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Billet de blog 10 décembre 2013

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«Avant l’hiver» : limpide mais très troublant

Philippe Claudel prouve avec son troisième film qu’il est bien un cinéaste de l’humain. Après « Il y a longtemps que je t’aime », vibrant mélodrame de la renaissance d’une jeune femme après une longue période d’emprisonnement, il avait quitté sa Lorraine natale pour l’Alsace voisine et livré le réjouissant « Tous les soleils ».

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Philippe Claudel prouve avec son troisième film qu’il est bien un cinéaste de l’humain. Après « Il y a longtemps que je t’aime », vibrant mélodrame de la renaissance d’une jeune femme après une longue période d’emprisonnement, il avait quitté sa Lorraine natale pour l’Alsace voisine et livré le réjouissant « Tous les soleils ».

Là il se plaisait à mélanger les accents de l’Alsace strasbourgeoise à ceux de la folie italienne dans une comédie légère et jubilatoire non dépourvue de sujets plus graves tels que celui de s’ouvrir à nouveau à l’amour après la perte d’un être cher. Voici à présent le sombre et poignant « Avant l’Hiver » qui vient poser la question de la fulgurance de la vie ou des illusions, des faux semblants qui l’émaillent tragiquement.

On y suit un couple bourgeois, Paul (Daniel Auteuil) neurochirurgien de renom et Lucie (Kristin Scott Thomas) qui passe le plus clair de son temps à entretenir le vaste jardin de leur luxueuse propriété. En réalité un véritable cercueil de verre, pour le moins anxiogène avec pour seul voisinage, la forêt environnante.

Peu à peu, ce cadre idyllique et ce bonheur bourgeois apparent commencent à vaciller au moment où des bouquets de roses rouges sont livrés anonymement à leur domicile (référence au « Caché » de Michael Haneke, où l’envoi de multiples cassettes vidéos semait le trouble au sein du couple formé par le même Daniel Auteuil et Juliette Binoche). Moment aussi où Paul à l’automne  de sa vie rencontre Lou (Leila Bekhti), une jeune fille à l’aube de la sienne.

Scénario classique et centré sur le cliché du vieil homme tombant amoureux de la jeune fille ? Pas du tout !!! Car la nature de cette relation est bien plus complexe et n’entre jamais dans une dimension vraiment charnelle. Paul, bien que dans un premier temps très troublé par la fréquence de leurs rencontres dues au hasard, finit par « s’émouvoir » devant la jeunesse, la beauté, l’espoir, l’avenir, le champ des possibles et la liberté que représente cette jeune fille.

Fascination réciproque, attirance retenue, filmées avec beaucoup de sensibilité et de pudeur ?

Mensonges, non-dits mystérieux ou intrigue beaucoup plus tragique ?

En manipulant les « ficelles » d’un drame intimiste et social à la manière d’un Claude Sautet contemporain et en les mêlant habilement à celles d’un thriller Hitchcockien, Claudel explore les tourments du bonheur bourgeois présenté ici de façon très marginale car ce couple vit reclus, dans une forme de ghetto isolé et complètement à côté du monde et des tracas du commun des mortels.

En quelques scènes, il parvient à retracer le parcours d’un couple « largement confirmé » et d’une amitié de trente ans avec un collègue, Gérard (Richard Berry) sans révélation mais avec des suggestions grâce à des dialogues finement ciselés et une mise en scène très juste qui prend le temps d’accompagner les personnages enfermés dans un confort presque dérangeant.

La caméra se fait miroir transparent et permet de les accompagner à une période charnière de leur vie sans que Claudel ne révèle quoi que ce soit de leur passé. On devine leur mal être et les troubles qui ont pu jalonner leur parcours commun sans qu’aucune réponse ne soit apportée.

Ainsi, Claudel réussit à impliquer pleinement le spectateur dans son film en posant des questions pouvant faire écho en chacun sans pour autant apporter lui-même une réponse claire et toute faite :

«  Dominés par le travail et le poids des responsabilités, n’oublions nous pas de penser à nos envies, ne refoulons nous pas nos désirs et ne passons nous pas à côté de l’essentiel ? »

 « Que restera-t-il de nous, si ce n’est le vide, une fois que nous cesserons d’exercer ces mêmes responsabilités ? »

« Que vaut l’être humain dès lors qu’il s’extirpe du carcan social et professionnel? »

 « Peut-on refaire sa vie une fois passé un certain âge ? »

La réponse est dans l’épilogue, totalement inattendu.

La précision du cadre est servie par un magnifique panel de couleurs du chef opérateur Denis Lenoir qui rend presque palpable les tourments intérieurs des personnages à mesure que l’histoire avance et que nous glissons peu à peu d’un automne lumineux vers un hiver froid et brumeux. Mais attention tout n’est pas si simple. Suspense !

L’écrivain Philippe Claudel démontre qu’il est devenu un grand directeur d’acteur. D’un casting prestigieux, il parvient à tirer le meilleur : Daniel Auteuil est d’une justesse prodigieuse dans ce rôle d’homme mûr qui s’émerveille et se prend à rêver à nouveau devant la beauté, le mystère et la fraicheur de Lou portée magnifiquement par Leila Bekhti.

Il retrouve aussi la muse de son premier film et à première vue, on ne peut que regretter les fâcheries qui ont, dit-on, émaillé leur relation sur le tournage car après sa poignante interprétation au cours de leur première collaboration, Kristin Scott Thomas aura rarement été aussi belle et juste que dans ce rôle de mère de famille modèle dont la flamme intérieure semble s’être éteinte d’elle-même beaucoup trop tôt, afin de mieux rester dans l’ombre de son mari. On la sent taraudée par un secret notamment dans son rapport avec Gérard, le meilleur ami, incarné avec beaucoup de sobriété et de finesse par l’impeccable Richard Berry.

La musique composée par André Dziezuk accompagne tout le film d’une douce et légère mélancolie cédant la place par moment à des opéras tragiques en utilisant notamment plusieurs extraits de « La Bohème » de Puccini.

Une fois encore, Claudel mène et conclut son œuvre cinématographique en musique. Là où son premier film s’achevait sur la fin de la renaissance de Juliette sous la chanson « Quand reviendras tu ? » reprise par Jean Louis Aubert, là où son second, très marqué par l’allégresse de « La Tarantelle », s’achevait sur la fin du deuil d’Alessandro avec la chanson italienne « Silence d’Amour », ici c’est sur « Comme un P’tit Coquelicot » de Mouloudji reprise par la voix troublante de Leila Bekhti que le film s’achève dans une scène intense, avec un sentiment confus et contradictoire, entre tristesse et mélancolie mais que l’on savoure pourtant, à l’instar de ses précédents films, avec bonheur tant l’histoire et les personnages qui viennent de nous être présenté nous auront touché par tant d’authenticité et d’humanité.

 Nicolas Colle.

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