qu’il n’écrit dans le genre. Verlande, protagoniste principal du roman, et Voronine, son complice et ami, sont deux flics très spéciaux, travaillant pour le summum de la police de renseignement. La violence ne leur est pas exactement interdite. Ce qui est somme toute normal, étant donné le monde dans lequel ils vivent, le nôtre à une dizaine d’années près. Alors que les digues du monde riche, ici le Canada et le Québec, cèdent sous les coups de butoirs de la pauvreté mondialisée, incarnée par les boat people vivant sur l’eau, réfugiés de tous les dérèglements climatiques et guerriers, dans ce contexte de fin du monde, Verlande et Voronine sont confrontés à une étrange série d’assassinats liés aux enlèvements d’enfants. On tue des flics, des gamins, des pédophiles, des truands… Et les tueurs ressemblent fort à des pros. Voilà pour la toile de fond de type thriller, laquelle maintient un fort suspens : il n’est pas fréquent que victimes, flics et bourreaux fassent partie de la même série de meurtres. Dans le même temps, intercalant les histoires, Dantec conte les mésaventures du père de Verlande, jeune alsacien engagé dans la SS durant la 2 e Guerre Mondiale. Front de l’Est, ghetto de Varsovie, fuite, Berlin, passage vers le Moyen-Orient après guerre, combat pour Israël, espionnage en Amérique du Nord… Un personnage d’une extraordinaire complexité, de quoi choquer nombre de nos amis critiques, peut-être même des lecteurs. Mais Dantec s’en fiche. Il sait que l’être humain est humain, justement, en cette complexité là. Il sait aussi que l’un des terribles travers de notre triste modernité, la bulle dans laquelle nous vivons, virtuellement, à l’écart du monde réel, est de nier cette complexité. Je tiens ce livre comme étant le meilleur roman de Dantec. Pourquoi ? Parce que ce roman fait œuvre . Dantec a commencé en publiant des romans en Série Noire, avec le succès que l’on sait, puis ses textes ont pris la forme d’anticipations catastrophistes, associés à la parution de son Théâtre des opérations , à mi chemin entre le journal d’écrivain et le compte rendu de ses recherches personnelles, du côté des mystiques, de certains pans de l’ésotérisme, du politique. L’ensemble fonctionne comme une spirale en quête d’un point nodal. C’est ce point que Dantec atteint maintenant et c’est en cela que Métacortex fait œuvre, en ce sens que ce roman donne un caractère d’œuvre à l’ensemble du travail de l’écrivain Maurice G. Dantec. On taxera son écriture et ce livre en particulier de roman pessimiste, ancré politiquement (Dantec n’hésite pas à incorporer sa vision politique du monde, l’Islamisme en particulier dans les pages de ce roman), on l’accusera de considérer notre monde comme un équivalent en horreur du monde du nazisme, mais là n’est pas l’important. Quand elles deviennent matière de la fiction, les opinions de l’écrivain ne comptent plus en tant qu’opinions ; elles importent en tant qu’elles sont cette matière là de cette fiction là. Et cette fiction, ce roman est un des grands romans de notre temps , lequel, dans une espèce de folie écrite de l’écriture, conte le réel du monde dans lequel nous vivons, du monde selon la vision de Maurice G. Dantec. Maurice G. Dantec, Métacortex, Albin Michel, 2010, 815 pages, 25 euros.

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