« Le devenir grec de l’Europe néoliberale », Lignes, 39, octobre 2012
En février 2012, Vicky Skoumbi et Dimitris Vergetis, redacteurs de la revue grecque alytheia, ainsi que Michel Surya, directeur de la revue Lignes, ont pris l’initiative d’un appel signé par des dizaines de personnalités, sous le titre, ironique mais percutant, « Sauvons le peuple grec de ses sauveurs ! ». Les prétendus « sauveurs » en question étant, bien entendu, la Banque Centrale Européenne, la Commission Européenne et le F.M.I. L’appel dénonce les « plans de sauvetage » dévastateurs, qui tentent d’imposer à la Grèce, et bientôt à toute l’Europe, « un nouveau modèle de société conforme aux exigences du fondamentalisme néoliberal », c’est-à-dire, un système qui « met hors la loi l’idée même de solidarité sociale ». En mars 2012, une rencontre publique avec des signataires eut lieu au Théatre de l’Epée de Bois à la Cartoucherie de Vincennes. Ce numéro de la revue Lignes poursuite cette démarche, en associant des auteurs de plusieurs autres pays européens.
Nous assistons en Grèce, souligne Vicky Skoumbi, à l’effondrement de la grande utopie capitaliste de l’ « auto-régulation du marché » . Comme le rappelle Claude Calame, la Grèce est un cas d’espèce destiné à faire jurisprudence pour les autres pays de l’Union Européenne, l’Irlande, le Portugal, l’Italie, l’Espagne, avant que ne vienne le tour de la France. Par conséquent, sauver le peuple grec de ses sauveurs n’est qu’un premier pas pour sauver les peuples d’Europe de leurs sauveurs, les cliques néo-libérales au pouvoir (Frieder Otto Wolf).
Si le peuple grec suscite aujourd’hui tant de sympathie et de solidarité c’est parce qu’il incarne une revendication de justice et de liberté qui traverse les frontières (Stavros Tombazos). Le mot d’ordre des manifestations françaises de solidarité avec les luttes en Grèce exprime ce sentiment : « Grèce générale ! » - une contagion que les dirigeants de l’Europe capitaliste veulent enrayer par tous les moyens possibles (Savas Michael-Matsas). La tâche urgente c’est d’inventer un nouveau internationalisme (F.O.Wolf), en évitant le piège des approches nationalistes qui instituent des responsabilités collectives en amalgamant les intérêts des riches et des pauvres à l’intérieur de chaque pays, au détriment de la lutte commune (Etienne Balibar) ; ce qui implique le refus des fausses alternatives « nationales » comme la sortie de l’euro, qui ne font que masquer la véritable nature du conflit avec le capital (Elisabeth Gauthier).
Laboratoire d’innovations sinistres que l’offensive néolibérale s’emploie à mettre en place en Europe (Vicky Skoumby), le cas grec inspire les gouvernements italien - véritable « comité d’affaires » de la classe dominante (Enzo Traverso) – espagnol (Amador Fernandez-Savater) et portugais (Christina Semblano). Mais le résultat spectaculaire de la gauche radicale – Syriza - aux éléctions grecques montre qu’une fenêtre historique peut s’ouvrir pour la gauche alternative, face aux catastrophiques logiques néoliberales et la non-réponse de la social-démocratie (Elisabeth Gauthier).
Ce bref résumé ne peut rendre compte de la richesse des contributions, parmi lesquelles on trouve aussi des textes d’Alain Badiou, Frederic Lordon, Dimitris Vergetis, Kostas Vergopoulos, Livio Boni, Manuel Cruz et Maria Kakogianni. L’ensemble témoigne de la constitution, encore à ses débuts, d’une pensée européenne radicale, anti-néolibérale et anticapitaliste, qui s’inspire du combat du peuple grec contre la dictature de l’olygarchie financière.