Voici trois poèmes que nous adresse d'Haïti James Noël, extraits de son livre Le Sang visible du vitrier. Pour présenter ce «poète-vitrier», mieux vaut en appeler à ses propres mots. Né à Hinche (Haïti) en 1978, James Noël est considéré aujourd'hui comme une voix majeure de la littérature haïtienne.
Il a publié plusieurs livres de poèmes, notamment Poèmes à double tranchant (2005) et Le Sang visible du vitrier (2e édition 2009), coordonné deux anthologies de la poésie haïtienne, et figure dans Poésies de langue française, anthologie publiée aux éditions Seghers en 2008.
Entre un hymne engagé à l'amour et une colère orageuse, se dégage de sa poésie, comme il se plaît à l'appeler, « la métaphore assassine ». « Mes flashs poétiques, dit-il, loin de toute hystérie, sont l'expression d'une crise de nerfs contrôlée. Exorcisme intime, façon Hugo d'appeler Léopoldine en table tournante. J'écris pour avoir de mes nouvelles, me convoquer en un tour de main... »
Notre siamoise différence
beaux mes bras
à être mutilés
suis-je un vitrier
qui fait pacte avec les pierres
pour célébrer leur impact sur les vitres
ouvre mon image pour t'atteindre
de ressemblance et de fracture
tu chanteras notre siamoise différence
je coupe les vitres
quand ça casse
un sang coule net dedans
il m'arrive même en écrivant
de croire que c'est la vérité qui blesse
pourtant de là ma visibilité renforcée
cœur brisé du miroir
miroir brisé du coup
je coupe les vitres
en m'ouvrant les veines
Non-lieu
nous ne sommes pas de ce monde
ne sommes pas de ce pays
sommes pas de ce village
pas de cette rue
nous-sommes-des-morts
lourds mots-valises
que préfèrent des voyageurs
aux mots de passe
des mots-valises
sans dimanche des cravates
sans trait de famille
ni trait d'union
nous venons d'un trou d'air
le cœur mal loti par le vent
nous nous aimons derrière nos larmes
sans faire l'amour
faute d'espace
par cœur nous apprenons enfin le cœur
entre les lignes que fait la pluie
nous nous attelons sous le manteau
à ériger des châteaux d'eau
sur nos paupières
il fait froid dans le poème
le poète
– œil témoin du cyclone –
Tremble
à l'idée d'élire Jeanne pour sa veuve
sur la terre naïve
la mort est diluvienne
Gonaïves
Gonaïves vil bordel
fermé à double tour
dans la tourmente
sur la terre naïve
elle est là l'orpheline
avec la fleur de l'âge sur le nombril
et aussi des fossettes pour rester belle
en plein sanglot
la faune dans les fossettes pour creuser
telle gifle permise
ci-gît
la première fosse commune
ici la mort est diluvienne
nous ne sommes pas de cette rue
ne sommes pas de ce village
sommes pas de ce pays
pas de ce monde
Pour une explosion planétaire de l'amour
je tends des grappes de lumière
pour fructifier la nuit
et le jour tiré à peine
un goût de raisin mûr s'éveille
sous ma langue
en hommage aux vignobles
qui savent trinquer les cœurs
à la santé du verre brisé
de l'année qui trépasse
dans les bras d'une autre qui s'en vient
entre filles et garçons de même cours
de même monde
je rends les armes
à vos pieds de soldat sur la terre
soldat du sol à la solde du rêve
soldat du sol sans képi
ni mission de décapiter
la tête de l'eau au chevet de la fleur de l'âge
entre filles et garçons
de même cours
de même monde
je rends les armes
et vous recommande
une seule bombe sous le manteau
le mot d'amour
le mot d'amour
pour une redistribution de l'amour planétaire