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Billet de blog 3 février 2015

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Les médias (et Médiapart) organisent une journée de silence sur l'école

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Aujourd'hui 30% des profs de collèges et de lycées étaient en grève dans le pays (chiffres du SNES, syndicat majoritaire) et tout le monde choisit de l'ignorer.

Le ministère tout d'abord qui annonce 7,5% de grévistes en reprenant les méthodes de comptage initiées par la droite :on compte les grévistes à 8h du matin et pas ceux qui commencent plus tard. On calcule un pourcentage à partir du nombre total d'agents et pas en prenant en compte uniquement ceux qui travaillent à 8h. C'est très pratique ça permet de nier l'existence d'une réelle mobilisation.

L'essentiel des médias également s'abstiennent d'en parler ou reprennent en toute ignorance ( du moins c'est à espérer) les chiffres ministériels et continuent leur traque des incidents en tout genre que connait l'école depuis le 11 janvier. Plus l'enfant est jeune et plus le débat va s'animer dans les rédactions et au café d'en bas, plus c'est en banlieue et plus le frisson sera vendeur avec en creux la figure si effrayante de ce jeune de banlieue qui décidément incarne à merveille les classes dangereuses d'aujourd'hui.

Et pendant ce temps là, les politiques entonnent le refrain hypocrite de l'école républicaine si essentielle dans leur discours, cette école censée diffuser comme un baume apaisant dans la société les fameuses "valeurs" de la République.

Que l'école de la République soit essentielle dans les discours c'est un point positif. C'est déjà mieux que quand elle n'était que le pourvoyeur de salariés plus ou moins qualifiés, un outil couteux mais nécessaire au bon fonctionnement de l'économie.

Malheureusement, cette importance accordée si solennellement à l'école ne suffit pas à justifier des investissements équivalents à ceux de nos voisins. Depuis 2000, les enseignants ont ainsi perdu l'équivalent de 2 mois de salaire quand ils augmentaient régulièrement dans l'essentiel des pays de l'OCDE.

Malheureusement, ce discours hypocrite ne s'arrête pas à la question de la rémunération des enseignants. Il se prépare en ce moment une réforme du collège (niveau capital du point de vue de la citoyenneté car c'est le dernier à être fréquenté par tous les enfants) qui met en place l'exact contraire de ce que les discours post 11 janvier annonçaient. De quoi va-t-il s'agir?

Tout d'abord, cette nouvelle réforme va mettre en commun certaines disciplines (éducation musicale et arts plastiques, physique et SVT par exemple) pour diminuer le nombre d'heures de cours des élèves. C'est une manière radicale de répondre au problème de l'Education nationale qui ne parvient plus à recruter et manque d'enseignants. Chaque année un tiers des postes d'enseignants ouverts au concours ne sont pas pourvus. Il faut dire que 5 ans d'études et un déménagement quasiment automatique pour 1388€ par mois ça ne fait rêver personne.

La solution trouvée à ce problème compliqué est extrêmement simple. En diminuant le nombre d'heures de cours des élèves on réduit d'autant le besoin en profs. La droite en rêvait, ça va être fait. Pour les profs ça va vouloir dire des classes en plus et donc du travail en plus (autant de cours mais davantage de préparation, de copies, de rencontres avec les parents etc, etc). Rappelons que depuis 2000 si le pouvoir d'achat des profs a diminué de 14%, leur temps de travail a augmenté selon le ministére de 8%.

Ensuite, on va donner davantage "d'autonomie" aux établissements. On décidera à l'interne, de manière différente dans chaque collège, selon les profs dont on dispose et selon le public scolaire qui le fréquente, des matières qui seront enseignées dans le parcours scolaire de l'élève à l'intérieur de ces groupes disciplinaires définis plus haut. Si la prof de SVT est en congé maternité, comme de toute façon on n'a pas de remplaçant, on va dire que la priorité va être donnée à la physique. C'est très pratique. Si on est en banlieue et qu'il n'y a pas de prof de latin, ce n'est plus une injustice, c'est la priorité donnée à autre chose (au foot?). Cette autonomie s'annonce comme un terme marketing efficace pour masquer la réalité qu´il va recouvrir, celle de l'inégalité institutionnalisée entre les territoires. Aujourd'hui la carte des postes vacants correspond avec une exactitude effrayante à la carte sociale du pays. Plus une zone est pauvre, plus on y manque d'enseignants. Avec cette réforme, il est raisonnable de penser qu'on va ajouter à cette inégalité dans les moyens attribués, une inégalité dans les contenus d'enseignement.

On a donc des responsables politiques qui annoncent qu'on va consacrer davantage de temps à l'éducation morale et civique tout en se préparant à sabrer le temps d'enseignement offert aux élèves. C'est très révélateur d'une conception de l'école républicaine comme un lieu d'évangélisation où l'on transmettrait des valeurs. Cela revient à penser que le problème de l'école aujourd´hui est de ne pas suffisamment convaincre les élèves de la nécessité d'adhérer à ces valeurs, en somme que les fractures profondes qu'ont révélées les très nombreux incidents dont l'école a été le lieu depuis le 11 janvier pourraient être réduites par le retour du cours de moral d'autrefois remis au goût du jour.

Cette conception nie totalement la valeur émancipatrice du savoir. Posséder une culture scientifique solide ou avoir le temps d'être initié à Voltaire, en fait apprendre à penser le monde dans sa complexité serait moins utile qu'un discours autour de de valeurs auxquelles on demanderait aux adolescent d'adhérer.
Si cette idée est sincère elle révèle une incroyable méconnaissance de la réalité du divorce entre la partie de la population qui profite le moins de la richesse de notre société et le reste de cette société auquel les "décideurs", journalistes ou même les profs (malgré les 1388€ évoqués plus haut) appartiennent.

Cette solution est vouée à l'échec car le propre des discours est de s'effacer devant la réalité. Or la réalité de l'école en France aujourd'hui est d´être celle parmi les pays de l'OCDE qui permet le moins aux enfants d'ouvriers ou d'inactifs de réussir. Les élèves et leur famille sont parfaitement conscients du destin scolaire et professionnel qui leur est promis (être en échec scolaire ne veut pas dire être un belu!). Cet échec de l'école n'est pas une fatalité. Il est le produit d'un investissement moindre : en France 1,5% du budget de l'éducation nationale est consacré à l'éducation prioritaire contre près de 5% en moyenne pour des programmes comparables dans les pays de l'OCDE. Cet échec a donc des causes et la réforme qui s'annonce va malheureusement les amplifier. Plus on diminue le nombre d'heures de cours, plus ce qui s´apprend à l'extérieur de l'école a de l'importance. Pour les enfants qui n'héritent pas d'un capital culturel ou économique important ou valorisé par l'école l'écart avec les héritiers va s'accroitre, et pour ceux qui ne sont pas Charlie par héritage, c'est une catastrophe.

Le très faible retentissement de notre journée de grève d'aujourd'hui me fait craindre que cette catastrophe sera silencieuse tant les médias, auxquels on peut ajouter malheureusement Médiapart sur la question de l'école, se montrent incapables de susciter un débat à la hauteur des enjeux.

Pour finir, si j'ai un lecteur, je voudrais préciser que mon pseudo (M. boum) choisit il y a des mois, ne constitue aucunement une apologie du terrorisme ou un appel à une quelconque explosion. C'est juste le nom de mon chat.

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