Cette dernière péripétie de la républiqe de l'ordre montre comment celle-ci entretient une double confusion. La république n'est pas synonyme de démocratie comme l'ordre n'est pas synonyme de justice.
Jean-Michel Beau a subi doulouresuement l'hostilité de l'Etat, qu'il a partagée avec Edwy Plenel, dans l'affaire des écoutes de l'Elysée. La gauche gouvernait alors le paradigme des droits de l'homme.
Cette histoire digne du capitaine Dreyfuss montre que l'antisméitisme n'explique pas tout. Loin de là. L'antisméitisme n'est qu'une des expressions d'une mentalité se traduisant diversement mais dont le trait commun est l'arbitraire, le mépris de l'individu et, de façon ultime, l'usage de la violence institutionnelle.
Dominique Loiseau le confirme. Sacrifié par une collusion d'intérêts, ce policier, par la volonté du pouvoir, a été déssocialisé. Il grossit le contingent des cas sociaux dans lequel on le maintient toujours aujourd'hui (voir le reportage de France 2 : 1, 2, 3). Le troisème volet permet de mesurer l'acharnement et l'hostilité de l'adminsitration, qui donne raison au truand. Un exemple de la "culture de résultat" dans l'administration.
La jurisprudence administrative foisonne d'affaires de ce genre sans que cela n'émeuve aucun parti ni aucun syndicat.
Internet aussi en foisonne.
On y trouve l'histoire d'un inspecteur Patrick Robert sacrifié par Pasqua.
On y trouve celle d'un syndicaliste policier qui s'est réfugié dans l'enseignement après être passé entre les fourches caudines de l'administration pour avoir dénoncé la politique du chiffre et l'instrumentalisation de la délinquance (son témoignage).
Etc.
L'administration n'aime pas la vérité.
De nombreuses notes sur les relations entre la police et la justice peuvant être surprenantes. Les manigances policières dans l'affaire "Schuller Maréchal" (*, **) ont valu la place du directeur de la police pour une interpellation qui s'est avérée être une opération de déstabilisation d'un juge.
L'affaire du pasteur Doucé et de l'inspecteur Jean-Marc Dufourg chargé de mettre en cause le Garde des Sceaux de l'époque et un président de chaine de télé qui ne plaisaient pas au pouvoir.
La police et la gendarmerie se méfient de ses enquêteurs comme en ont témoigné Antoine Gaudino, Marc Louboutin (*), les gendarmes Jodet et Calliet écartés des enquêtes mettant en cause la hiérarchie et sanctionnés, le gendarme Jambert . On peut ajouter Philippe Pichon, poursuivi pour avoir démontré l'exactitude des réserves de la CNIL sur les fichiers de police.
Eric de Montgolfier stigmatise le "pharisianisme judiciaire" dans son livre « Le droit de déplaire ». Dominique Perben l'a consacré politiquement en témoigant de la régularité de la procédure d'Outreau. Des parcours de magistrats témoignent de la difficulté à faire triompher la justice où réssister à l'inertie : Eva Joly, Thierry Jean Pierre, Laurent Lèguevaque, Renaud van Ruynbecke, Bernard Borrel (*).
La prolifération des policers dans les scandales politiques et privés est également inquiétante :
EDF enquête sur Greenpeace avec des policiers après avoir débauché un responsable des RH de la police.
Un policier de la DST embauché par la DCN pour enquêter sur une affaire d'Etat.
Les poursuites engagées contre Vincent Geisser et Jean-Hugues Matelly attestent que l'administration est imperméable à la liberté d'expression.
Le général Aussarès a été condamné en France pour son témoignage sur la guerre d'Algérie, non pour les ordres qu'il a reçus et les crimes qu'il a acceptés de commettre. L'administration avait sanctionné le général de la Bollardière pour avoir dénoncé l'usage de la torture en son temps. Les deux généraux, anciens résistants, se retouvent dans une même disgrâce pour la même raison, avoir dit la vérité. Le politique est plus averse à la vérité qu'aux saloperies. La Cour européenne de Strasbourg a condamné la France pour ses poursuites abusives contre Aussarès (Orban et autres/and Others c./v. France, no/no. 20985/05 (Sect. 5) (fr)).
Ce n'est donc pas l'usage de la torture qui gène mais le fait de le dire, comme l'a encore démontré la polémique à propos du livre Place Beauvau. L'article "L'honneur de la police" dans "Le roman vrai dela III° et de la IV° République" permet d'apprécier le phénomène dans la durée.
Comment s'étonner du manque d'enthousiasme des fonctionnaires, au risque de se faire traiter de con par les autres et se faire jeter de son boulot, en plus, s'ils témoignaient un peu rigueur sur les principes ? Cela n'est pas propre à la police ou la gendarmerie. L'observatoire des mobilités forcées à France Télécom tente de contenir ces mêmes mépris et indifférence qui conduisent au suicide d'agents livrés à l'arbitraire.
Que reprochait-on finalement à Papon ? Par rapport à ce qui précède peut donner comme idée du fonctionnaire idéal. Maurice Rajsfus s'en interroge depuis des années (voir aussi le blog "Que fait la police").
Que fait l'Etat ?
Il prive la commission déontolgique des métiers de la sécurité de moyens financiers pour fonctionner. Il va même la supprimer.
http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/edition/police-co/article/210508/la-deontologie-de-la-securite-victime-collaterale-de-la-revisi
Ordre et justice sont antinomiques quand la seconde n'inspire en rien le premier. L'ordre règne par le vide.
Jean-Hugues Matelly devrait fonder une association pour réunir les fonctionnaires dans sa situation et réfléchir sur un droit de retrait pour tous les corps de la fonction publique.
Le Conseil d'Etat considère que la garantie des droits du fonctionanire est une question de démocratie : "La France s’est préoccupée très tôt de se doter d’une fonction publique moderne, c’est-à-dire bénéficiant d’un “état”(1) opposable au pouvoir politique, pour la faire échapper au favoritisme et à l’arbitraire".
Sebastian Haffner, magistrat allemand à la Cour de Berlin, avait posé les termes du prblème auquel sont confrontés les fonctionnaires :
"Je vais conter l'histoire d'un duel.
C'est un duel entre deux adversaires inégaux : un Etat extrêmement puissant, fort, impitoyable - et un petit individu anonyme et inconnu.
Ils ne s'affrontent pas sur ce terrain qu'on considère communément comme le terrain politique ; l'individu n'est en aucune façon un politicien, encore moins un conjuré, un "ennemi de l'Etat". Il reste tout le temps surla défensive. Il ne veut qu'une chose : préserver ce qu'il considère, à tort ou à raison, comme sa propre personnalité, sa vie privée, son honneur. Tout cela, l'Etat dans lequel il vit et auquel il a affaire, l'attaque sans arrêt avec des moyens certes rudimentaires, mais parfaitement brutaux.
En usant des pires menaces, cet Etat exige de l'individu qu'il renonce à ses mais amis, abandonne ses amies, abjure ses convictions, adopte des opinions opposées et une façon de saluer dont il n'a pas l'habitude, cesse de boire et de manger ce qu'il aime, emploie ses loisirs à des activités qu'il exècre, risque sa vie pour des aventures qui le rebutent, renie son passé et sa personnalité, et tout cela sans cesser de manifester un enthousiasme reconnaissant.
Mais, tout cela, l'individu le refuse. Il est mal préparé à l'agression dont il est victime : il n'a pas l"toffe d'un héros, encore moins celle d'un martyr. C'est un individu moyen, avec de nombreux défauts, et il est de surcroît le produit d'une époque dangereuse. Mais, ce qu'on exige de lui, il le refuse. Et c'est ainsi qu'il choisit le duel - sans empressement, plutôt en haussant les épaules, mais paisiblement résolu à ne pas céder. Il va de soi qu'il est loin d'être aussi fort que son adversaire, mais en revanche, il est plus souple. On le verra feinter, rompre, se fendre sans crire gare, temporiser, parer de justesse les coups violents qu'on lui porte. On conviendra que pour un individu moyen sans vocation particulière pour l'héroïsme ou le martyre, il s'en tire à son honneur. Et pourtant, on le verra pour finir, abandonner la lutte - ou si l'on veut, la transposer sur un plan différent.
L'Etat c'est le reich Allemand ; l'individu c'est moi. Notre joute, comme tout match, peut être intéressante à regarder - et j'espère bien qu'elle le sera ! Mais je ne la relate pas seulement pour distraire. Mon récit a un autre but, qui me tient encore plus à coeur.
Mes démêlées avec le troisième reich ne représentent pas un cas isolé. Ces duels dans lesquels un individu cherche à défendre son individualité et son honneur individuel contre les agressions d'un état tout puissant, voilà six ans qu'on livre en Allemagne, par milliers, par centaines de milliers, chacun dans un isolement absolu, tous à huis clos. ... "
Certains trouveront dans ce texte un écho troublant à leur situation. Cette idée seule est déjà inadmissible.
(1) Au sens de ” situation juridiquement protégée “, comme le souligne le rapport de M. Jules Jeanneney, député, au nom de la Commission de l’administration générale, départementale et communale, des cultes et de la décentralisation, chargée d’examiner le projet de loi sur les associations de fonctionnaires, (Journal Officiel, Chambre des Députés, 2ème séance ordinaire du 11 juillet 1907), ” La situation des fonctionnaires… n’a de valeur que si elle n’est point précaire, que si elle est à l’abri des fantaisies, des injustices, de l’arbitraire toujours possible du pouvoir, que si elle est gouvernée par des règles fixes dont le respect soit assuré, que si, pour tout dire en un mot, le fonctionnaire peut opposer au pouvoir son droit et si la fonction publique est, suivant le mot de Ihering, “juridiquement protégée “.