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Billet de blog 9 novembre 2010

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Grave incident sur un Airbus A380 de Qantas

Le 4 Novembre, un A380 de la compagnie australienne Qantas effectuant le vol QF32 (Londres - Singapour - Sydney) a subi une grave panne de moteur.

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Le 4 Novembre, un A380 de la compagnie australienne Qantas effectuant le vol QF32 (Londres - Singapour - Sydney) a subi une grave panne de moteur.

Six minutes après son décollage de Singapour, le moteur 2 (intérieur gauche), s'est partiellement désintégré projetant quelques centaines de kilo de débris sur l'ile indonésienne de Batam (sans faire de victimes).

Les projections du moteur ont aussi perforé l'aile gauche en au moins deux endroits. Après environ deux heures (vidange partielle du kérosène et vérification des systèmes), l'avion s'est posé sans encombre à Singapour.

Aucune victime n'est a déplorer et c'est tant mieux.

La vidéo ci-dessous (Associated Press) résume assez bien cette histoire qui se finit heureusement très bien.

Néanmoins, l'on constate avec un œil averti qu'il y a d'autres anomalies que les dégâts évidents.

1). Les becs à l'avant des ailes (slat) n'ont pas été déployés pour l'atterrissage. L'avion n'a donc pas pu être cabré autant qu'il le fait pour un atterrissage normal. Il a donc du effectuer un atterrissage à vitesse plus élevée que la normale.

2) Les trappes qui abritent le train d'atterrissage avant et les 2 trains d'atterrissages situés dans les ailes sont restées en position verticale et ouvertes (normalement elles se referment après le déploiement du train).

3) L'équipage n'a pas réussi à couper le moteur n°1 (extérieur gauche). On voit les pompiers singapouriens tenter de l'éteindre en le noyant avec de la mousse (cela va leur prendre plus d'une demi-heure). De plus ce moteur semble encore exercer de la poussée! Il est probable que l'équipage n'avait plus le contrôle total sur ce moteur!

Cette autre vidéo amateur tournée de l'intérieur montre au début, la fumée qui s'échappe du moteur en panne, puis la séquence d'atterrissage filmée de l'intérieur.

Là encore on constate une anomalie durant atterrissage:

4) Les spoilers (ces panneaux verticaux qui se dressent sur l'aile à atterrissage) ne se déploient pas tous (un sur deux seulement).

D'autres anomalies sont constatées visuellement sur le train d'atterrissage principal.

5) 4 pneus sont à plat et le pneu n°7 émet de la fumée.

Cela permet d'en tirer déjà des conclusions sur l'ampleur des problèmes auxquels a du faire face l'équipage:

- Manifestement, le circuit hydraulique "vert" a lâché:

Ce circuit commande entre autres le déploiement des bec d'aile (slats), de la moitié des spoiler ainsi que la sortie du train atterrissage avant et de la moitié du train d'atterrissage principal (ceux situés dans les ailes). Ce circuit est alimenté par les moteurs 1 et 2 (deux pompes par moteur) mais la panne du moteur 2 et/ou les dégâts dans l'aile ont suffi à le briser. Une partie du train d'atterrissage a donc du être déployé "manuellement" (déverrouillage et descente par gravité en priant que cela ne se bloque pas).

- Les capacités de freinage de l'avion étaient réduites:

Seulement 50% des spoilers (freinage aérodynamique) et 50% de l'inversion de poussée (elle est fournie par les moteurs 2 et 3 mais le 2 est cassé). Heureusement, le freinage le plus important, celui au niveau des roues, était toujours opérationnel.

- Le non déploiement des becs d'aile (slat et droop nose) contraignait l'avion à un atterrissage plus à plat et plus rapide.

Normalement il y a système de secours électrique mais soit il n'a pas marché, soit les dégâts à l'aile gauche le bloquait. Le risque d'avoir un déploiement non symétrique des slats était aussi présent (aile droite seulement) ce qui est dangereux pour l'équilibre de l'avion (décrochage du coté gauche si l'on cabre trop sans les slats sortis).

- Le moteur 1 continuait peut être à pousser durant l'atterrissage ce qui n'aide pas à ralentir.

Heureusement, la piste de Singapour est très longue ce qui a permis de réaliser cette atterrissage "trop rapide" ce qui semble confirmé par l'éclatement des 4 pneus.

Évidemment, on le doit au professionnalisme de l'équipage qui a pris de temps d'analyser correctement la situation et ainsi se préparer à un atterrissage bien plus délicat que d'habitude. Les passagers sont d'ailleurs unanimes dans leur témoignages sur le sang-froid des pilotes et le bon niveau d'information délivré périodiquement par l'équipage.

Ironie du sort: Certains passagers (dont les pilotes de l'A380) ont été réaffecté à bord du 747 de Quantas qui faisait Singapour Sydney le lendemain. Lui aussi, a connu un problème mineur de moteur après le décollage et est retourné se poser à Singapour!

Reste à tirer les leçons de cet incident grave qui aurait facilement pu se terminer en catastrophe majeure.

Une panne banale de moteur (extinction ou flameout) est un incident prévu (probabilité de l'ordre de 1 / 100000).

Par contre, la panne quasi explosive du moteur qui ne peut être contenue dans la nacelle et projette de gros débris à haute vitesse dans des directions aléatoires est une quasi catastrophe. Si la carlingue est percée, il y a décompression éventuellement explosive, le kérosène peut s'enflammer, des éléments majeurs de la structure de l'avion peuvent être détruits, ....

Il faut profiter de la chance et du professionnalisme de l'équipage de Qantas pour tirer au plus vite tous les enseignements de ce grave incident.

Depuis des examens approfondis des moteurs des 5 autres A380 de Qantas ont révélé des anomalies sur 3 moteurs. Ils sont en cours de dépose.

Pour compléter, un petit mot sur les moteurs de l'A380.

Il y a deux fabricants de moteurs:

- Le consortium Engine Alliance qui fabrique le GP7200 pour l'A380.

- Rolls-Royce qui fabrique le Trent 900 là aussi uniquement pour l'A380.

Chaque compagnie aérienne choisit son moteur à la commande. Sur les 37 A380 en service, 20 sont équipés de moteur Rolls-Royce, les 17 autres par des moteurs Engine Alliance.

Les moteurs Rolls-Royce se déclinent en deux variantes, le Trent 970 et le Trent 972. Les moteurs sont identiques à l'exception du contrôleur électronique (FADEC) qui autorise le Trent 972 a exercer une poussée supérieure au décollage pendant 5 minutes.

La poussée maximale au décollage est un critère important car il conditionne la poids maximal au décollage (qui dépend aussi de la longueur de la piste). Derrière le poids maximal au décollage se cachent des conditions d'exploitation telles que le nombre de passagers ou le volume de carburant emporté qui sont des critères objectif d'exploitation d'une ligne aérienne.

Qantas qui opère depuis l'Australie a de très longues lignes aériennes, certaines liaisons vers Melbourne prenant 15 heures et pour elle, un moteur plus puissant est un critère discriminant.

Qantas est donc la seule compagnie aérienne a avoir choisi le modèle "gonflé" de Rolls-Royce, le Trent 972 pour ses six A380 (y compris celui immobilisé à Singapour).

Pour l'instant, Air France, Emirates, Korean Air ont choisi le GP7200 d'Engine Alliance (le moins puissant des trois - NB On ne joue que sur quelques pour-cents).

Les autres compagnies (Singapore, Lufthansa, China Southern) ont sélectionné le Trent 970 de Rolls-Royce.

Des problèmes d'usure anormale avaient été détectés sur les moteurs Rolls-Royce de toute la famille Trent 900 et ont fait l'objet de directives préventives de l'EASA (organisme Européen de certification, équivalent de la FAA au USA) qui ont été émises en Janvier 2010 et mise à jour en Août. Comme par hasard, cela concerne l'étage de turbine de pression intermédiaire qui semble être en cause dans le cas du problème Qantas à Singapour. De même les trois autres moteurs potentiellement défaillants identifiés chez Qantas ont des symptômes correspondants à la description de la directive.

La balle est donc clairement chez Rolls-Royce côté moteurs mais aussi chez Airbus dans l'analyse de cette incident: Les systèmes ont ils réagi correctement, les redondances prévues étaient elles disponibles, etc ...

Mise à jour le 09/11 :

Ci dessous, un diagramme des systèmes hydrauliques de l'A380. Il y a deux circuits indépendants, le vert et le jaune.

C'est l'analyse des éléments de la voilure et du train d'atterrissage inopérants ou ayant été déployés anormalement qui me font soupconner fortement la défaillance totale du circuit hydraulique vert.

Mise à jour le 10/11 :

Une dépèche de l'AFP nous annonce que Singapore Airlines a détecté la même fuite d'huile sur trois de ses moteurs de sa flotte d'Airbus A380 et va effectuer le changement de ces moteurs.

C'est probablement un excès de précaution mais je pense que tout le monde a pris conscience du potentiel catastrophique d'une quasi-explosion de moteur telle que l'a vécu l'avion de Qantas.

Néanmoins, cela commence à faire désordre : Sur 20 Airbus A380 équipés de moteur Trent 900 de Rolls-Royce (80 moteurs au total), on en est à 1 panne majeure, 3 déposes chez Qantas et 3 déposes chez Singapore (il ne manque que Lufthansa), soit 7 moteurs donc près de 10% du parc en opération! Et je ne parle pas des directives de l'EASA qui datent de janvier 2010.

La pression psychologique va donc commencer à monter sérieusement. Je ne doute pas que chez Rolls-Royce, à Derby elle doit être à son paroxysme.

Petit rappel : Les Airbus A380 d'Air France, Emirates et Korean Air ne sont pas équipés de ce moteur. Il utilisent le GP7200 d'Engine Alliance.

Mise à jour le 07/12/2010 :

Le 03/12/2010, le Bureau d'Enquête et d'Accident Australien (ATSB = Australian Transport Safety Board) a publié un premier rapport préliminaire qui est riche d'enseignements.

Si vous comprenez l'anglais, je vous invite à le lire ICI et même si vous avez des difficultés avec la langue anglaise, vous pouvez le parcourir, ne serait-ce que pour les photographies et les diagrammes.

Il se trouve que mon analyse initiale s'avère correcte à 90% donc je vais me contenter d'une mise à jour différentielle:

J'avais supposé que le temps qu'avait mis l'appareil avant de revenir se poser à Changi (l'aéroport de Singapour) était en partie justifié par la nécessité de vidanger du kérosène pour alléger l'avion. C'était une erreur car le système de gestion du carburant et celui de vidange a été détruit par un troisième éclat qui a frappé l'avion sous l'emplanture de l'aile gauche. L'avion était donc dans l'impossibilité de vidanger son carburant et donc de s'alléger.

Plus il continuait à voler, plus il "brulait" du carburant mais plus les déséquilibres du centre de gravité s'accentuaient, notamment du fait qu'il y a un réservoir dans l'aileron arrière sur l'A380 (une particularité de l'avion) qu'il était impossible de transférer vers l'avant.

Lorsque l'avion s'est posé, il pesait encore 440t soit 50t de plus que le poids maximal à l'atterrissage.

Les dispositifs de freinage étaient plus dégradés que je ne l'avais imaginé. En plus des défauts mentionnés dans mon billet initial, l'antiblocage des roues au freinage (l'ABS de vos voitures) était inopérant sur près de 50% du train d'atterrissage (10 sur 22). Les pilotes ont donc du doser le freinage manuellement.

J'avais émis un doute sur le contrôle du moteur n°1. En fait sa poussée a toujours été contrôlable donc ce moteur n'a pas continué à pousser durant l'aterrrissage. Seule sa commande d'arrêt/extinction n'a jamais marché.

Lorsque les pilotes ont demandé à l'ordinateur de calculer une solution pour l'atterrissage, l'ordinateur n'en a fourni aucune (piste trop courte !). En forçant la piste à l'état "sec" (ce qui était heureusement le cas), l'ordinateur leur a indiqué qu'ils avaient 100m de marge (sur 4 km de piste). Dans les faits, ils se sont arrêtés 150m avant la fin de la piste !

Les dispositifs d'atterrissage automatiques n'étaient plus disponibles et l'auto pilote se désengageait car la vitesse choisie était basse donc proche du décrochage. Le pilotage et l'atterrissage (freinage compris) a donc été réalisé totalement en mode manuel, en dessous de 1000 pieds.

Une fois immobilisé au sol l'équipage et les autorités de Singapour ont préféré attendre que les pompiers sécurisent les fuites de kérosène, noient le moteur n°1 qu'il était impossible d'éteindre avant de faire descendre les passagers (50 mn). Ils ont préféré les évacuer par un seul escalier afin de pouvoir compter et d'être sur que personne n'était oublié. Même si l'évacuation des passagers a pris près d'une heure, tout le monde est descendu avec ses effets personnels et les bus les attendaient en bas. C'était comme une descente "tranquille" sur la piste.

J'ai essayé de retranscrire le plus factuellement possible (mais sommairement) le compte rendu de ce rapport et en particulier les écarts avec ma première analyse. La référence reste néanmoins le rapport officiel dont vous avez le lien ci-dessus.

Et maintenant, quelques refelexions partielles purement personnelles :

La chance était au rendez vous et tant mieux ! En particulier, piste longue et sèche pour un avion lourdement en surcharge à l'atterrissage.

Le professionnalisme était au rendez-vous : Chez les pilotes, les hôtesses et stewards (PNC), ... Il n'y a qu'à écouter les témoignages des passagers: aucune panique, des informations périodiques, ...

Coté contrôle du trafic aérien et autorités aéroportuaires de Singapour, rien à dire d'après le rapport.

Une fois au sol, certains vont peut être se demander pourquoi l'évacuation a été si lente. Certes l'on aurait pu faire sortir tout le monde en vrac par les toboggans d'évacuation d'urgence ou du moins par la moitié droite (le coté gauche étant celui des fuites de carburant et du moteur qui ne voulait pas s'arrêter). Je tiens quand même à rappeler que les portes du pont supérieur d'un A380 sont à 8m du sol ce qui revient à prendre un toboggan du 5 ou 6ième étage .... Cela ne se fait pas forcément sans casse (vas y mamie !).

Enfin, je salue les ingénieurs d'Airbus, de ses partenaires et sous traitants. L'avion et ses systèmes se sont révélés plus robustes que ce qui est demandé même si cet incident grave met en évidence quelques faiblesses (vidange du fuel, slats, ECAM, ...).

L'avion a tenu à trois projections de débris du disque la turbine intermédiaire (70 kg la pièce lancée à plus de 6000 tours/minute - 8300 max) sans parler des plus petits projectiles. On ne lui a jamais demander de résister à un tel évènement. Les millions d'heures ingénieur passées à la conception système et mécanique ne l'on pas été en vain.

Côté motoriste, chez Rolls Royce, c'est plus glauque. Il y a soupçon de dissimulation / minimisation de problèmes ainsi que d'une certaine complaisance de l'agence européenne de certification (AESA). Cela va coûter très cher à Rolls Royce car il y a déjà des procès d'engagés. Pour l'instant la piste est un défaut de fabrication sur un tuyau fournissant l'huile de lubrification du pallier (roulement à billes) du disque de la turbine intermédiaire. Néanmoins, cet étage est sujet à des problèmes récurrents et mollement signalés par l'EASA.

Un tel incident au potentiel catastrophique, heureusement évité, va peut être remettre un peu de plomb dans la tête des autorités et industriels concernés.

Je rêve probablement, la finance et les profits n'étant jamais très loin.

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