Faut-il considérer ses analyses politiques comme intentionnelles, pro-impérialistes ou simple ignorance ? Le président du Réseau Voltaire Thierry Meyssan fait une bonne analyse sur la crise syrienne, dénonçant l'intoxication de l'ensemble du public par les médias pro-impérialistes, mais ses analyses sur la question kurde donnent aussi une odeur pro-impérialiste. Où est la différence ?
Dans une interview accordée au journal « Le Temps d'Algérie », le journaliste et fondateur du Réseau Voltaire analyse la situation en Syrie. « Les Occidentaux dominent l'information » dit le journaliste français avant de parler d'intoxication de l'ensemble du public par les médias pro-impérialistes. « Désormais, AP, Reuters, AFP, BBC, CNN, France24, Al-Jazeera, Al-Arabiya ont une telle puissance qu'ils peuvent intoxiquer l'ensemble du public. »
« Ces médias se citent et se répondent, donnant l'impression fallacieuse d'une information recoupée, confirmée. La situation en Syrie est simple : les puissances occidentales et leurs alliés ont décidé de renverser le gouvernement de Bachar El-Assad et de détruire son pays » résume-t-il.
"Printemps syrien est pure fiction"
Il ajoute : « Il n'y a aucun rapport entre la fiction développée par les médias impérialistes et la réalité sur le terrain. Ce n'est pas que ces médias ont exagéré des faits, c'est qu'ils les ont inventés. »
Quant à la Ligue arabe, il affirme que la Ligue est aux mains de ceux qui la financent : « les États du Conseil de coopération du Golfe. Elle agit ici comme elle avait commencé à le faire avec la Libye (...) La chronologie est indiscutable : ce n'est pas la Syrie qui a rompu le dialogue, c'est la Ligue qui a violé ses propres engagements, puis ses propres statuts.»
Meyssan souligne que l'expression «printemps syrien» vise à faire croire en l'existence d'un mouvement populaire révolutionnaire. « C'est une pure fiction. Il n'y a eu aucune manifestation importante en Syrie contre le ‘régime'. On assiste, par contre, à de petites manifestations de quelques centaines de personnes au cri de ‘A mort Bachar !'. Elles ne sont pas le fait de démocrates, mais de takfiristes. Et elles ne sont pas réprimées. »
"Russie directement menacée"
Le grand jeu des Occidentaux dans la crise syrienne se trouve cette fois face une Russie plus décisive. L'analyse de Meyssan fait mieux comprendre pourquoi la Syrie n'est pas facile à avaler, contrairement à la Libye, sans parler de problème kurde qui change tout.
« Les intérêts de la Russie sont directement menacés par l'agression occidentale contre la Syrie. Pas du tout parce que Moscou se sentirait concerné par la lutte contre le sionisme, mais pour deux raisons fondamentales. Premièrement, Moscou ne dispose que d'une seule base navale en Méditerranée : le port de Tartous. Si la Russie perd cette facilité, elle perd toute liberté dans cette mer et sa flotte de la mer Noire, bloquée derrière les détroits, sera l'otage de la Turquie. Deuxièmement, si les Occidentaux contrôlent la Syrie, ils y feront passer un gazoduc qui permettra aux Européens d'acheter le gaz du Golfe et d'Asie centrale au lieu du gaz russe. Ce sera l'effondrement de Gazprom et de l'économie russe. »
Le rôle de la Turquie
Son analyse sur le rôle de la Turquie dans la gestion de ce conflit est aussi intéressent : « Une altercation à Davos et quelques phrases à propos de la Flottille de la Liberté ont suffi à faire oublier que la Turquie est membre de l'OTAN. L'élimination du réseau Ergenekon n'a rien changé à la domination en sous-main des Etats-Unis dans ce pays. La preuve : la Turquie vient d'accepter le transfert sur son sol des bases militaires que l'OTAN entretenait en Espagne. De plus, elle laisse construire sur son sol de nouvelles installations radars dirigées contre l'Iran. »
Quand il parle de kurdes...
Mais quand il commence à parler de kurdes, oublie tout ce qu'il dit jusqu'ici et fait une analyse erronée qui ne peut être considérée comme « analyse », mais potentiellement diffamatoire, pro-impérialiste ou simple ignorance.
« Quand aux organisations kurdes, tout le monde joue avec elles. L'Armée turque garde Öcalan (le chef du PKK) sur une de ses bases et l'agite dès que le pouvoir civil lui tient tête. Des écoutes téléphoniques dans l'affaire Ergenekon ont largement illustré les complicités secrètes entre l'état-major turc et le PKK. Les Israéliens utilisent aussi les Kurdes. Je vous rappelle par exemple que Netanyahu avait pu donner l'ordre d'attaquer simultanément la Flottille par Tsahal et une base navale turque par le PKK. Ankara n'a toujours pas compris que ses alliés historiques, Washington et Tel-Aviv, ont besoin d'une Turquie solide pour défendre leurs intérêts au Proche-Orient, mais ne veulent pas qu'elle soit forte. »
Corrigeons d'abord les fautes : La prison d'Imrali où est détenu sous haute sécurité depuis 1999, le leader du PKK Abdullah Öcalan, dépend aujourd'hui du gouvernement AKP, pas de l'armée qui est elle-même sous contrôle d'AKP, ce qui explique pourquoi on ne critique plus l'armée en Turquie. Le chef du PKK n'est pas autorisé à rencontrer ses avocats depuis le 27 juillet et 36 de ses avocats ont été incarcérés suite à des opérations lancées le 22 novembre, selon un dernier bilan.
«... les complicités secrètes entre l'état-major turc et le PKK », ces dires de Meyssan n'ont aucune valeur puisque le journaliste n'est pas en mesure de confirmer cette information gouvernementale qui avait pour but de manipuler l'opinion public afin d'éliminer une partie d'Ergenekon et d'affaiblir l'armée déjà épuisée face à la résistance kurde.
Cependant, le gouvernement turc a récemment engagé le dialogue avec le PKK et Ocalan en prison, même si le but était de briser le mouvement kurde qui reste aujourd'hui le seul obstacle devant l'hégémonie totale du régime AKP. D'ailleurs, le mouvement kurde n'a jamais démenti les contacts menés indirectement avec les autorités turques depuis les années 1990, ces contacts qui avaient même entrainé la mort suspecte de l'ancien président Turgut Ozal, assassiné selon plusieurs sources après avoir tenté de résoudre le problème par la voie du dialogue.
Pour compléter : l'Ergenekon kemaliste, considéré comme « Etat profond » ou Gladio turc, est remplacé, selon des sources kurdes, par « Ergenekon vert » ou « Ötüken », étroitement lié à la confrérie de Fethullah Gulen, qui vit actuellement sur une parcelle de terrain achetée au milieu des montagnes Pocono en Pennsylvanie au États-Unis.
Quelle est la différence ?
"Quelle est la différence entre l'analyse de Meyssan et les informations développées par des médias impérialistes ou les déclarations du premier ministre Recep Tayyip Erdogan?" Telle est la question qui doit être clarifiée.
Pour Meyssan, tout le monde utilise les mouvements kurdes, une idée que partagent Erdogan, les kemalistes, les nationalistes, les fascistes, les pays autoritaires ou dictateurs. Par contre, Meyssan ne dira jamais que c'est avec des armes israéliennes, dont les drones, que l'État turc réprime et massacre les kurdes.
« Je vous rappelle par exemple que Netanyahu avait pu donner l'ordre d'attaquer simultanément la Flottille par Tsahal et une base navale turque par le PKK ». Des paroles bien connues. Le premier ministre Erdogan avait lui-même évoqué le « lien » entre deux attaques. Il s'agissait d'une information sans fondement, développée par tous les médias turcs sous contrôle du gouvernement et les médias internationales qualifiés par Meyssan de « pro-impérialistes ».
L'attaque contre la base navale à Iskenderun a eu lieu le 30 mai 2010, soit dix jours après les bombardements de l'aviation turque contre les « positions » du PKK dans le nord d'Irak, causant la mort de quatre combattants, ce qui n'intéresse nullement Meyssan. « Nous n'avons aucun rapport avec l'Israël. Cette attaque avait été planifiée dix jours plus tôt » avait alors déclaré Murat Karayilan, le dirigent du PKK, affirmant qu'il s'agissait d'une riposte aux opérations militaires coïncidant avec l'attaque d'Israël contre la Flottille turque.
Questions : Constatant d'abord la politique internationale qui crée des problèmes, non pour les faire résoudre, il faut se poser les vraies questions pour voir les vérités dans un sale jeu : Si tout le monde joue avec l'organisation kurde, alors comment ça se fait qu'elle se trouve dans toutes les listes noires et malgré cela, elle est invincible depuis 30 ans et capable de mobiliser des millions de personnes dans les quatre parties du Kurdistan et dans la diaspora kurde ? Si les organisations kurdes sont aussi faciles à utiliser, pourquoi enferme-t-on chaque semaine des dizaines de militants kurdes, dont plus de 5 milles depuis début de l'année 2011, sans faire de distinction entre les enfants et militants armées. Si Ocalan est agité par l'armée dès que le pouvoir civil lui tient tête et qu'il est un simple jouet, pourquoi est-il gardé sous l'isolation totale et n'est-il pas autorisé à rencontrer ses avocats? Si il est gardé pour qu'il agite selon les désires de l'armée, que signifient ses appels de paix, plusieurs déclarations de cessez-le-feu unilatéral et trois protocoles de paix présentées au gouvernement au cours de l'année 2011 pour une solution pacifique ? Si tout le monde joue avec lui, comment imaginer l'opération internationale avec la participation de CIA et Mossad pour sa capture en février 1999 ?
Une chose est sûre : On ne peut jamais faire une bonne analyse sur le Moyen-Orient sans connaitre la réalité du Kurdistan, divisé entre la Turquie, l'Iran, la Syrie et l'Irak. Une analyse objective exige une connaissance intégrale ou du moins une bonne observation sur le cours des événements. On ne peut pas trouver la bonne réponse en se basant uniquement sur le dernier acte, sans savoir pourquoi on en est arrivé là. Chercher des liens étrangers après chaque attaque est une habitude caractéristique des gouvernements répressifs, comme la Turquie ou l'Iran. Alors, où est la différence ?
Mr. Meyssan n'a pas tord de dénoncer la « pure fiction » développée par les puissants occidentaux pour renverser le régime syrien, alors que ce régime doit absolument changer et ses dirigeants doivent être jugés pour leurs crimes commis pendant 40 ans au pouvoir, afin d'instaurer une véritable démocratie, non sponsorisée par l'impérialisme, mais avec la volonté du peuple. Il y a une autre question à poser : est-il si difficile de défendre un mouvement populaire né de l'injustice que d'un régime oppresseur, sanglant ? (Egalement publié sur ActuKurde)