La Grèce est au bord du gouffre. Alors que le gouvernement dit "d’union nationale" est maintenant en place depuis plus de trois mois, la situation ne semble pas s’être améliorée, bien au contraire. La faillite pourrait survenir d’un moment à l’autre. Tandis que les négociations sur un accord pour réduire la dette grecque entre la « troïka » (Commission Européenne, BCE, FMI) et le gouvernement piétinent, le risque d’une crise politique majeure se fait de plus en plus ressentir.
Le problème de la dette que tentent de régler les dirigeants européens masque finalement une crise intérieure de grande ampleur. Rappelons-le, derrière les demandes de la « troïka » de réductions du coût du travail, il y a un peuple, qui doit vivre (ou survivre). J’avais déjà parlé dans mon dernier billet de la « réalité de la crise ». Je pourrais refaire aujourd’hui une réactualisation de ce billet avec des chiffres et des informations toujours plus inouïes, tant la situation économique et sociale se dégrade chaque jour un peu plus.
La dégradation spectaculaire des conditions de vie de la population a surtout révélé une incapacité du personnel politique à proposer des solutions concrètes et efficaces pour remédier à la crise. Le bipartisme est largement critiqué, tandis que les plans de rigueur décidés à l’insu du peuple ont dégradé l’image de la démocratie en Grèce. C’est pour cela qu’apparait aujourd’hui plus que jamais le risque d’une crise politique majeure. Et c’est certainement cette crise-là qui va mener à une remise en cause complète du modèle démocratique grec tel qu’on le connait.
La Grèce a déjà connu des crises politiques à plusieurs reprises ces dernières années. C’était le cas l’an dernier, lors du vote du plan d’austérité à la fin du printemps. Cela avait donné lieu à une contestation majeure et à une occupation de la place Syntagma à Athènes. C’était aussi le cas à l’automne, lors de l’annonce par Georgos Papandréou, le premier ministre de l’époque, de la tenue d’un référendum sur l’acceptation ou non du mémorandum décidé à la fin octobre.
On a cru, lors de ces moments forts de l’an passé, que « ça allait changer ». Grâce, ou à cause des manipulations de Georgos Papandréou, le « pire » a été évité. Ce n’était malgré tout que partie remise, tant la situation était, et reste aujourd’hui précaire.
Après la démission du premier ministre, on a choisi de mettre à sa place un « technocrate », Loukas Papadémos, dont le seul rôle est d’obéir au doigt et à l’œil des dirigeants européens, en attendant les élections, prévues pour fin avril.
Même si la notion même de démocratie a été continuellement bafouée depuis les dernières élections, le nouveau premier ministre doit tout de même passer par le parlement pour voter les mesures demandées par la « troïka ». Il est pourtant difficile, de faire accepter aux partis qui composent la coalition (PASOK, Nea Demokratia et LAOS) de voter des mesures qu’ils dénigrent tous sans exception. Avec les élections à venir, aucun parti ne souhaite remettre en cause son intégrité.
Le PASOK, qui a voté la majorité des plans de rigueur tente, lui, de se racheter une crédibilité, et cela à n’importe quel prix. Certaines figures du parti disent aujourd’hui ne pas avoir été conscientes des conséquences du vote de telles mesures. Le ministre actuel du développement Michalis Chrisochoidis a récemment déclaré avoir voté le mémorandum sans avoir lu son contenu…
Mais alors que l’austérité est décriée par l’ensemble de la classe politique, on ne discerne aucun socle commun de réflexion. Plutôt que de tendre vers un consensus sur les solutions à appliquer pour sortir de la crise, chaque parti préfère plutôt creuser ses différences l’un par rapport à l’autre. La question d’une coalition de gauche anti-mémorandum a bien été soulevée, mais le KKE (Parti Communiste Grec) qui prône une sortie de la zone euro refuse catégoriquement. C’est inédit en Grèce, les sondages actuellement réalisés pour les élections à venir donnent les 3% nécessaires pour siéger à l’assemblée à sept partis. Il est clair aujourd’hui qu’aucune majorité claire ne saura sortir des élections.
Et quand bien même un parti réussirait à convaincre les électeurs de lui donner une majorité absolue, il serait tout simplement impossible dans l’état actuel de mener n’importe quelle politique ambitieuse tant la Grèce est dépendante des aides européennes.
Encore faudrait-il être sûr que ces élections se tiennent. De grands doutes subsistent en effet sur la tenue ou non de ces élections, déjà repoussées à deux reprises. Il n’en demeure pas moins que si la Grèce tombe en faillite, aujourd’hui, demain ou après-demain, il sera difficile pour la classe politique d’apporter une solution viable.
Loukas Papademos est bien conscient de ce blocage. Il a convoqué les responsables des partis de sa coalition pour leur demander de signer une lettre pour attester de leur volonté d’appliquer les nouvelles mesures à appliquer pour éviter la faillite. Les médias rapportent que le premier ministre aurait confié à ses proches qu’il pourrait démissionner si jamais ces lettres n’étaient pas signées. Compte tenu de la faible probabilité que ça se réalise, la crise politique pourrait venir plus vite qu’on ne pourrait l’imaginer.
Et toutes ces histoires d’élections, de démission, de partis, de premier ministre, une partie de plus en plus large de la population n’en a plus rien à faire. Un nombre surprenant de personnes que je côtoie ou que j’ai pu rencontrer m’ont confié qu’elles n’iraient pas voter. Une masse qui grandit un peu plus chaque jour ne croit tout simplement plus en le système tel qu’il est. Pour ces gens-là, la solution consisterait en un soulèvement pur et simple de la population, pour remettre en cause une fois pour toutes le système démocratique tel qu’il existe, et réinstaurer une notion du politique au service du peuple.
Cela peut paraître au premier abord assez improbable. Pourtant, si l’on y regarde un peu mieux, on peut voir que la réalisation d’un tel soulèvement s’avère de plus en plus probable.
Les conditions de vie de la population se dégradent, c’est un fait. Une incompréhension générale existe cependant. Comment font toutes ces familles qui n’ont plus de quoi payer leur loyer, les taxes ? Certaines de mes connaissances ici ont déjà changé d’appartement pour payer un loyer moins cher, tandis que leurs parents ont réduit l’argent qui leur est donné chaque mois pour étudier. Certains ne chauffent même plus leurs habitations pour ne pas payer d’électricité. Pour une partie d’entre eux, l’électricité a déjà été coupée, chez eux et/ou chez leurs parents, faute d’avoir payé la taxe sur le patrimoine imposée par le biais de la facture d’électricité. D’après ce que je peux voir ici, la situation est déjà dramatique, et la « troïka » demande pourtant une nouvelle réduction de 25% du coût salarial pour donner le nouveau paquet. Il y a un moment où ce ne sera tout simplement plus possible de vivre.
Un ami me confie « Pour les pauvres qui étaient déjà pauvres, ça ne change pas beaucoup, de toute façon l’Etat n’en a jamais rien eu à faire d’eux. Par contre, ceux qui étaient riches, comme mes parents, et qui ne peuvent même plus faire le plein de la voiture, ni chauffer la maison alors qu’il fait -10°C dehors, ça passe mal ». Il rajoute « Avant, quand j’allais aux manifestations, j’avais le droit à une bonne leçon de morale, maintenant ils y vont eux même, et m’encouragent à y aller».
Nous sommes, en Grèce, à un tournant lors duquel les classes moyennes, celles qui étaient riches avant la crise, commencent à s’enfoncer peu à peu dans la pauvreté. L’histoire nous enseigne pourtant que toutes (ou presque) les crises majeures du 20e siècle avaient quelque chose à voir avec l’appauvrissement des classes moyennes.
Disons-le clairement. La crise grecque n’est pas une crise de la dette. Ce n’est pas une crise politique ou économique spécifique. C’est la révélation d’une crise européenne qui ne tardera pas à montrer toute son ampleur dans chaque recoin du vieux continent. Ce qui se passe en Grèce, en Espagne ou au Portugal se réalisera bientôt dans les pays dits « intouchables » du nord de l’Europe.
La Grèce, ne l’oublions pas, est le berceau de la démocratie. En créant ce système politique novateur durant l’antiquité, elle a montré très tôt à l’ensemble de l’Europe sa capacité de création d’idées nouvelles. A leur manière, par les évènements qui vont survenir, les grecs nous montreront une fois de plus le chemin à prendre pour rénover des institutions politiques qui ne répondent plus aux nécessités de notre époque.