Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

1824 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 août 2015

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

Le Masque et la Plume : vulgaire comme un maître-nageur ?

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Jamais un dimanche sans mon « Masque et la Plume ». C’est mon Angélus culturel à moi.  Fallait surtout pas déranger mon vieux quand il écoutait  «Son Masque ». Tout s’arrêtait chez nous. Parfois, mon frère et moi imitions à table les chroniqueurs de cette émission. Ma mère se marrait, mon père aussi, un peu moins ; on sentait que nos imitations ne lui plaisaient pas trop. Je trouvais qu’il n’avait pas le sens de l’humour. Aujourd’hui, aucun de mes gosses n’a intérêt à me déranger pendant « Mon Masque ».  Devenu mon vieux.

Ce 9 août, comme chaque dimanche, je me sers un whisky et allume la radio. Toujours une dizaine de minutes en avance pour ne pas rater la moindre répartie de mon émission culte. Un ping-pong verbal bourré d’humour qui me cultive en me faisant rire. Que demande de plus le peuple ? Pourtant hier, je m’étais tapé une journée vraiment très crevante. Jamais la fatigue m’empêchera d'écouter la bande du Masque. Silence dans la maison ! Place au Masque et à la Plume!

Vulgaire comme un maître nageur ! La journaliste balance cette comparaison à propos- si je me souviens bien - d’un des personnages des bouquins passés sur le gril estival. Aussitôt, le chef de la bande, subtil et drôle, rectifie le tir, conscient que la réplique auditoresque serait terrible la semaine d’après. Le Masque sûrement submergé par les courriers de protestation des auditeurs. Moi, ça m’a fait marrer. L’ironie mordante et l’humour noir, très noir, sont très importants pour tous ; surtout en cette période de retour des obscurantismes et des pisse-froid.  Quand je serai mort, riez pour moi. Cette citation de je ne sais plus qui me plaît bien. Bref, la vanne de la journaliste avait tout à fait sa place dans l'ambiance caustique de l'émission, en phase avec la marque de fabrique du Masque. Et tout à fait le droit de blasphémer les maîtres-nageurs. 

Jusqu’à ce que cette même journaliste, voix mal assurée, tente de se justifier. Pourquoi cette gêne? Pas tout à fait une vanne habituelle. Comme si une part de sa personnalité, bien filtrée auparavant, s’était soudain dévoilée et avait  donné une teinte différente à son humour. Une autre journaliste vient à sa rescousse. Encore quelques vannes sur les claquettes et la voix toujours trop forte des maîtres-nageurs. Mais ça sonne faux. Une course à la justification pathétique. On les sent toutes deux très mal à l’aise.

Les masques tombés, plus que l’enclume du mépris de classe ? Le regard de deux  parisiennes sur la plèbe en claquettes au bord des piscines  où, assis en hauteur, à scruter les vagues parfois carnassières de l’été. De vulgaires tas de muscles juste bons qu’à apprendre à nager ou sauver de la noyade. Arrête ta parano mec, c’est de l’humour. Sois pas premier degré. Faut rire de tout, même des maitres-nageurs. Mon whisky avalé d’un trait, j’essayais de me raisonner. En vain. J’ai craqué.

Première fois que je coupe le Masque. Et, cerise sur le gâteau, je me suis mis à chialer comme un gosse. Profondément déçu. Notamment par ces deux femmes dont, bien que pas toujours d’accord avec leur choix, j’apprécie les critiques littéraires argumentées. Souvent, elle profite de leur tribune pour dénoncer- à très juste titre - le sexisme ; mal invisible, profond, plus difficilement détectable et attaquable en justice que d’autres saloperies de notre société. Force est de constater qu’elles défendent les femmes avec talent, opiniâtreté, sans négliger une pointe d'humour. Des bonnes recrues au milieu d’un gang de mecs. Deux chroniqueuses littéraires intéressantes.

Pourquoi alors ce propos méprisant sur les maîtres-nageurs ? Certains y verront une simple blague. Pas moi. On peut rire de tout sans avoir besoin de se justifier. Pourtant, c’est ce qu’elles ont fait ; se noyant de plus en plus dans des explications alambiquées. Pourquoi ne pas dire tout simplement que, vu de leur milieu, un maître nageur est nécessairement vulgaire. Comme un autre journaliste et patron de presse, par ailleurs intéressant, qui, après avoir évoqué le troussage bon enfant de soubrettes  par un notable international, s’est excusé de sa saillie.  Chaque milieu a son humour, ainsi que ses impasses. Et aucune classe sociale n’a le monopole de la connerie.

Si un  journaliste ou un quidam avait sorti « Stupide comme une femme », comment auraient-elles réagi ? Sûr qu’elles auraient hurlé, sans doute à raison, contre le sexisme.  Désolé mais, en les entendant, je n’ai pas pu m’empêcher de penser : « Pétasses de p’tites bourges parisianistes !». Bon, je vais arrêter de m’énerver et jouer le donneur de leçons. Basculer dans le vulgaire… De plus, il y a des choses plus graves que quelques mots dans une émission culturelle.

Avant de terminer, juste une question à ces deux journalistes: un maître-nageur vaut-il moins qu’une femme ? Elles, si promptes à traquer l'humiliation sexiste, n'hésite pas à mépriser le p'tit personnel de piscines. Rien à voir avec le sujet ? Possible que ma question ne tienne pas la route mais c’est celle qui me vient à chaud. Très fortes intellectuellement, elles trouveront sans doute une sortie honorable. Leur vulgarité mieux camouflée que celle des maîtres-nageurs ?

 La radio à peine éteinte, l’ambiance a basculé à la maison. Un silence pesant. Ma femme, dans le bureau au fond du salon, a interrompu sa frappe et tourné ses yeux vers moi. Inquiète. Que se passe-t-il ? Son mec malade ou quoi ? Au-dessus de moi, j’ai entendu des pas rapide. D’un bond, je suis sorti pour aller me planquer dans la salle de bains. Eux aussi, sans doute stupéfait de cette coupure brutale du Masque, venaient aux nouvelles. Pas du tout envie que mes gosses me voient chialer. Regarder leur vieux noyé de larmes.

Parfois, je les engueule pour qu’ils viennent écouter l'émission. Les sortir un peu de leurs putains de téléphones et de jeux. Mais je ne les force pas. Contrairement à mon vieux qui débranchait ma chaîne déversant du punk-rock à fond les décibels. Je râlais contre ce « vieux ringard » m’obligeant à écouter des gens  parler de bouquins, de théâtre et de cinéma. Pas du tout mon truc. Mais très difficile de refuser à mon vieux. En plus, il ne me demandait pas grand-chose. Pas la mer à boire. Et ça lui faisait plaisir à mon vieux.

Avec le recul, je sais que ce taiseux me parlait beaucoup pendant cette heure-interminable pour moi à l’époque.  Ecoute fiston, je comprends pas tout ce que ces lascars racontent mais… mais c’est bien que ces trucs qu’ils disent rentrent dans ta tête. Il n'a jamais prononcé cette phrase mais, aujourd'hui, je sais qu'il le pensait. Me transmettant un héritage invisible. Son silence, les yeux rivés à la radio comme à une télé, me manque. J’ai chialé en pensant à mon vieux. Mais aussi à mes gosses.

Trois gosses de maître-nageur.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.