C'est un livre anormal, sans couture ni collage, dépliable, publié ce jour à Rouen par derrière la salle de bain, c’est dire que ce n’est pas pour les petites filles ni pour les petits chanteurs de la Maîtrise Saint Evode ou ceux de la Croix de bois, le bois de la croix une pauvreté, le bois une pauvreté du Christ charpentier, néanmoins l’Eglise préfère la pierre pour être solidement bâtie. Dans ce livre si bien imprimé à l’encre qu’il vaut mieux le lire à l’abri de l’eau, ce que j’appris par inadvertance, ayant laissé Brea s’étendre sur une table un peu mouillée de je ne sais quelle pluie, j’apprends que le bois n’est pas le matériau le mieux adapté à la pérénnité du Culte. L’église en bois brûla et les fidèles avec. Mais ce n’est pas le bois qui produisit la mort, le bois n’étant pas capable de créer l’incendie. Purifier la terre est la mission d’un pauvre diable qui sera condamné à mort par la justice de la Louisiane
Le feu n’est pas une invention du bois est un poème d’Antoine Brea.
Antoine Brea ne sait rien écrire d’autre que de la poésie. Même ses romans ne sont pas des romans, ce sont des écritures épiques tournées vers l’intérieur, qui parlent à la place de personne, même pas des misérables, individus moraux cachés sous la crasse de leurs ignorances. Pas de rédemption chez ces moins que rien, il faudrait encore que la morale soit celle d’un plus fort qui la connaisse et la dispense. Pas de personnages en entier, typés, rangés, fous, criminels, héros, aventuriers, mais des incertains qu’il fait bouger en les traînant par le crâne et la sueur du jour.
Ainsi vont les gens qui n’ont pour organisation qu’une suite de causes et d’effets, actions et réactions plus ou moins tolérées sur le plan social bien que souvent condamnées par la loi, toutes normalement déviantes, conséquences en ligne de fuite de ces toujours évocables accidents de parcours dont on ne perçoit plus l’exceptionnalité car le normal, humainement, est tout à fait exclu malgré tous les soins apportés. La psychologie est une science de plus en plus inexacte et le médecin psychiâtre une figure joliment fonctionnelle, dont les failles créent des ouvertures soit de liberté, soit de veines, parfois les deux.
Poésie récitative de l’enfer pavé d’intentions innocentes, on ne voit pas où serait le mal sinon dans le dérèglement d’une justice qui s’exerce à l’envers, surnage en pleine confusion quand la pureté, cette vertu dévoyée, est proprement l’idéal du criminel.
Le feu est toute justice
ce que confirment les expertises médico-légales
Et comment faire avec soi-même, s’il n’y a personne à défendre que les victimes. Rien à faire, mais voir encore et sentir la brûlure. Dans le dossier judiciaire manque le portrait de l’homme condamné, numéro 1438, 11 juin 1945. Une belle gueule humaine, les yeux comme du feu
pour le feu pourtant les peines encourues
si les victimes souffrent de mutilations ou d’infirmités, la peine sera perpétuité
en cas de dommages matériels, le coupable risque trente ans
en cas d’homicide, l’exécution
si les victimes souffrent ?
mais si le coupable souffre ?
les pyromanes, dans leurs discours, comme une béance lucide où siffle la colère