Tu vois je voudrais ne pas interpréter, je voudrais que tout soit directement là, maintenant je voudrais que les choses soient là, comme ça, sans mots, tu es là et tu es directement frappé par la réalité alors c’est simple, une vie simple, directement la réalité alors pas d’embrouille sur l’interprétation, la vie simple et pauvre, c’est-à-dire pauvre, je ne parle pas de la misère, d’accord, je ne parle pas de cette vie pauvre des gens pauvres, je ne parle pas de l’enfer de la misère qui n’a pas de mots parce qu’elle manque de tout et même de mots, je ne parle pas de cette insupportable misère que les gens de mon espèce produisent au jour le jour par leurs discours et leur duplicité et leur complicité avec n’importe quel petit pouvoir, les gens de mon espèce, responsables et bien planqués grâce à l’incroyable efficacité de la dispartion des conditions de travail et ce mensonge sur la production, je veux dire la production en tant que processus de fabrication mondialisée, capitalisme qu’on appelle encore mondialisation, comme s'il y avait eu un monde à faire, comme si le monde n’était pas déjà là avant qu’on en fasse le tour, comme si le monde était seulement une affaire de réseaux sociaux et d’avions de ligne mais entendons-nous bien, je ne dis pas que les pauvres ont de la chance, non mais je pense qu’il y a trop de tout, je veux dire trop de culture, je veux dire trop de fake, je veux dire trop d’occasions de ne plus rien maîtriser alors de croire le premier venu, quand je dis pauvre je veux dire pauvre en mots, sans mots, ou presque, pas besoin de tous ces mots, un vie où il ne se passerait presque rien, où il n’y aurait rien à vendre, une vie à la limite, la vie sauvage, tu comprends, au fil des saisons et sans aucune médiation, c’est-à-dire une vie dans laquelle il y aurait peu de choses à dire, du langage de paysan tu vois, de vieux paysan sans mots, de l’inculte, je voudrais une vie sous forme de silence inculte, du silence vide, qui dit rien, comme un chien, le chien il écoute des feuilles qui bougent dans le petit vent, tu vois je ne voudrais pas que chaque mot que je dis, que tu dis, soit encombré par la rhétorique, par ces justifications et tout ce délire de formulations toutes de plus en plus éloignées du réel. Voilà, je voudrais qu’il n’y ait rien à dire. Comme un peintre. J’aimerais être comme un peintre mais la peinture c’est mort, ça n’existe pas la peinture, ni la photo, la photo n’existe pas, aucun art, l’art c’est mort, mais la réalité comme ça, de l’art à bout portant alors finalement c’est sûrement une bonne chose, cette mort de l’art parce que maintenant il s’agit de vivre, je veux dire vivre directement la vie simple, sans mots, une vie vraiment comme un chien, une vie de chien sans mots, tu vois, comme dans le film de Godard, je ne l'ai pas vu ce film de Godard, c’est encore trop de langage, il n’y a pas besoin de Godard, il y a des chiens sans Godard, ils ne parlent pas, ça dit rien, un peu de silence, c’est ça, je voudrais du silence comme un chien.
- Tu parles. C’est seulement parce que tu veux un chien.
- Je ne veux pas un chien. Je voudrais être un chien.
- Pour certaines choses, seulement.
- Oui pour certaines choses.
Enfin si, un chien j’aimerais bien.