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Billet de blog 9 avril 2012

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Grèce : Les enjeux de l'élection

Le long suspense qui dure maintenant depuis près de 6 mois semble toucher à sa fin. Même si l’on discute d’un énième report de la date prévue (on parle maintenant du 13 mai), les élections législatives anticipées devraient finalement avoir lieu (Edit 11/04: Les élections se tiendront finalement le 6 mai, a annoncé aujourd'hui le premier ministre Loukas Papademos).

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Le long suspense qui dure maintenant depuis près de 6 mois semble toucher à sa fin. Même si l’on discute d’un énième report de la date prévue (on parle maintenant du 13 mai), les élections législatives anticipées devraient finalement avoir lieu (Edit 11/04: Les élections se tiendront finalement le 6 mai, a annoncé aujourd'hui le premier ministre Loukas Papademos). Celles-ci se tiendront dans un pays en quasi faillite, qui n’a presque plus rien à voir avec ce qu’il était lors des dernières élections, en octobre 2009.

Les votes de plans d’austérité consécutifs à la dégradation de la situation économique ont tout d’abord entrainé un recul généralisé du niveau de vie de la population. Etouffés par l’augmentation des taxes en tout genre, la hausse du coût de la vie, les licenciements massifs et les baisses de salaires, c’est une partie de plus en plus importante de la population qui flirte aujourd’hui avec la pauvreté.

La situation a cela de particulier que l’ensemble des mémorandums ont été votés par un parlement élu en 2009 dans un contexte qui n’avait pas grand-chose à voir avec l’état actuel du pays. Le processus démocratique a, dès lors, été mis en sourdine, créant un mécontentement populaire comme la Grèce en avait rarement connu. Même si l’on retient de ce mécontentement seulement sa forme exacerbée qui s’est traduite par des affrontements d’une violence inédite, il ne faut pas perdre de vue l’émergence d’un mouvement populaire gigantesque, demandant bien plus que la tenue d’élections. C’est ce mouvement qui investit les places publiques grecques à l’été 2011, et qui, au cours d’assemblées populaires, discutait des solutions existantes pour instituer une « démocratie réelle ».

A ce moment, comme tout au long de ces deux dernières années, la population s’est trouvée face à un mur : un gouvernement refusant catégoriquement tout dialogue, accusant constamment la population de troubler l’ordre public, histoire de justifier les violences policières qui se sont faites de plus en plus nombreuses.

On a assisté à une escalade continue de ce déni de démocratie, avec pour apogée la nomination en novembre dernier de Loukas Papademos à la tête d’un gouvernement d’union nationale constitué des deux grands partis traditionnels grecs : le PASOK et Nea Demokratia. Ces partis, déjà décrédibilisés auparavant, l’un par le vote des premiers plans d’austérité, l’autre par son irresponsabilité qui a conduit la Grèce où elle est aujourd’hui, gouvernent donc ensemble, faisant exactement ce qu’ils dénigrent pourtant de manière récurrente, à savoir le vote de réformes décidées par la « troïka ».

Résultat presque logique, ces partis, qui avaient collecté 75% des suffrages lors des élections d'octobre 2009 ne sont crédités aujourd’hui que de 35% d’intentions de vote dans les dernières enquêtes d’opinion[i]. Le bipartisme qui a régulé la vie politique grecque durant près de 40 ans semble donc à bout de souffle, et c’est un paysage politique inédit qui semble se profiler.

Le clivage gauche/droite s’efface peu à peu au profit d’une toute nouvelle séparation de circonstance : celle entre pro et anti mémorandum (Mnimoniaki et antimnimoniaki en grec) qui ne se limite d’ailleurs pas qu’au monde politique, le monde médiatique étant également divisé selon ce critère.

Cette nouvelle division semble tout d’abord approuver ce que certains dénigraient auparavant, à savoir la collusion entre les deux gros partis qui sont aujourd’hui ensemble dans le camp pro-mémorandum.
L’essoufflement du bipartisme a surtout pour conséquence un élargissement du spectre politique, qui se traduit à droite par la percée certes limitée mais certaine du parti néo-nazi Chrisi Avgi (« L’aube dorée ») qui atteint dans certains sondages le score impressionnant de 5%. De l’autre côté de l’échiquier, cela se traduit par l’émergence d’une gauche forte, qui, malgré ses divisions, est créditée de plus de 35% dans les sondages. Il est assez malheureux que les clivages persistent entre les partis de l’autre gauche, alors même qu’une coalition électorale leur permettrait potentiellement d’être la première force politique du pays.
Ce n’est pour autant pas spécifique à la gauche. De manière générale, ce nouveau rapport de force politique a surtout pour caractéristique une pluralité de forces politiques relativement fortes (6 partis sont dotés de plus de 10% d’intentions de vote) qui ne collaborent pas entre elles.

Une question reste donc éminemment importante. Que se passera-t-il après les élections ?

Alors qu’Antonis Samaras et sa formation politique Nea Demokratia (en tête dans les sondages) persistent à croire qu’ils pourront gouverner seuls et refusent toute coopération avec le PASOK, la question d’un gouvernement d’Union Nationale se fait de plus en plus forte. C’est d’ailleurs le souhait de 66% de grecs, selon l’étude récente de Metron Analysis. En dehors de l’initiative d’Alexis Tsipras, leader de la coallition Syriza (l’équivalent du front de gauche en France) qui tente tant bien que mal de constituer une alliance de l’autre gauche, très peu de dirigeants politiques semblent conscients de la nécessité de discussions préalables, afin d’éviter une nouvelle crise politique au sortir des élections.
Par ailleurs, quand bien même une majorité était constituée, le pays reste en faillite, toujours sous perfusion des aides européennes. Les marges de manœuvre sont donc extrêmement faibles, et il sera pour ainsi dire très difficile de provoquer un réel changement politique.

Deux scénarios semblent donc possible au sortir de ces élections.

Le premier, le moins probable compte tenu des divisions, est la prise du pouvoir par les forces de gauche. Certains prévoient d’entreprendre une politique de rupture avec le système en place, en contestant le rôle de la "troïka" et l’application des plans d’austérité tout en restant dans l’UE (Syriza, Gauche Démocratique). Pour d’autres cela passe par une sortie de l’Euro qui obligera la Grèce à faire face à ses problèmes pour les régler d’elle-même (KKE).

Le deuxième scénario, plus probable, est en quelque sorte la continuation du pouvoir en place. Si Nea Demokratia arrive en tête comme le prévoient les sondages elle ne pourra pas constituer de majorité seule, et devra donc coopérer, avec le PASOK par exemple, comme c’est actuellement le cas. Ce serait donc un gouvernement d’union nationale, sous l’égide cette fois d’Antonis Samaras (leader de Nea Demokratia). Celui qui était un des plus vigoureux contestataires des plans d’austérité en deviendrait alors le premier défenseur. Et, faute de pouvoir tenter une quelconque politique de relance pour sortir la Grèce de la crise, comme il le promet, il détournera les problèmes de fond sur un sujet qu'il affectionne particulièrement. Il se présentera auprès des grecs ainsi qu’auprès de l’Union Européenne comme le rempart contre la montée des extrêmes, en particulier celle de la gauche. Il laisse entrevoir cette perspective par ses attaques de plus en plus récurrentes contre « ceux qui mettent le pays à feu », les « encagoulés ». Il a notamment déclaré la chose suivante dans un meeting récent : « Je vais leur enlever leurs capuches. Nous allons voir leurs visages,  apprendre qui sont-ils, et surtout qui se trouve derrière eux. »

Compte tenu de la volonté partagée d’un affront de grande ampleur, ce scénario porte en lui-même un danger considérable. Comme de nombreuses fois dans son histoire, la Grèce pourrait une nouvelle fois se diviser en deux. De manière froide, on peut considérer que la présence d’un premier ministre non élu avait cela de bien qu’elle cristallisait les critiques de la population toute entière, qui, pour des raisons certes différentes s’opposait de manière presque unie contre le gouvernement Papadémos. L'élection d'un nouveau gouvernement qui voudra faire ses preuves en donnant des signes forts qui vont accentuer les clivages au sein de la société va briser cette « opposition unie » au profit d’une division du pays potentiellement dangereuse.

Pour autant, ces élections doivent se tenir. Pour la population, bannie du dialogue politique depuis 2 ans, la tenue de ce scrutin est importante pour l’idée même, chère dans toute démocratie qui se respecte, de donner son avis sur l’orientation à prendre. Pour une grande partie des citoyens, ces élections sont l’aboutissement d’un combat qui dure maintenant depuis deux ans. C’est d’ailleurs, contrairement à ce qu’on pourrait croire, une participation importante qui se profile, 76% des grecs estimant qu’ils iront voter.

Ces élections vont donc constituer un moment capital dans cette « nouvelle » Grèce dont la vie politique se caractérise depuis deux ans par un déni de démocratie continu. L’importance de ce moment électoral ne se situe pas, comme on pourrait l’espérer, dans la perspective d’un changement politique d’ampleur, mais dans la prise de conscience de la métamorphose du rapport de force politique, qui amène avec elle de nombreux dangers.

Mehdi ZAAF

Suivez moi sur twitter: @MZaaf


[i] Voici le détail de cette enquête :

  • Nea Demokratia : 20.8%
  • PASOK : 15%
  • Syriza (équivalent du front de gauche) : 11.5%
  • Grecs indépendants (scission de Nea Demokratia, de centre droit) : 10.6%
  • Parti Communiste Grec (Stalinien, très à gauche) : 10.5%
  • Gauche démocratique (scission de Syriza) : 9%
  • Aube dorée (Parti néo-nazi) : 5.5%
  • Verts : 4.6%
  • LAOS (Parti d’extrême droite) : 3%
  • Autres : 5.4%

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