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Billet de blog 1 juin 2012

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Amants de la Cité

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En pleine guerre du Péloponnèse, Périclès, devant les corps des hoplites tombés, faisait un discours décrivant le citoyen athénien comme un amant de sa Cité et de la démocratie. Pas d’amour filial, pas de sentiment patriotique ou d’attachement aux lois de la Cité, pas de discours pompeux sur des valeurs, pas de stimulation des peurs ou des intérêts divers.

Non. L’Athénien est un amoureux fervent, un fou furieux qui devient, à cause de cette passion, un paradigme pour le reste des cités grecques. Thucydide dénomma cette période comme celle de la démocratie radicale, un régime de passion sublimée, qui assumait ce qui deviendra pour l’histoire l’âge d’or athénien, mais aussi le début de la fin de cette expérience unique. En connaissance de cause, les athéniens prenaient collectivement le risque du meilleur et du pire, l’un n’allant pas sans l’autre.

C’est d’ailleurs la meilleure définition de la situation amoureuse. 

En démocratie, il n’y a ni fatalité, ni sens uniques. Il n’y a que des choix à débattre. Des avantages et des inconvénients,  des « pour » et des « contre » c’est à dire, le prix à payer pour chacun d’eux.  Mais lorsque l’on évite le processus du choix et que l’on occulte son prix, on n’est plus en démocratie.

C’est aussi simple que cela.

Pour preuve, la formulation des choix eux-mêmes (et les débats qui forcement s’en suivent), prend les mille chemins que la Cité met à disposition du citoyen.

A Athènes, le triangle de la démocratie – Agora, Acropole, Théâtre de Dionysos – est un espace de vie ou la métaphysique, les concours de théâtre et la parole argumentée, délimitent ce débat citoyen polymorphe.  Ainsi, l’amour du logos et de ses multiples messages  qui vont  - dans une palette très large d’options - de la farce d’Aristophane à la contestation métaphysique et aristocratique de Socrate, transforment la démocratie en un exercice collectif périlleux, un  fil tendu pour équilibriste, sur le quel, chaque jour, la Cité joue son va-tout.

Ce n’est donc pas un hasard si l’Artiste, le Philosophe, l’Orateur, l’Architecte le Démiurge, assument des responsabilités et risquent des sentences aussi graves que celles d’un général ou d’un chef d’expédition. 

Cette passion grecque, reste sans doute le dernier fil conducteur qui rattache tout grec à son passé. Angélique Ionatos (comme Eleni Caraïndrou qui a fait la musique de presque tous les films de Théo Angelopoulos) sont des artistes engagés non pas dans le sens moderne tu terme, mais dans celui que donnait la Cité Athénienne à l’engagement : leur art est élevé, pensé, responsable, par ce qu’il s’adresse à des citoyens qui veulent s’élever, peser le pour et le contre, afin que leur parole et leurs actes soient responsables.  

Ce n’est pas non plus un hasard si Théo Angelopoulos ne pensait ses films, pourtant débordant de Grèce, qu’universels. Ce n‘est pas non plus un hasard si la compagnie Kanigunda se donne pour tâche de raconter avec son Polis-Kratos (Cité-Etat) l’histoire d’Athènes et les questions qu’elle pose à nous grecs et à notre hubris. Car si les grecs ont inventé la démocratie, ils ont aussi inventé sa mort indigne. 

 Tel un don posthume en devenir, Cornélius Kastoriadis avait  dans ces derniers écrits, insisté sur la notion d’insignifiance, celle qui est en train de détruire notre monde. Il pensait sans doute au monde hérité de la Cité Grecque, qui considérait la Peideia et la Techné comme des armes de destruction massive contre la vacuité, la peur et la pensée frileuse et compromise  du sens commun, ce moteur infernal du tout n’est pas possible.

Ce texte a été écrit à l'occasion de l'ouverture de la troisième édition des Chantiers d'Europe. Le Théâtre de la ville offre des places aux abonnés de Mediapart. Pour consulter le programme et réserver, cliquez ici.

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