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Billet de blog 17 novembre 2015

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II. Terrorisme : que faire ?

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Critiquer une politique qui, aux dires de l‘ancien premier ministre Dominique Villepin, a engendré l’enfant monstrueux appelé Etat Islamique n’est plus suffisant. Il est cependant nécessaire de commencer par un regard sur soi-même. Un système en crise, celui de notre société occidentale, ne peut répondre sereinement aux contestations exogènes, à commencer par celle de l’islam radicalisé. Qui sommes nous, pourquoi notre modèle de société n’est plus attractif, ne sont pas des questions qui n’ont rien à voir. Pourquoi la contestation endogène de l’occident n’existe plus ici - et surtout ailleurs - doit nous interpeller. Il fut un temps, pas si lointain, où ici et ailleurs le discours et l’anti discours étaient quasi exclusivement occidental. Le capitalisme comme le marxisme, le libéralisme comme le socialisme, étaient issue de la même matrice, parfois copiés, souvent singés par le reste du monde.

Aveuglement l’occident a combattu, corrompu, annihilé ce monopole idéologique en s’alliant, mercantilisme aidant, avec des théocraties, des forces précapitalistes, des mouvements et des pouvoirs autoritaires, des forces tribales et des seigneurs de la guerre qu’il avait combattus en son propre sein et qu’il avait fini par éradiquer. Systématiquement, il a combattu les Nasser avec des Saoud, les Lumumba avec des Mobutu, les Ho Chi Minh avec des Bao Dai, des Diem et des Marcos, les Allende avec des Pinochet et des Noriega, les Mossadegh avec des Reza Pahlavi puis des Khomeiny.  

En son propre sein, l’occident néo libéral, n’a-t-il pas oublié le sens même du triptyque Liberté - Egalité - Fraternité, dont le président des USA s’est rappelé après le carnage parisien ?  Est-il toujours opérant dans une société où plus de 90% des richesses sont détenues par moins de 5% de la population et où une poignée de milliardaires détiennent 90% des médias ?  Dans ce paysage, où un citoyen sur quatre est marginalisé et les trois autres ne sont conçus que comme des consommateurs, comment, comme le disait très justement Salman Rushdie, peut-on encore mobiliser les peuples de l’occident pour sauver la mini-jupe alors même que la présidente du FMI émet un certificat de féminisme à feu le roi saoudien ?

Voilà donc que l’occident, après de longs siècles d’hégémonie idéologique et culturelle, doit affronter un anti discours dont il n’est pas à l’origine mais qu’il a fortement appuyé pendant des décennies, tournant le dos à ces propres valeurs. Valeurs qu’il avait forgé en luttant pendant des siècles, pour faire court, contre l’inquisition, le pouvoir divin et absolu, l’arbitraire, les régimes autoritaires,  le nazisme.  Cet ennemi exogène, par ses formules, ses slogans (le langage y étant exclu) et ses actions voudrait nous ramener au carcan des croisades, dont presque un millénaire nous sépare, faisant abstraction, justement, des efforts,  des combats et des sacrifices que notre monde a engagé depuis pour s’y libérer.

Les premières mesures à prendre seraient ainsi celles qui revaloriseront la notion même d’Etat de droit, sa réintroduiront dans les milieux financiers, l ‘appliqueront aux politiques fiscales, l’utiliseront pour supprimer les exceptions des structures extraterritoriales tels les paradis fiscaux, les offshore de tout genre, les produits financiers sans nom et sans traces.  L’exemple grec a largement prouvé, et continue de le faire, qu’au sein de l’Europe, la volonté citoyenne est systématiquement bafouée par des structures non élues, des superstructures financières et la loi du plus fort. L’exemple portugais indique qu’au sein même de l’Europe on préfère une transgression du résultat électoral, en  espérant  le sabordage des partis et de leurs promesses, juste pour préserver une orthodoxie financière hégémonique. Plus généralement, choisir systématiquement la forme plutôt que le fond, la communication plutôt que le projet, la finance plutôt que les populations, finit par désocialiser et désolidariser les peuples de tout projet politique de toute vision, les enfermant dans un éventail allant de l’eudémonisme consumériste au sauve-qui-peut. Il s’agit là, bien sûr, de l’énoncé d’un socle politique visant à restaurer, sur le fond, les valeurs essentielles auxquelles l’occident a tourné le dos et qui faisaient sa spécificité.   

Un tel projet - s’il voit le jour -, prendra du temps tandis que le terrorisme fondamentaliste (plus précisément l’Etat Islamique de la Syrie et du Levant) est aux portes de la cité.  Cependant, il n’est pas inutile de se référer à la genèse et affirmer qu’il est temps d’en finir avec la permanence des péchés originels qui obligent l’occident de s’attaquer aux conséquences et pas aux causes, à répéter et perpétuer les mêmes faux pas politiques et géopolitiques. Pour cela affirmons deux concepts « marxistes » : identifier la contradiction principale face aux contradictions secondaires et  celui –gramscien – de l’hégémonie idéologique.

« Le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité » est sans doute la phrase la plus politique du discours du président français face au congrès. Dommage que cette évidence, cette critique directe au processus de paupérisation de l’Etat et de ses services, dicté par la Commission sous influence allemande n’aie pas été entendu plus tôt, pour la Grèce, l’Italie, l’Espagne ou le Portugal.  Dommage que l’on n’aie pas compris qu’au sein de l’U.E  la fracture politique entre une hypothétique vraie gauche et une vraie droite devrait être exactement cette phrase. Car, après tout, c’est quoi la sécurité si ce n’est un Etat efficace et des citoyens impliqués, utiles aurait dit Aristote.  Si les forces de l’ordre, la justice, la santé, sont à la limite de leurs capacités, essoufflés, ne tenant que grâce au dépassement de soi trois jours après les attentats, c’est que le projet néolibéral les avait déjà décimés.  Le pacte de stabilité, ce projet visant à moins d’Etat, moins de services, moins de solidarité a été concocté par  des clercs se trouvant au sein de superstructures hors réalité, d’obscurs comptables n’ayant aucun contact avec la vraie vie et les enjeux géopolitiques d’un monde entropique. Par des banquiers bunkerisés et des financiers de droit divin se croyant maîtres de la pluie et du beau temps. C’est cette fiction qu’il faut combattre, d’un monde où les données informatiques et les calculs électroniques l’emportent sur l’humain sinon la réalité, des individus désocialisés, abrutis par la fiction des réseaux sociaux et le désir d’être quelque chose entendent dans leur isolement et leur solitude des voix d’un autre âge leur demandant de détruire la cité.  Un Etat fort et juste, des citoyens impliqués, des enjeux politiques réels et contradictoires offrant une place à tous, loin du monologue actuel des médias serait le premier bouclier efficace, celui d’une hégémonie idéologique avec son discours et son anti discours. Le retour du politique dans les mots et dans les faits. La fin du ronronnement néolibéral universel.

Au sein de ce monde violent et entropique, où l'on se perd dans des actions et des paroles en demi teinte, où l'on choisit de penser que tout le monde est un peu de tout, ami et ennemi, bon et mauvais, où l'on n’arrive pas à choisir, à trancher, à agir, il faut enfin réapprendre la notion même d’hiérarchie. Le monde n’est pas Google et ses moteurs de recherche. Il y a des ennemis prioritaires (qu’il faut combattre), des faux amis (qu’il faut isoler et/ou impliquer),  des alliés de circonstance et des peuples dont la négation ne fait que les projeter vers des chimères centrifuges. Il faut réapprendre à choisir, à décider, à trancher. Il faut savoir identifier les contradictions principales,  remettre à plus tard les secondaires. C’est alors, et alors seulement que, pour paraphraser Héraclite, « le sot sera frappé de stupeur par notre parole ».

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