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Billet de blog 31 mai 2012

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Du caractère fétiche dans la littérature

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Véro rata son permis et s'acheta un Bilka puisque c'était ce qui s’adaptait le mieux à son état d’esprit et elle se demanda ce que son éditeur dirait de son idée de voir avec l’agence de com du fabricant de biclous pour un à-valoir à hauteur de l’imaginaire dont elle était capable à partir de l’engin trois vitesses carter de chaîne intégral deux garde-boue sur roues de vingt-six pouces ni plus ni moins, béquille à ressorts, panier amovible et topcase en option . Si j’eusse été un chevalier et pas une feume, pensa-t-elle avec sa cervelle d’oiseau pépillant d’idées folles comme l’eau gazeuse dont elle taira le nom qui n’est pas dans l’contrat,  j’eusse pu espérer me faire un tas de flouze avec la description bucolique des doubles avantages du guidon à gadgies et du porte gonzesses, une avant, une arrière et ma nouvelle nouvelle à placements de produits aurait frappé très fort question pulsion d’achat, ça je vous le garantis sur cinq ans renouvelable qu’elle aurait fait vendre une quantité de bikes à des Lancelots amoureux de grandes bringues à chapeau d’Amiltone, à robes d’Achellem et par dessus l’marché le pot de Fromdélice, mais comme je suis, se dit-elle, candide romancière, faudrait que je dispose d’images plus massivement sexitantes, d’idées inspirées qui justifiassent l’achat massif d’un somme toute banal deux-roues assez poussif dans les montées puisques à énergie cent pour cent corporelle. 

Ainsi pensait-elle, faisant des embardées du fait de son Yopla qu’elle avait à la main pour s’hydrater tout en consolidant sa croissance de jeunesse au calcium de framboise.

Véro posa sa Ripeto à terre en attendant que le feu reverdît, elle sortit de son Vuton une bille de Déodo sans sels de Guernica qu’elle passa, c’est futile mais agréable, entre les toniques occupants de son Wonderplaytex. Alors où que j’en suis, soupira-t-elle en s’épongeant les tempes à la façon Gustav von Aschenbach dans la chaleur moite de la mort à Venise alors que son Tadzio faisait plus ou moins le grec sur la plage que c’en était trop beau, et Vero en rêva. Mais la tragédie n’a jamais fait avancer les ventes de Bilka, elle se refit vite fait une face de bonne santé avec une bonne giclée de son atomiseur d’eau de Contextefille et donna l’impulsion qui faisait démarrer son moteur à stories. 

Observer, tout est là, voir, écouter, sentir et restituer les sentiments des sensations présentes en présentant les représentations des images littéraires de façon simple et forte. Et que l’acheteur du Bilka soit certain d’acheter plus qu’un Bilka tout con, un vrai Bilka, le Bilka qui l’emmènera sur les pentes du bonheur, les chemins de la joie, les pistes de l’aventure et forcément que ça ne va pas finir en crevaison ni en fracture du crâne. 

Elle fit gaffe au carrefour de pas réaliser ce terrible destin qui eût mis trop tôt fin à une histoire dont elle avait pas encore tout à fait le début. C’est comment qu’on commence ? Révisons la plaquette. Alors, je relis. 

Là elle s’est arrêtée, a fixé son bicycle au faux lampadaire antique du marché d’Aligre dont Big Brother se sert pour faire le panoptique, et déplié sur sa jupe à Claro son plan de réussite. L’innovation comme monde de la créativité en transfert de compétence vers les techniques de vente par le storytelling, l’éditing et le romancing, faire le brainstorming dans ma carte mentale, reverse thinking, problem solving, packaging et visuels produits, tout est bon dans l’cochon, triz,  open innovation, co-creation on ou off line, c’est du beau du bon du bonnet et les moustaches du chocolat Lanvin. Elle repart. C’est décidé, s’ouvre devant soi la littérature publicitaire sans détournement de fond et moins encore de forme, limpide et détendue et pleine de retombées naïves et poétiques.

Véro se sent heureuse à cause du vent d’été dans ses cheveux sauvages, elle inspire et respire, sent et ressent déjà, ah, les effets commercialement porteurs de ce bonheur vécu on the road en Bilka qui procure une liberté pour la joie débridée de l’optimisme et de la réjouissance, qui est simplement, ah enfin, Véro comprend de quoi-t-il est question, jouissance réifiée. A moins que ce soit jouissive réification ? Véro ne saurait en décider. Quoiqu’il en soit c’est cool, et ceux qui critiquent ils comprennent rien, c’est quoi cette histoire que la littérature devrait forcément être en dehors du business et le mauvais esprit du capitalisme ? D’ailleurs Véro n’est pas la première à faire du produit un placement littéraire, c'est pas que des romancières, les écrivains aussi, y a qu’à voir Queneau et la promo du Barbouze de chez Fior, et Vian  avec sa tourniquette qui fait la vinaigrette. Elle integrera la marque du vélo au récit librement consenti et en fera au moins aussi subtilement que le grand Victor Hugo avec ce fromage à la crème du XIX e siècle, l’homme qui rit, qu’on étale sur les tartines des mômes en culotte courte, une œuvre conforme au style de l’auteur. 

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