On m'avait dit « ce sera le pot de terre contre le pot de fer ».
Et alors ? J'avais une absolue confiance dans la Justice de mon pays, dans la force de la loi, dans la priorité de l'exigence morale. Dans l'évidence de la vérité.
Si c'était à refaire ? On ne se refait pas. Si j'avais su d'avance ? Alors là... bien sûr que...
J'avais d'excellentes relations avec l'agence du Crédit Agricole : la porte de la banque n'était séparée de celle du domicile familial que par l'épaisseur d'un mur. C'est ainsi que, très jeune, j'ai eu un compte au Crédit Agricole (qui se disait encore mutuel). Les premiers carnets de chèques portaient la mention « sous administration légale », logique pour un mineur.
En 1971, premier emprunt et premières parts sociales de la caisse locale de ce canton rural de l'Orne. Excellentes relations de voisinage.
Le pli était pris et j'ai toujours eu, depuis, d'excellentes relations avec les salariés du Crédit Agricole et la plupart des administrateurs. Et j'ai rencontré des dirigeants courtois, charmants, parfois très intelligents mais « insérés », y compris au sommet du sommet.
Et pourtant, c'est... la guerre. Le harcèlement moral et financier sans trêve ni repos.
Étonnant, non ?
Une explication simple : j'ai posé des questions et les questions ne doivent pas être posées, surtout en Assemblée Générale. Les bavardages sur les malheurs du monde, les variations du Yen, les méfaits de la météo et de la PAC sont les bienvenus. Et même les pleurnicheries. Et même les mises en cause agressives (folklos)... mais pas les vraies questions.
Questions ? Dérobade, faux-fuyants, arguments d'autorité, condescendance.
Surtout dérobade. Alors, j'ai enquêté, cherché les documents jusque dans les greffes des tribunaux... et découvert les coopératives clandestines et les associations bidons, l'usine à gaz mise en place pour l'enrichissement des prédateurs.
En 1983 – vrai début de l'enquête approfondie – j'ai demandé les statuts de la caisse locale (société coopérative). Silence et dérobade. Je les ai reçus cinq ans plus tard « à titre exceptionnel » (sic)... Je les ai mis à disposition des sociétaires participants à l'assemblée générale (quelques centaines de photocopies). Scandale.
L'année suivante, en présence d'un huissier, les statuts étaient disponibles pour tous. Depuis, retour à l'opacité : les sociétaires signent sans connaître les règles du jeu. Sans se savoir piégés. Un détail qui dit tout.
Nous allons dire tous les détails. Ceux d'une drôle de quête... qui intrigua la brigade financière. Point de départ d'échanges utiles avec l'élite des enquêtes sur la criminalité en col blanc.
Conclusion des chefs de service ? « Il y a de quoi faire sauter dix gouvernements... mais personne ne va bouger. Ils ont trop peur des jacqueries ». C'était en 1992...
J'ai découvert, progressivement, qu'il y a des captations de coopératives comme il y a des captations d'héritage (titre d'un dossier diffusé à tous les sociétaires, provoquant la fureur des initiés). Une longue histoire... à suivre.
Le livre de Jean-Loup Izambert et Hugo Nhart, Les Démons du Crédit Agricole – Editions L'Arganier 2ème trimestre 2005 (chapitre 2 : Détournement de pouvoirs) – contient une partie de l'histoire.