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Billet de blog 21 octobre 2015

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Pantalonnade de Marianne à la Mutualité : Peut-on encore débattre en France ?

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 "Je refuse de débattre. Je ne viendrai pas!

Je les regarde tous , essayant vainement de me récupérer..."

Hier soir, 20 octobre, la salle de la Mutualité à connu une immense pantalonnade organisée par le magazine Marianne.

Le 18 septembre dernier, Michel Onfray tweetait : « 20 octobre Marianne loue la mutualité pour me soutenir. Avec, pour l'instant, Debray , Finkielkraut, Bruckner, Le Goff, etc. Et Chevènement .»

Malgré sa présence insistante et continue dans les medias qui lui ont ouvert généreusement micros et colonnes,  Marianne  a décidé d’organiser une soirée de soutien à Michel Onfray, montré du doigt comme un allié objectif du F.N., qualifié de « néo-réac » par plusieurs journaux et magazines et accusé de faire le jeu du Front national.

Onfray, donc, tweeta.

Il se passa ensuite que Joseph Mace Scaron tweeta à son tour.

Il tweeta  qu’il était ravi de l’apprendre.  Ce qui ne manque pas de sel quand on sait qu’il est directeur de la rédaction de Marianne.

 Mace-Scaron Joseph ‏@MaceScaron  18 sept.

@michelonfray Ravi de l'apprendre

 Toute la suite fut de cette eau-là.

Le 19 septembre, il déclarait encore au Monde, que vous allez voir ce que vous allez voir : « « Nous allons dire que nous ne sommes pas avec Marine Le Pen et que nous existons à gauche, que nous ne sommes pas instrumentalisablesNous sommes de gauche. Ceux qui nous traitent de fascistes ne veulent pas penser. » 

Seulement, voilà, dans un deuxième temps Onfray réfléchit et  il  pensa. Puis  il déclara qu’il n’irait pas. "Je les regarde tous, essayant vainement de me récupérer", lâche-t-il dans "l'Obs", le 30 septembre.

C’est qu’on n’est jamais assez méfiant : Marianne qui le soutient inconditionnellement pourrait le récupérer. Tout comme Debray, Finkielkraut, Bruckner, Le Goff, et Chevènement  certainement aussi. Procès d’intention ou jugement étayé sur des preuves ? On ne saura pas… 

L’argument ne semblant pas suffire, dans un troisième temps, il renchérit et déclara aux Matins de France Culture le 18 octobre, qu’il n’irait pas à la soirée-que-Marianne-organisait-pour-le-soutenir, car il n’irait pas débattre avec Bernard Henri Lévy !... qui n’était pas de cette soirée.

Onfray refusait d’aller débattre à cette soirée où l’on s’interrogerait gravement : « Peut-on peut encore débattre en France ?” et dont il était l’épicentre.

La soirée a eu lieu, et personne, à la tribune comme dans la salle ne s’est étonné du refus de débattre-pour-savoir-si-l’ on-pouvait-encore-débattre, de la part de celui qui est au centre du débat.

Il faut dire que les choses avaient bougé : le soutien de Marianne à Onfray avait disparu du titre. On allait débattre sur la possibilité de débattre et Onfray n’était plus là qu’à titre d’illustration. Pas pour illustrer le refus de débattre, mais de façon exemplaire, comme victime des invectives qui diabolisent, excommunient, anathémisent.

D’autre part les participants avaient changé : ce n’est qu’une fois installé dans la salle que le public découvrit la tribune.

Debray, Finkelkraut, Bruckner, Le Goff, et Chevènement étaient remplacés par Jean François Kahn ex-directeur de  Marianne et essayiste,Laurent Joffrin (directeur de la rédaction de Libération), Jacques Julliard (Marianne), Alexis Brézet (directeur de rédaction du Figaro), Catherine Kintzler (professeur émérite de philosophie de Lille 3), Jacques Généreux 5maître de conférence à l’I.E .P. de Paris et ex-secrétaire national du Parti de Gauche), J.P. Delevoye (présidant du Conseil économique, social, et environnemental), Daniel Keller (chef d'entreprise français, et grand maître du Grand Orient de France ), Alain-Gérard Slama (journaliste et historien), Natacha Polony ( papillone dans diverses émissions de radio et télé, collabore au Figaro). Joseph Macé-Scaron, directeur de la rédaction de Marianne distribuait la parole.

Débattre entre soi. Ou le débat sur la façon de débattre.

Toute la soirée, on se demanda si l’on pouvait encore débattre et comment débattre. Jean François Kahn ouvrit la séance en traitant la question, en dénonçant le sectarisme qui règne et empêche le débat.  en affirmant la volonté de faire ressurgir le débat, c’est à dire en s’écoutant et en répondant. C’est là, dit-il, la façon républicaine de combattre.

L’exercice de Jean François Kahn fut repris et décliné de diverses manières par chacun-chacune des autres intervenant(e)s avec salves d’applaudissements frénétiques chaque fois qu’il fut question de la République, de ses valeurs, de la Démocratie, etc…

Sauf par Laurent Joffrin qui a voulu lui, ne pas en rester à des généralités et parler de ce qui a été la raison de cette soirée. Il rappela donc le contenu de son long article de trois pages où il analysait les propos d’Onfray dans  le Figaro.

Michel Onfray comme Zemmour ou  Finkielkraut et quelques autres ne sont pas que des écrivains à succès. Il ont envahi l’espace médiatique par leurs discours alarmistes en glosant sur l’immigration,  l’éloge des frontières ou sur le « déferlement migratoire » et en jouant à demi-mots sur  le mythe du « grand remplacement » promu par Renaud-Camus. Ensuite ils agitent l’épouvantail de la difficulté, voire de l’impossibilité pour les migrants de s’intégrer, non pas ceux venus des Etats-Unis ou de l’Espace de Schengen mais les « autres », musulmans pour la plupart, en brandissant l’effroi d’une confrontation radicale des civilisations. Enfin, ils alertent de la menace qui pèse sur l’identité française, comme le faisaient  Barrès, Maurras ou Déroulède[1].

Dès qu’il fut question d’Onfray, Laurent Joffrin eut du mal  à parler car les réactions de la salle ne furent pas républicaines : huées et sifflets tentèrent de l’empêcher de parler. C’était le public d’Onfray qui était là, et qui n’a pas supporté la moindre atteinte à l’image du Maître.

Démonstration fut faite de l’efficacité émancipatrice de son enseignement : pendant cette soirée, on venta sur tous les tons la vertu de l’école républicaine qui vise à instaurer des citoyens réfléchis, libres et responsables.

Ce soir-là, on était loin du compte !

Transformer la scène politique et intellectuelle.

A la tribune aussi : car dans plusieurs interventions, à commencer par celle de J.F. Kahn, les deux auteurs d’un texte publié dans le Monde (27-28 septembre) furent désignés comme l’exemple même de  cette intransigeance qui empêche tout débat.

Geoffroy de Lasganerie et Edouard Louis dans leur texte, pointent le manque d’engagement, le vide laissé par les  intellectuels de gauche  devant les multiples raisons qui nécessitent qu’ils sortent de leurs travaux savants et de leurs université et qu’ils s’engagent afin de transformer la scène politique et intellectuelle dominée par un discours et des injonctions réactionnaires, mais aussi par une situation politique, économique et sociale qui doit être changée tant elle est insupportable. 

Je renvoie à la lecture de leur texte. Et aussi à la dernière émission de Daniel Schneidermann, « Arrêt sur images »[2] ou Edouard Louis est invité.

Ce qui pourtant est clair, c’est que la curée dénonciatrice à laquelle les participants de la Mutualité se sont livrés, derrière ces deux auteurs en visent d’autres.  Ces penseurs qui dérangent tous ceux qui, autour de certains médias, dénoncent la « bien-pensance des élites », tous ceux qui, souverainistes et xénophobes, fascinés parfois à l’insu de leur plein gré par le discours lepéniste haïssent l’universalisme de leur pensée. Et, ce qui fait système, ils s’en prennent aux homosexuels, aux femmes, aux étrangers, aux réfugiés, aux immigrés qui pourraient défigurer « l’identité française ». Ils se dressent contre ces penseurs si admirés hors de France : Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, Michel Foucault  à qui on reproche ses mœurs et le sida, Louis Althusser toujours haï comme meurtrier de sa femme, Gilles Deleuze comme toxicomane, Roland Barthes et Jacques Derrida comme déconstructeurs de la philosophie et de la langue, tous décrits comme des monstres physiques et intellectuels. Et donc  responsables du prétendu « déclin » de la France, de la « décadence » de l’Ecole et « donc », de la République.

Ce n’est pas sans ironie qu’on peut se souvenir comment ces penseurs se sont trouvés en butte aux nouveaux philosophes, à leur envahissement médiatique, et à la façon dont ils usaient de catégories et de concepts grossiers, comme taillés à la hache. Dans un autre contexte et avec d’autres enjeux, une situation semblable se répète.  A la différence que nous sommes aujourd’hui devant la montée nauséabonde d’un « désir de fascisme »[3] et qu’ils nous appartient d’y faire face. 


[1] L’historien britannique, professeur à Oxford, Sudhir Harazeesingh, spécialiste de la France contemporaine, analysant la situation française, souligne « la tentation du repli » de ceux qui venant de la gauche, reprennent à la droite réactionnaire et antimoderne l’idée que rien ne va plus, que tout fout le camp, dans une fusion ou une confusion des idées passéistes, qu’ils soient républicains ou antirépublicains.  Il souligne en outre combien tous ces auteurs sont hexagonaux et inconnus hors de France.

Voir l’entretien donné au Monde du 27-28 sept. et son livre « Ce pays qui aime les idées. Histoire d’une passion française. » (Flammarion). 

[2] Emission du 16/10/2015 : http://www.arretsurimages.net/emissions/2015-10-16/Neoreacs-Avant-ils-avaient-honte-de-leurs-pulsions-id8132

[3] J’emprunte l’idée et l’expression à Elisabeth Roudinesco dans son entretien à L’Humanité  du 5 octobre 2015

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