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Billet de blog 26 février 2011

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LE SIONISME EST-IL LE DERNIER PROJET COLONIAL ? (2/7)

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Par Alain Dieckhoff

(Le temple dédié à YHWH au Tel Arad, sud d'Israël, 1200 ans avant J.-C.)

C'est ici que réside un premier paradoxe du sionisme. Car le départ des Juifs de la diaspora et leur installation sur la terre d'Israël n'étaient nullement conçus comme une séparation radicale d'avec l'Europe. Il n'était pas question de se fondre dans la société culturelle et politique de l'Orient. Theodor Herzl s'exprime très ouvertement là-dessus, dans sa profession de foi de 1896, L'État des Juifs : "Des esprits fermés prétendent que l'émigration mène des pays de haute culture au désert. Cela est complètement faux. L'émigration s'effectuera entièrement dans la civilisation." Plus loin, il est encore plus clair : "Pour l'Europe, nous formerons là-bas un élément du mur contre l'Asie ainsi que l'avant-poste de la civilisation contre la barbarie." Le fondateur du sionisme était bien le digne fils d'une Europe qui connaissait alors son apogée impérialiste. Pour lui, la civilisation occidentale, parvenue au stade suprême de la maîtrise du savoir et des techniques, avait tout naturellement vocation à enrichir des terres culturellement en friche. Le sionisme avait un rôle à jouer dans cette mission civilisatrice puisque, selon l'expression de l'historien israélien Yosef Klausner, "les Juifs ont vécu pendant plus de deux mille ans parmi les peuples de culture."

Seuls quelques courants minoritaires, regroupant des intellectuels et des universitaires (par exemple dans l'Alliance pour la paix, Ihoud), prônaient une "symbiose sémitique" avec les Arabes. Mais la majorité écrasante du mouvement sioniste partageait (y compris dans les rangs de la gauche marxiste) — et il n'y a pas à s'en étonner outre mesure — la vision coloniale (car il convient de soigneusement distinguer la représentation européocentrée de l'Autre — Arabe —, des réalisations et des motivations sionistes qui eurent, elles, dès le début du XXè siècle, des objectifs nationalistes), alors générale, qui considérait l'expansion de la culture européenne comme un bienfait pour les peuples non européens. La droite révisioniste (ainsi appelée parce qu'elle entendait réviser la ligne politique, jugée trop pragmatique, de la direction sioniste, et revenir à la ligne diplomatique qui avait été celle de Theodor Herzl entre 1897 et 1904), regroupée autour de Vladimir Jabotinsky, n'avait aucun scrupule à revendiquer haut et fort la fonction civilisatrice du sionisme. Moins brutalement, les sionistes socialistes ne disaient guère autre chose : à leurs yeux, l'introduction par les pionniers juifs d'une économie collective ou coopérative ne pouvait être que positive pour les masses arabes dominées par un féodalisme archaïque.

L'attachement extrêmement vivace des Juifs de la diaspora envers la terre d'Israël, entretenu par une tradition millénaire, donnait toutefois d'emblée au sionisme une légitimité interne dont les "colonisateurs classiques" (puritains des Etats-Unis, Boers d'Afrique du Sud, etc.) ne pouvaient pas se prévaloir puisqu'ils n'étaient pas impliqués dans l'histoire des terres sur lesquelles ils prenaient pied. Eretz Israël (le pays d'Israël) n'était pas une terre étrangère, mais bien la terre d'origine. Cette évidence n'a pas empêché le sionisme de devoir affronter la difficile question de la présence d'une population autochtone.

Revue L'Histoire.

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