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Billet de blog 8 février 2010

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Monsieur le ministre de la Culture, il reste 22 jours pour sauver les agences Gamma, Rapho, Hoa-Qui, Jacana etc.

 Jeudi 2 février 2010, à la 12e chambre, le président Fiot, nommé commissaire des sociétés du Groupe Eyedea, a fixé une nouvelle audience au 30 mars 2010 pour décider du sort du troisième fonds mondial de photojournalisme, de photo-reportages, de photographies d'auteurs et de chasseurs d'images spécialisés dans une multitude de domaines : les tirailleurs sénégalais, l'opéra, la mode, les tribus de vallées perdues, la politique internationale, les plats cuisinés...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jeudi 2 février 2010, à la 12e chambre, le président Fiot, nommé commissaire des sociétés du Groupe Eyedea, a fixé une nouvelle audience au 30 mars 2010 pour décider du sort du troisième fonds mondial de photojournalisme, de photo-reportages, de photographies d'auteurs et de chasseurs d'images spécialisés dans une multitude de domaines : les tirailleurs sénégalais, l'opéra, la mode, les tribus de vallées perdues, la politique internationale, les plats cuisinés...

« Le mensonge se dissimule dans ce que l’on ne photographie pas » John G Morris

Monsieur le ministre, nous assistons à une agonie. Vous assistez à l’agonie de femmes et d’hommes que votre regard a aimés lorsqu’il se posait, souvent le soir, à l’heure où s’entremêlent dans un appartement calme les images que l’on a jusqu’alors gardées pour soi et celles qui éparses alentour, viennent les rejoindre. (in Tous désirs confondus).

Vous souvenez vous ?

Vous étiez ces soirs là rue d’Alger, à l’agence Rapho, chez la famille Grosset en compagnie de Chantal Soler. Barbara Grosset, n’était déjà plus mais il y avait sa fille Kathleen, son fils Mark et Raymond Grosset son mari. Un homme courageux, un sage de la profession et un résistant, engagé dans les Forces Françaises Libres – il n’en parlait jamais – au sein desquelles il débarque en Provence le 15 août 1944. C'est à son retour de la guerre précise Kathleen Grosset, sa fille, seule Grosset aujourd’hui encore à Rapho, que les photographes, surtout Ergy Landau, proposent à mon père de rouvrir Rapho. C'est alors qu'il prend contact avec Charles Rado, qu'il ne connaissait pas. Il retrouve, 36 rue de Châteaudun à l’agence Farma, le fonds Rapho créé en 1933. Des photographes se présentent, je ne vais pas tous les citer et vous les connaissez. L’un d’eux est Robert Doisneau : Ce sont les 70 premières années les plus dures pour un photographe plaisantait l’ami de Prévert… Il se trompait, hélas, un peu. Les jours les plus noirs, les photographes et le personnel de Rapho les vivent aujourd’hui.

Mais, vous savez tout cela Monsieur le ministre…

Votre film, votre livre sur et à propos des photographies de l’agence Rapho est un cri d’amour. Après des heures, des soirées à ouvrir les boites en carton vous écrivez : En somme j’ai relu mes jours écoulés, j’ai tenté de percevoir ce que serait peut-être mon avenir grâce à Rapho. En essayant d’en faire part honnêtement par le film et par ce petit livre, j’ai aussi essayé d’en rendre compte. A Rapho tout d’abord, pour qu’il soit établi que ce travail m’a accompagné, et à tous les autres qui sont comme moi-même touchés, par les photographies, pour qu’ils aient un jour la chance de connaître la même joie. Ce sont ces lignes qui m’autorisent, Monsieur le ministre à vous interpeller.
J’ignore si les archives de Keystone vous touchent autant que celles de Rapho. Si vous les connaissez moins, il vous faut, entre deux rendez-vous très importants, vous glisser 13 rue d’Enghien pour faire connaissance avec mon ami « Albert ». Albert Raymond s’occupe des archives de Keystone depuis 30 ans, comme L’infirme-major Madame Adrienne soigna Blaise Cendrars affamé, blessé, amputé au front. Patience, dévouement, courage, rigueur et dignité. J’ai saigné la nouvelle du poète et extrait de La vie dangereuse ! Des mots qui parlent à ceux qui se sacrifient pour que leur travail, nous enrichisse.

Et Gamma !

Cette agence qu’il fallait absolument sauver l’été dernier, à Perpignan, au Festival de Photojournalisme Visa pour l’image... Après avoir consulté sur place, vous étiez triste de reprendre votre avion, sans voir la fin de la soirée de projection. Cela vous pince le cœur de refermer les albums, les boites, les portfolios… Vous étiez indigné du sort réservé aux photographes de Gamma, et vous n’étiez pas seul. Il y avait beaucoup de monde. Beaucoup de représentants de l’administration, de nos musées et universités, des acteurs, des auteurs, des producteurs, des industriels, et même des clients, je veux dire des patrons de presse, des chefs d’entreprises…
Et bien, Monsieur le ministre, en silence, et hors respect de notre sacro-sainte convention collective des journalistes, la dernière équipe de photographes de Gamma a été licenciée par Eyedea Presse. Je vais être politiquement peu correct, Monsieur le ministre, mais l’agence Gamma n’a jamais été créée pour employer des photographes salariés ! Les licenciements sur lesquels nous devions pleurer cet été, c’étaient ceux des employés, les dames méticuleuses et compétentes. On n’en a pas parlé. Tous mes confrères les ont oubliées.
Gamma a été créée en 1967, comme Magnum Photos en 1947, comme tant d’autres agences après elles, pour que les photojournalistes, les photo-reporters, les photographes ne dépendent pas d’un patron mais soient libres et indépendants ! L’avantage de cette douloureuse crise est de remettre les pendules à l’heure.
Donc ce qu’il fallait faire cet été, ce qu’il faut faire cet hiver, c’est sauver les esprits de Gamma, de Rapho, de Hoa-Qui, de Jacana. Sauver ces « Trésors », comme on dit, en Asie. Sauver les trésors de l’esprit du témoignage et de la création photographique, libre et indépendant. Ce trésor de Gamma pour le connaître, il ne faut pas se tourner vers les photographes, mais vers les femmes et les hommes des soutes. Il reste bien « Momo » qui pourrait vous en parler aujourd’hui avec la faconde méditerranéenne mais Monsieur Mohamed Lounes, secrétaire du CE de Eyedea est un peu en rogne en ce moment ...
Monsieur le ministre, pour que d’autres que vous, aient un jour la chance de connaître la même joi e, il faut faire cesser l’agonie de nos trésors photographiques.

Combien de jours ?


Maître Régis Valliot est administrateur judiciaire, nul n’est parfai t précise-t-il d’entrée. Ayant humé dans sa jeunesse l’odeur si particulière des laboratoires de photographie argentique, il a du goût, comme vous, pour les œuvres de ceux qui captent leur époque ou laissent leurs talents s’exprimer. Je lui ai donc posé deux questions :
Question: Jeudi 4 février 2010, dans l'après midi, vous vous êtes transporté rue d'Enghien pour une réunion de concertation précédée d'une visite de la holding Eyedea et, d'une partie, de ses filiales. Vous avez pu visuellement apprécier de quoi sont composés ces fonds, de leur profondeur historique et de la richesse du champ thématique.

Maître Régis Valliot : La visite des fonds de photos sur plusieurs étages et sous-sols m'a impressionné de par les volumes archives et m'a ému par les contenus et les noms ainsi stockés : tant de tranches de vies , de regards immortalisés sur les gens et le monde c’est à dire l'Histoire, et d'oeuvres artistiques qui dorment à l'abri de la lumière en attendant d'y retourner à la faveur de l'actualité ou d'un livre ..
Mais aussi sensibilisé à leur incarnation à travers leurs archivistes indissociables navigateurs imprégnés de la personnalité des photographes et de leurs oeuvres et sans lesquels cet amas de matière serait inexploitable.
Question: Quel vous parait être, à la suite de cette réunion de concertation, le profil idéal d'une offre visant à sauvegarder les intérêts des parties en cause ?

Maître Régis Valliot : Le profil idéal du repreneur et l'offre la mieux à même de répondre aux attentes des photographes, me semble t-il, procède d'un amoureux du métier ayant la tête sur les épaules et quelques moyens financier.
La valeur en tout cas historique des fonds ne doit pas être mise dans n'importe quelles mains.
  • Il faut être un bon agent, c’est-à-dire s'occuper intuitu personae des photographes/auteurs et promouvoir leur talent artistique sur le plan commercial.
  • Il faut comprendre l'intégrité de chaque fonds et la préserver par la continuité d'un recrutement sélectif et cohérent.
  • Il faut savoir gérer une entreprise et avoir les moyens de financer la numérisation des fonds argentiques pour en assurer une exploitation optimisée, mais aussi mettre en ligne un catalogue représentatif des signatures fédérées sous l'enseigne Eyedea.

Mais, Monsieur le ministre, il y a un hic. On ne trouve pas si facilement un mouton à cinq pattes pour reprendre une trentaine de millions de clichés même si 11 d’entre eux sont la pleine propriété du Groupe Eyedea, et le reste la propriété de près de 10 000 auteurs, dont 3 000 ont encore un compte actif en 2009 et dont 250 à 300 enregistrent un mouvement mensuel. Ajoutez 70 à 73 salariés, cela fait du monde pour pleurer à l’enterrement, ou pour redresser la tête et se battre.

Qui va faire des offres ?

Il est facile d’imaginer que les sociétés de stocks d’images qui dominent le monde peuvent se présenter malgré leurs déficits. Monsieur Bill Gates avec Corbis a racheté l’agence Sygma fondée par une dissidence de Gamma, mais c’était en 1999 ! Getty images restructure comme on dit également. Ceux là, avec le respect réel que j’ai pour leur politique d’investissements, peuvent vouloir reprendre tout et tout le monde , puis après, licencier et « containériser », un jour ou l’autre, les print press qui vous ont tant ému.
Un financier français ? Un industriel à la Jean-Luc Lagardère ? Un mécène ? Qui ? Un petit français qui reprendra pour 1 euro et n’aura pas les moyens pour investir. Rebelote dans un an avec les cendres de l’incendie. Des agences concurrentes qui font leur marché ? J’achèterai bien, pas cher, un peu d’histoire , ou de people, ou d’années 80. Le marché de « l’enterre-taille-mentent » serait demandeur. Monsieur le ministre, je vous le dis aussi franchement que Maître Régis Valliot me l’a dit au Tribunal. A Libération il a fait l’impossible. Là, il faut l’aider à faire un miracle. Pour sauver Gamma, Rapho, Hoa-Qui, Stills, Jacana, Top, Explorer et toutes ces photographies venues, prêtées, reparties, revenues de notre monde entier… il faut que tout le monde s’y mette. Vous, Monsieur le ministre, vous pouvez faire un signe politique, avant de faire un geste pratique.
185 000 press prints de l’agence Magnum Photos viennent de permettre à la vieille coopérative d’en sabrer un, de magnum, grâce à la bonne fortune numérique de Monsieur Dell. Les tirages des photographes de nos agences n’intéresseraient personne ? L’Histoire, notre époque, nous… Nous ne nous intéresserions plus à nous mêmes ?
Monsieur le ministre, vous pouvez donner de l’espoir aux photographes, aux auteurs, aux cadres, pas ceux qu’on expose, mais ceux qui font les éditions, les expositions, les livres… Vous devez redonner confiance aux photographes. Vous devez décider que l’Etat est aussi là pour protéger ses créateurs et faire un vrai geste. Un miracle est possible. Une société réunissant l’ensemble des auteurs actifs et les ayants-droit peut se constituer et se lier à une autre société de commercialisation et de gestion pour un pacte qui assure la pérennisation des fonds et des activités.
Il faut un mouvement et une impulsion. Avec des financiers et des gestionnaires, l’Etat aux côtés des photojournalistes et des auteurs peut faire que Maitre Régis Valliot présente un miracle à Monsieur le Président Fiot de la 12ème chambre le 30 mars prochain.
Cela se passera dans l’ile de la Cité, où que je sache, ne coule pas la Berezina.. Il reste 22 jours.

Michel Puech

Lundi 8 février 2010

Billet précédent : Eyedea: toutes agences confondues...

Tous mes billets sur la liquidation judiciaire du Groupe Eyedea

Calendrier :

12/02/2010 : Ouverture de la data-room électronique

03/03/2010 : Date limite de remise des offres à Maître Valliot

4 au 12/03/2010 : Discussions avec les candidats repreneurs – Amélioration des offres

15/03/2010 : Remise du Bilan économique social et environnemental, ainsi que du plan de cession analysant les offres éventuellement en compétition

25/03/2010 : Dernier délai pour améliorer les offres en compétition

26/03/2010 : Comité d’Entreprise exprimant son avis sur les offres présentées et sur le Bilan économique et social

30/03/2010 : Audience du Tribunal de Commerce de Paris appelé à se prononcer sur le plan de cession de l’entreprise

Sources

  • Discours du ministre de la Culture
  • Rapho, histoire d'une famille Film de Frédéric Mitterrand et Patrick Jeudy. Ce film de 30’ dédié à Barbara Grosset fut projeté aux Rencontres d’Arles le 10 juillet 1987 à 22h. Direction du projet : Chantal Soler, Iconographie Sylvie Rebbot avec toute l’agence Rapho, Montage Catherine Gouze, coordination 2ème bureau avec Picto, Kodak et le Crédit Foncier de France. Contact presse : Catherine Philippot.
  • Tous désirs confondus de Frédéric Mitterrand – Editions Actes-Sud / Rapho 1988
  • La photographie d’actualité et de propagande sous le régime de Vichy de Françoise Denoyelle – CNRS Editions 2003
  • Des hommes d’images, une vie de photojournalisme de John G. Morris – Ed. de La Martinière 1998
  • J’ai saigné de Blaise Cendrars – Editions Mini Zoé 2004 et Grasset dans le recueil La vie dangereuse
  • Chantal Soler raconte la ballade fabuleuse de Frédéric Mitterrand par Agathe Westendorp. La Provence mercredi 08 juillet 2009
  • ·Magnum vend une partie de ses trésors de Michel Guerrin et Claire Guillot Le Monde du 5 février 2010

Rappel:

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