Double, tout comme ce qui aimante, Proses électriques ouvre son duo musical pour une navigation à l'estime, le dimanche 26 juin, à l'été, à Paris. En avant-scène du spectacle, voici un montage sons et images réalisé par sa vive guitare, Fabien Montès. Et quelques essais de dialogue avec son interprète-parolière, Emmanuelle Favier.
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Et si chanter, au timbre près, c'était être en délicatesse avec le monde ? Posons notre voix : en délicatesse parce qu'on joue de tout son corps pour passer outre, par interstice, terre et ombre, parce qu'on joue des coudes pour se presser. C'est que l'invitation est intimée, cet inanimé qui nous saisit par les avant-bras ; les grelots glacés de l'orage ne laissent pas de répit ; la tempête se soulève à la taille. Et il faut baisser la tête, assez près, pour entendre ce qu'on n'entend pas dire de soi.
Écouter Emmanuelle Favier, dans Proses électriques, c'est s'accorder jusqu'aux dehors avec l'orage selon le poète andalou Vicente Aleixandre : « Ne me foudroie pas, laisse-toi fléchir... » Ce qu'on n'entend pas dire de soi se récrie donc : le chant naît d'une terre brûlée, « la destruction ou l'amour ».
Où l'air se fend, les cordes se tendent à l'infini, l'arc ne décoche qu'une flèche à l'unisson des Proses électriques. Celle de Fabien Montès vibre au son de la voix de son grand aïeul, le poète Miguel Hernández, qui fut lui-même interprété par Enrique Morente, Paco Ibáñez, Vicente Pradal. Pour que vive guitare...
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— Vous égrenez en tout début de concert le contenu d'une sorte de boîte à musique. Pouvez-vous nous confier ses secrets ?
— Ne devrions-nous pas les conserver, ces secrets ? Mais si vous insistez, nous vous les chuchoterons : il s'agit non pas d'une boîte à musique mais d'un vieux poste de radio déniché sur un terrain vague, quelque jour d'orage justement, et où nous avons glissé des morceaux de nous-mêmes : on y croise notamment Paco Ibáñez, Pink Floyd ou Josquin Desprez...
— Vers qui vous tourneriez-vous en guise de préférences musicales ?
— La réponse précédente témoigne un peu de notre éclectisme... Ajoutons-y Neil Young, Marc Ribot ou Polly Jean Harvey.
— Emmanuelle, vous écrivez, poèmes, nouvelles. Que représentent pour vous les textes de ces chansons ?
— Le travail avec Fabien a donné souffle à des textes parfois anciens, les a ressuscités ; il en a suscité de nouveaux, aussi. Dans les deux cas, je ne sais plus distinguer la musique du texte. En cela, bien que ces textes soient davantage dits que chantés, ils entretiennent le même rapport fusionnel avec la musique que celui qui existe dans la chanson, ou peut-être encore davantage dans le rock, comme la génération spontanée d'une pousse d'herbe vivace dans l'anfractuosité d'un mur.
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Proses électriques : www.myspace.com/proseselectriques
En concert le 26 juin 2011, à 19 h 30, aux Combustibles, 14, rue Abel, 75012 Paris. Avec la participation de Julien Aumeunier, Stéphane Debureau, Jérôme Gurdyk dit Hurdyk, Nicolas Koskas et Jean-Baptiste Naturel.
Première partie : SF (www.fred-schneider.fr)
Inédit : L'Enfant-Monstre. En troisième partie de soirée, Emmanuelle Favier et Fabien Montès seront rejoints par deux acolytes (Fred Schneider et Stéphane Debureau) pour un conte cruel mâtiné de musique improvisée.
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Le titre de ce billet emprunte aux paroles inaugurales du voyage des Proses électriques, à leur invite : « La poésie doit se faire surprendre dans les avant-bras de l'orage. »
La Destruction ou l'Amour est un recueil de poèmes de Vicente Aleixandre. C'était le poème préféré de ce poète (1898-1984) qui a appartenu à la « Génération de 27 » avec ses amis Federico García Lorca, Luis Cernuda... Prix Nobel de littérature en 1977.
De Miguel Hernández (1910-1942), mort dans une prison franquiste, on a pu lire en langue française Hormis tes entrailles (Unes, 1989), La foudre n'a de cesse (Folle avoine, 2002). Juan Manuel Serrat, Joan Baez ont également fait beaucoup pour la renommée de ce poète, récemment publié en bilingue par les éd. Xenia en Suisse. Son cousin était le grand-père de Fabien Montès.
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Cet enregistrement d'Ainsi j'aurai voyagéest extrait d'un concert à l'espace Argence (Troyes), le 18 mars 2010, avec la participation amicale de Gianni Forte (guitare), Teddy Moire (contrebasse) et Johann Vigon (congas). Merci à Carnaval triste.
Le texte d'Emmanuelle Favier est extrait de Dans l'éclat des feuilles vives, La Musaraigne, 2005.
Ainsi j'aurai voyagé, quittant les tapis d'étoiles mauves
au regard de la forêt.
J'aurais consommé le suc des belladones.
J'aurais vu le faune rire à l'entrecuisse d'une nymphe, scorpion expulsé en un souffle scabreux du fond des nudités pierreuses.
J'aurais dû sans doute allonger le pas au moment de franchir l'énorme grille qui sépare en lambeaux chaque moment de l'année.
Dissimulée derrière le mur d'échasses que dresse un arbre exotique aux racines sculpturales, une poterne a finalement recueilli mon incertitude.