Jacques Lacomblez est un réaliste. C'est ce qu'il dit. Jean Wahl, un des maîtres de Gilles Deleuze, en aurait sûrement convenu, en faisant se rejoindre, en philosophe averti de l'art, ce réalisme avec un idéalisme extrême. Car ce réalisme-là des philosophes n'a rien à voir avec le sens usuel donné à ce mot, pour lesquels, selon Wahl, «les espèces, les idées générales existent dans les choses». Et il n'est rien de moins abstrait, pour le peintre, que cette alchimie créatrice qui le meut.
Voir, de toute sa perception, une toile de Jacques Lacomblez est une expérience inoubliable. Je fis cette découverte à Lasne, dans la plaine de Waterloo. Le peintre était à pied d'œuvre, le regard rivé sur l'une de ses toiles exposées, fustigeant la critique contemporaine qui ne s'employait qu'à cerner le «comment» d'une œuvre, et non le «quoi», qu'elle scelle dans sa lumière de nuit.
Le peintre, dit cet alchimiste, cherche l'évaporation de la matière, dont il ne doit rester que la substance, la transparence.
Nul doute que Jacques Lacomblez est de ces «grands transparents» qu'annonçait André Breton dans ses prolégomènes à un Troisième Manifeste du surréalisme. Où on le retrouve en compagnie du poète Stanislas Rodanski pour qui le «vrai sujet», «ce n'est pas le fait de la rencontre humaine avec l'humain, mais la rencontre humaine avec les grands transparents», qui en sont d'autres formes, «réfléchies», selon le mot de cet autre grand complice, Claude Tarnaud. Car le vrai défi pour ces créateurs que requérait l'aventure surréaliste, dans l'après-guerre existentialiste, c'était d'échapper au sujet conscient, «enlisé», sartrien. Cet existentialisme sartrien qui venait de gagner sa guerre publique d'influence sur les idées contre le surréalisme d'André Breton.
Mais cette contre-histoire là reste largement à écrire.
Et bien sûr, l'alchimiste est poète :
Enfin le temps nous manque : nous ne lui sommes
qu'une cible d'impénétrable transparence.
Nous avons quitté les domaines d'urgence
où la passion se mutile de son image
dans l'exigence de la rafale.
La vitesse nous laissait encore réciproques.
Et raréfiés comme l'air qui nous avait enivrés
à croire que nous vivrions d'étreinte
sans plus nous voir nous aimer...
(Pour une Phrase voilée, Atelier Ledoux Editions, Bruxelles, 1996).
Acteur important du mouvement Phases issu de la revue éponyme d'Edouard Jaguer, Jacques Lacomblez a participé aux plus importantes expositions internationales du surréalisme organisées par André Breton.
Il a été fêté avec Camille Bryen, Pierre Alechinsky notamment, l'an passé, lors d'une rétrospective au Musée de Saint-Brieuc, à l'initiative de Jean-Claude Charbonel.
La prochaine fois, je vous préviens. Amicamoureusement (parole de «grands transparents», Ghérasim Luca et Claude Tarnaud).
NB. La toile reproduite en ouverture de ce billet et ci-dessus s'intitule Jardins improbables; la seconde, Point du jour, à A.B. Ce sont des peintures à l'huile assez récentes. On peut aussi aisément se procurer de Jacques Lacomblez, Le Peu Quotidien, éd. Syllepse, 69, rue des Rigoles, 75020 Paris, 7,75€ ; et Pages de mégarde, éd. Le Grand Tamanoir, 17, rue Jeanne-d'Arc, 58000 Nevers, 10€.
Je signale également que la galerie Inknight (Nuitdencre 64 – 64, rue Jean-Pierre-Timbaud, dans le XIe, à Paris) présente jusqu'au 10 février 2009 des peintures, sculptures et manuscrits de Claude Tarnaud.